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Polémique "civilisation" : 
quand la pensée convenable 
annihile toute réflexion
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Point Godwin

La majorité a quitté l'Assemblé nationale ce mardi, pour manifester son indignation contre les déclarations du député PS Serge Lechtimy. Dans son discours, celui-ci a associé les propos du Ministre de l'Intérieur à l'idéologie qui a conduit au nazisme notamment.

Sophie de Menthon

Sophie de Menthon

Sophie de Menthon est présidente du Mouvement ETHIC (Entreprises de taille Humaine Indépendantes et de Croissance) et chef d’entreprise (SDME).

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La pensée « convenable » est en train de tuer dans l’œuf toute profondeur de réflexion, toute nuance dans nos approches de la société, des religions, des mœurs. La pensée et les mots sont réduits à leur plus simple expression, détachés de leur contexte, mis en exergue, détournés à des profits politiques, pris au premier ou au deuxième degré… mais jamais au bon ! Il n’est plus permis d’émettre un doute ou d’affirmer quoique ce soit qui ait un rapport avec des sujets qui sont de plus en plus nombreux à être tabous.

Cette polémique politique sur un sujet intéressant  touche à son paroxysme : le député PS d'outre-mer Serge Letchimy a déclaré ce mardi à l'Assemblé nationale :

 "Vous nous ramenez, jour après jour, à des idéologies européennes qui ont donné naissance aux camps de concentration au bout du long chapelet esclavagiste et colonial. Le régime nazi, si soucieux de purification, était-ce une civilisation ? La barbarie de l'esclavage et de la colonisation, était-ce une mission civilisatrice ?"

Ce serait presque comique si cela ne donnait un pitoyable spectacle de nos hommes politiques. L'outrance est non seulement nuisible à l'image de la classe politique toute entière mais elle est révélatrice d' une inquiétante bêtise. Les médias devraient aussi s'interroger ; trop contents de se saisir de ces balles à rebond pour faire monter la mayonnaise. Quelle chance maintenant : on entre dans la période des demandes d'excuses. Cela dit, on s'attendait bien à ce que l'on mêle la "race" à ce faux débat qui en l'occurrence n'a rien avoir avec une honteuse période historique, ni à mon avis à quelque racisme que ce soit. Logiquement sur la lancée, on devrait continuer de remettre sur la table tous les vieux démons qui nous hantent, dont le colonialisme et autres. Franchement, aujourd'hui la France est au cœur d'autres préoccupations et d' autres enjeux plus concrets et c'est se moquer des français que de les entraîner vers de mauvaises querelles. Personne n' y gagne une voix et si c'est un calcul, il est nul.

Les Français devraient être fiers de leurs « Lumières » et des apports qu’ils ont faits aux civilisations du monde entier que ce soit celui de l’invention de l’amour courtois, de l’abolition de l’esclavage, de la déclaration des droits de l’Homme ou encore du rayonnement de la France dans la chrétienté… et voilà qu’ils ont transformé cet immense acquis culturel en une espèce de complexe de supériorité ou d’infériorité, c’est selon ! Il est interdit de penser autrement qu’en termes de leçons à donner ou d’objets d’indignation et de courroux, en d’autres termes de manifestations en tout genre.

Les partis politiques se sont appropriés une part du butin culturel, la Gauche vit du fromage mal digéré de la lutte des classes, toujours en avance d’on ne sait quelle révolution (actuellement les riches tiennent le bon bout, et d’après les instituts de sondage un riche est celui qui gagne le double de ce que vous gagnez : ça fait du monde…).

La Droite et la Gauche sont tirées vers leurs extrémités… par leurs extrêmes ! Mélenchon et Marine Le Pen : que d’absurdité ne dit-on pas en vos noms ! Pas de quoi être fiers…

La Droite actuellement ne peut rien dire sur certains thèmes sans être accusée de vouloir empiéter sur les terres Lepénistes. J’ai beau chercher, je ne comprends pas la levée de boucliers suscitée par l’affirmation de Claude Guéant, consistant à dire que notre vision du monde privilégie les civilisations qui défendent la liberté, l’égalité et la fraternité. Je ne vois pas dans ses paroles ce qui peut paraître choquant, mais en revanche il faut s’inquiéter pour la République française que l’on ne puisse même pas en débattre, ce qui revient à une confiscation de la pensée qui va refouler de nombreuses questions légitimes. C’est d’autant plus d’actualité que dans le même registre nous nous offusquons que l’ONU ne proteste pas contre des populations civiles massacrées en Syrie au nom justement de nos valeurs que nous pensons universelles, à cause du veto de la Chine et de la Russie.

