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Eliogabalo à l'Opéra de Paris : audace payante, pour l'essentiel
©Opéra de Paris

Atlanti-culture

En ouvrant sa saison avec un opéra baroque presqu'inconnu, l'Opéra de Paris fait preuve d'un certain culot. Défi superbement relevé pour la distribution et la direction d'orchestre mais non, malheureusement, pour la mise en scène.

Dominique Poncet pour Culture-Tops

Dominique Poncet pour Culture-Tops

Dominique Poncet est chroniqueuse pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).
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Le compositeur

Né le 14 février 1602 à Crema, Francesco Cavalli (de son vrai nom Pier Francesco Caletti) fut de son vivant le compositeur italien le plus populaire de son temps. 

Doté d’une belle voix, il intègre, enfant, le chœur du duomo de Crema où son père est maître de chapelle. Remarqué par un noble vénitien, Federico Cavalli (dont il  prendra plus tard le patronyme), il intègre le chœur de Saint-Marc, puis en devient  l’organiste. Après son mariage avec une riche veuve vénitienne, qui lui permet de s’affranchir, financièrement, de ses fonctions de musicien d’Eglise, il se lance, en 1639, dans la composition d’opéras, avec «  Le Nozze di Teti e di Peleo ». Très prolixe, il en écrira ensuite jusqu'en 1669, un ou plusieurs par an. Soit en tout, une quarantaine, dont, en 1649, «  Giasone » qui sera, en son siècle, l’opéra le plus représenté en occident.

En 166O, un voyage en France à l’initiative du cardinal Mazarin, se soldera, pour l’italien, par un échec : son opéra, écrit pour le mariage de Louis XIV ne rencontrera pas, en effet, le succès escompté. Dépité, le compositeur rentrera alors dans son pays natal, s’installera à Venise et y composera encore six opéras sur des sujets historiques, dont,  en1667, « Eliogabalo », qu‘il n’aura pas la joie de voir représenté de son vivant, puisque cette œuvre, pourtant annoncée à Venise en 1667, y fut déprogrammée en raison de son caractère jugé trop sulfureux et ne sera finalement créée qu’en… 1999 au nouveau Teatro San Domenico de Crema dans une mise en scène de Secondo Pozzali. Soit plus de trois siècles après la mort de Cavalli, survenue à Venise en 1676. 

Thème

« Eliogabalo » s’inspire de la vie d’un personnage hors norme : un jeune intrigant né en Syrie, issu d’une famille d’aristocrate Romain qui, à l’âge de quatorze ans, réussit à se faire sacrer empereur en 218 après JC,  mais mourut  assassiné quatre ans plus tard par les soldats qui l’avaient porté au pouvoir.

Si l'opéra de Cavalli ne reconstitue évidemment pas le véritable parcours de cet  empereur porté,  à peine pubère, à la plus haute fonction, il brosse néanmoins un portrait sans doute assez proche ce que fut Eliogabalo, un débauché, un jouisseur invétéré, qui aimait autant les femmes que les hommes, était cruel, pervers, sadomasochiste, violeur, menteur et… commanditaire d’assassinats. 

Pour « tendre » le livret, son auteur (anonyme) a brodé une intrigue où le sulfureux empereur, flanqué d’un confident-amant et d’une nourrice perverse, va fomenter des coups pendables pour se débarrasser d’une maîtresse encombrante (aimée par un autre) et en attirer une nouvelle, promise, elle aussi, à un autre.

Las pour lui… Puisqu'il finira, jeté dans le Tibre, après avoir été démembré par sa propre garde… 

Points forts

- La curiosité suscitée par cette œuvre redécouverte si tardivement, et si peu montée : une seule production, en 2004, sous la baguette du très grand René Jacobs, depuis sa création italienne en 1999.

- Le livret, qui nous entraîne dans des jeux de cache-cache et de travestissement à y perdre son latin. Ici, les hommes jouent à être des femmes, et les femmes peuvent être interprétées par des hommes. On s’y  égare? Oui, par moments, mais c’est assez délicieux, ludique, à l’image de cette partie de colin-maillard proposée par l’Empereur où les femmes doivent s’embrasser et deviner qui les embrassent pour obtenir un honneur...

