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Douch, tortionnaire 
appliqué aussi bien dans sa défense 
que dans ses crimes
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"Douch" froide

La semaine dernière, Douch a été condamné à perpétuité. Le tortionnaire en chef de la prison khmère rouge S21 n'aura pas pu en réchapper, malgré le soin apporté à ses maigres remords. Portrait d'un personnage à la fois monstrueux et raffiné.

Albert C.  Querfiniec

Albert C. Querfiniec

Albert C. Querfiniec est journaliste. Il écrit pour Atlantico sous pseudonyme.

 

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Décidément,  les cortèges de manifestants occidentaux et les « compagnons de route » qui soutenaient bruyamment les mouvements révolutionnaires de l’ex-Indochine dans les années 1960 et 1970 n’avaient pas choisi le bon camp. L’amour les rendait aveugles.

Avec « Douch, le maître des forges de l’enfer », le cinéaste cambodgien Rithy Panh poursuit son travail de mémoire et les spectateurs gardent les yeux grands ouverts pendant une heure trois quarts sur l’une des pages les plus « exemplaires » de l’histoire du totalitarisme au XXe siècle. Le film est original dans sa forme : le bourreau khmer rouge s’exprime en un long monologue entrecoupé de quelques reconstitutions et accompagné d’images d’archives.

Il a de bons cotés, ce Douch, de son vrai nom Kaing Guek Eav, professeur de mathématiques de formation. Il s’exprime d’une voix posée, douce, souvent chantante, cite en français Balzac et Alfred de Vigny et reconnait même une part de responsabilité, confiant que, parfois, il en perd le sommeil. Il recherche désormais le pardon et un peu de sérénité dans le christianisme.

Douch se met aujourd’hui à raconter et à s’expliquer avec la même application, le même sens du détail qu’il manifestait il y a trente-cinq ou quarante ans pour diriger le centre S21 de Phnom-Penh et pour rédiger ses rapports destinés à l’ « Angkar », l’organisation impersonnelle, mystérieuse et redoutée qui broyait le Cambodge dans sa mécanique de mort au nom du communisme version Mao et d’une logique implacable.

Morceaux choisis : « Le parti ne peut pas se tromper… celui que le parti a arrêté doit donc être considéré comme un ennemi […] il faut par conséquent obtenir des aveux […] Quand on interroge, il y a obligation de résultat. Tuer un innocent par erreur vaut mieux que de laisser un coupable en liberté. Si l’on hésite à torturer, cela veut dire qu’on a des sentiments individualistes ou qu’on est un intellectuel. Or ce sont les intérêts de classe et du parti qu’il faut placer au-dessus de tout car le véritable amour du peuple, c’est de donner aux prolétaires la possibilité d’exercer la dictature »

Douch va s’atteler à sa tâche avec méthode. Il nous le dit : "Depuis mon enfance, j’aime le travail bien fait. Mon écriture a toujours été impeccable. Je suis loyal. Je ne trahis pas."

« S21 », appellation codée d’un ancien collège français de Pnomh-Penh reconverti en prison et centre de torture, était l’un des 196 « bureaux de sécurité » garantissant le maillage et la surveillance du  territoire cambodgien. Sans être le plus performant (seulement au dixième rang du palmarès quant au nombre de morts : 12380 recensés et identifiés), il était l’un des mieux organisés grâce au savoir faire de Douch.

Une fois les aveux arrachés par tous les moyens (et le film évoque quelques une des techniques préconisées par Douch), les responsables du camp considéraient ce qui restait de la vie de ces détenus coupables, forcément coupables, comme de simples déchets à trier et à éliminer.

Pour sa défense, Douch invoque un contexte idéologique, le désir de rester fidèle à son mentor Son Sen (Ministre khmer rouge de la Défense) et sa propre peur de se retrouver en position d’accusé pour insuffisance de zèle révolutionnaire. Étrange personnage, à la fois banal et monstrueux, souriant et grimaçant, qui, parfois, esquive et qui, à d’autres moments, répond avec un luxe de détails. Étrange personnage capable aussi bien de faire profil bas que, à l’occasion, d'éclater d’un rire tonitruant et glaçant pour réfuter un témoignage à charge.

Les experts sont formels : Douch est sain d’esprit, intelligent, doté d’une excellente mémoire et mentalement responsable de ses actes.

Vendredi dernier, en appel, le tribunal mixte (cambodgien et international) a rendu publique sa décision : Douch, 69 ans, a été condamné à la prison à vie pour meurtres avec préméditation, tortures, crimes de guerre et crime contre l’humanité.

L’ancien «frère numéro 1» des Khmers rouges, le sinistre Pol Pot, mort en 1998 sans être inquiété outre mesure, la Justice doit désormais se prononcer sur le sort de ses plus proches collaborateurs, en particulier l’idéologue et « frère numéro 2 » Nuon Chea.

Autres accusés : de brillants produits des écoles ou universités françaises comme Khieu Samphan (ancien président du Kampuchea) et Ieng Sary (ex-ministre des Affaires étrangères et ancien membre du parti communiste français).

Ces procédures s’annoncent longues et complexes. Les autorités cambodgiennes se montrent modérément pressées. L’actuel chef du gouvernement Hun Sen (au pouvoir depuis 27 ans), lui-même ex-Khmer rouge ayant retourné sa veste juste à temps, ne tient pas à ce que les magistrats fassent preuve d’une excessive curiosité. Tant d’anciens tortionnaires se sont opportunément reconvertis !

Les minutes du procès de Douch et le film de Rithy Panh, tout comme le Musée de la Terreur à Budapest ou l’œuvre de Soljenitsyne, figureront donc au Conservatoire des Arts et métiers du communisme et de ses dérives mortifères. Les photos de ces visages – hommes, femmes et enfants – présentées dans ce film ou exposées dans l’ancien centre S21 nous hanteront durablement. Les touristes peuvent maintenant inclure dans leur programme de visites à Phnom-Penh : ils portent un numéro, ils fixent l’appareil, ils savent ce qui les attend, ils savent qu’ils vont mourir.

Restent deux questions, l’une de caractère diplomatique, l’autre de caractère anecdotique :

Pourquoi l’ONU a-t-elle si longtemps fait preuve de mansuétude à l’égard des khmers rouges et reconnu leur légitimité en tant que représentants de la population cambodgienne ?

Et pourquoi diable, Rithy Panh a-t-il éprouvé le besoin de glisser de manière fugitive et incongrue le nom de Stéphane Hessel dans son film ? Avait-il vraiment besoin de ce Grand Référent pour  justifier sa démarche de cinéaste ? Les crimes des Khmers rouges ne sont-ils pas, en eux-mêmes, suffisamment éloquents pour susciter l’indignation ?

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