Où sont nos intellectuels ?

Qui nous parlera de l’évolution des civilisations, des valeurs nouvelles d’un monde de plus en plus ouvert et dont les populations se referment de plus en plus ? Qu’est-ce que cette tolérance brandie en étendard, que nous ne sommes pas capables de nous accorder à nous mêmes ? Quelles réponses apportons-nous aux questions de nos enfants si les seuls arguments sont ceux d’insultes partisanes ?

Estimez-vous scandaleuse la question de votre fille qui vous demande :

« Maman, existe-t-il des civilisations meilleures que d’autres ? » elle pourrait ajouter : « lescivilisations qui ordonnent de ne pas instruire les femmes, parfois de ne pas les soigner, et d’autres qui exigent l’excision sont-elles équivalentes à la nôtre ? Dois-je penser qu’ils ont raison ? Mais alors, tout ce dont nous sommes fiers est inutile ? ou n’a qu’une valeur très relative ? »

La seule réponse à apporter est-elle de hurler avec les loups médiatiques en disant que cette assertion n’est autre qu’un appel du pied à l’électorat de Marine Le Pen ?

Refuser au nom justement de nos valeurs, d’en discuter, de les faire évoluer et de comprendre les autres à travers un autre prisme est consternant. Nos querelles microscopiques entraînent notre pays vers une forme de déchéance car si nous ne sommes pas capables d’être d’accord justement sur ce qui fait le socle de notre héritage culturel nous participons à la dilution de nos propres valeurs ; chaque civilisation a les siennes et des progrès à y apporter mais on ne peut pas dire que toutes les civilisations se valent, sauf à renier l’ensemble de la civilisation occidentale et nos propres apports à l’évolution humaniste.

N’est-il pas toujours dans notre devoir que d’être dans une recherche de progrès ? Nous avons eu l’ambition d’éclairer le monde et de participer à des conquêtes qui confèrent à l’Humanité une part de sa noblesse, faut-il y renoncer ?

La France avait l’objectif de rayonner et de tirer les peuples vers le haut… En tant que femme par exemple, j’estime que nous avons un devoir de faire que les femmes du monde entier aient un statut équivalent à celui des hommes et nous devons nous y employer.

Il est vrai qu’il existe actuellement un doute qui s’installe, lié non plus à un désir d’égalité mais plutôt d’équivalence : tout se vaut. Une revendication facile et qui donne tous les droits sans conférer aucun devoir. « Ce n’est pas mon problème », « chacun sa morale », «chacun sa vie », « cela ne me regarde pas », « chacun fait comme il veut »…

La porte ouverte à toutes les lassitudes, à toutes les paresses existentielles, à toutes les compromissions… à toutes les décadences.

La bonne conscience du faux respect d’autrui n’est autre qu’une forme de racolage intellectuel. Tout cela s’amplifie pour cause de campagne électorale, nous sommes assaillis de doutes profonds sur notre civilisation occidentale que nous avons été si fiers d’exporter. Faut-il abandonner un ou deux millénaires de ce que nous estimons être une longue démarche de progrès et admettre sans discussion que nos valeurs n’étaient pas universelles ?

Nous n’avons rien à gagner à galvauder de tels sujets sous prétexte de campagne présidentielle, nous en sortirons plus meurtris que grandis et ce n’est pas ce qui va rassembler les Français et leur donner envie de partir à la conquête, économique ou sociétale, du monde. Mais toujours sous prétexte d’élections faut-il éluder ces sujets ? Faut-il en conclure que ce n’est pas le moment puisque tout devient clivage et argument électoral ? En tous les cas ce serait tout à l’honneur de nos supposées élites (et des médias) d’être capables de distinguer un vrai sujet de fond d’un « dérapage ».

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