- La partition. Quand Cavalli compose cet « Eliogabolo », il est au soir de sa vie et pleinement maitre de son art. En quarante opéras, il a acquis suffisamment de savoir-faire pour donner aux lignes mélodiques de ses œuvres à la fois fermeté  et souplesse, et en même temps, prendre avec elles des libertés qui lui permettent de louvoyer, avec maestria , entre aria, arioso et récitatif. Résultat : cette partition, d’une modernité incroyable pour l’époque, qui, par moments, « swingue », échappe aux conventions du baroque traditionnel et annonce Rameau.

- La direction d’orchestre. Elle a été confiée à Leonardo Garcia Alarćon, un des plus fins connaisseurs de Cavalli. Et, pour ses débuts à l’Opéra de Paris, ce chef argentin est venu avec son propre ensemble, l’orchestre « Cappella Mediterrenea ». Autant dire que le maestro est ici à son affaire et qu’il dirige ses « troupes » ( plus de trente musiciens !) avec passion, inventivité et générosité.

- La distribution. Elle est enchanteresse. A commencer par celui qui interprète le rôle-titre, le contre-ténor Franco Fagioli. Quel timbre ! Quelle virtuosité  vocale! Quelle énergie ! Et quelle facilité apparente à transmettre les « états » de son personnage, qui navigue, sans repos, entre cruauté, sensualité, désespoir, féminité et machiavélisme. Tous ses partenaires mériteraient d’être cités, à commencer par la soprano américaine Nadine Sierra qui incarne une Gemmira d’une belle autorité, et aussi le contre-ténor   Valère Sabadus dont on comprend pourquoi, en l’écoutant dans le rôle du douloureux Giuliano, il compte déjà, malgré son jeune âge (trente ans), parmi les meilleurs de sa « catégorie ».

Points faibles

- La mise en scène, qui suscite une légère déception. De la part d’un jeune homme qui avait notamment enflammé le public du festival d’Avignon avec  un ébouriffant cycle Shakespeare, on s’attendait, pour la création de son premier opéra, à un travail plus flamboyant, plus ébouriffant. D'autant plus que ce « Eliogabalo », plein de soufre et de sensualité, se serait bien prêté à un traitement, sinon iconoclaste, du moins, irrespectueux. La mise en scène que livre ici Thomas Jolly est certes, juste, sans contre-sens, visuellement très agréable, chatoyante même, mais sans réelle surprise, et surtout d’une sagesse qui confine, par moments, à la rigidité. Dommage ! 

En deux mots

L’Opéra de Paris avait fait preuve d’une belle audace en ouvrant sa saison avec un opéra baroque inconnu (ou presque) du public, et en confiant, qui plus est, la création de celui-ci à une équipe dont la majorité des membres faisait ses débuts à Garnier. Disons le d’emblée,  l’Institution a gagné son pari. Musicalement et vocalement, cet « Eliogabalo » est irréprochable. La preuve : les quatre heures que dure l’œuvre, s’écoulent, pour le spectateur dans une plénitude parfaite, une attention sans faille et, pour l’oreille, un plaisir infini. On regrettera juste, donc, qu’un vent de folie ne soit pas venu perturber l’agencement, si « carré » de leur mise en scène. 

Une phrase

« Si le mariage devait à chaque fois racheter l’honneur qu’on a pris de force, combien de jeunes filles auraient un mari ! »  (Zotico, le valet d'Eliogabalo). 

Recommandation

ExcellentExcellent

malgré les réserves émises quant à la mise en scène.

Opéra

« Eliogabalo » 

de Francesco Cavalli

Mise en scène : Thomas Jolly

Informations 

Opera de paris

Palais Garnier

Place de l'Opéra

75009 PARIS

Tel : O892289090

www.operadeparis.fr

Jusqu’au 15 octobre 

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