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Radioscopie des origines des demandeurs d'asile qui arrivent en France (et non, les Syriens ou les Irakiens ne forment pas du tout le groupe le plus important)
©REUTERS/Benoit Tessier

Mise au point

Alors que les derniers chiffres publiés par Eurostat confirment une nouvelle fois que le conflit syrien n'est pas la cause principale de l'afflux de demandeurs d'asile en France, Afghans, Haïtiens et Albanais trustent le "podium" des nationalités des migrants demandant l'asile français. Petite radioscopie de leur profil et motivation.

Atlantico : Selon les derniers chiffres publiés par Eurostat ce jeudi (voir ici), la nationalité la plus représentée parmi les migrants demandeurs d'asile en France au deuxième trimestre 2016 était les Afghans, suivis des Haïtiens et des Albanais. Comment expliquer cet état de fait, alors que de nombreux discours médiatiques et politiques mettent régulièrement en avant l'impact du conflit syrien au moment de parler immigration ?

Laurent Chalard : Le décalage entre la réalité et les discours médiatiques et politiques concernant la question migratoire en France témoigne juste de l’approximation dans lequel baigne le débat public depuis de nombreuses années, consécutive de l’abaissement généralisé du niveau de culture général, aussi bien parmi les journalistes que chez les hommes politiques. En effet, la plupart d’entre eux, ne faisant pas l’effort de s’informer sérieusement, finissent par s’emmêler les pinceaux, confondant, en particulier, immigrations légale et clandestine, deux choses totalement différentes. De même, au sein de l’immigration illégale, le mélange entre immigration à caractère économique clandestine et réfugiés politiques est assez fréquent. Dans ce cadre, il convient de rappeler qu’à l’heure actuelle, les principaux flux d’immigration en France, sont des flux légaux s’inscrivant dans le cadre du regroupement familial, la demande d’asile étant minoritaire, même si elle a fortement augmenté l’année dernière. Les populations originaires du Maghreb sont les plus représentées dans l’immigration issue du regroupement familial.

Concernant les primo-demandeurs d’asile au deuxième trimestre 2016, la principale caractéristique de la France par rapport aux autres pays européens est l’absence de nationalité qui domine largement (la première, les afghans, ne regroupe que 8 % de l’ensemble des primo-demandeurs), contrairement à l’Allemagne avec les syriens qui représentent 38 % des primo-demandeurs. En effet, la crise des migrants syriens n’a pas concerné directement la France car ces derniers se sont dirigés quasi exclusivement vers l’Allemagne (et les pays sur le trajet), suite aux propos d’Angela Merkel à l’été 2015, qui a décidé de tous les accueillir. La demande d’asile en France ne concerne donc guère des personnes venant de ce pays. Il n’est donc pas surprenant de voir arriver en tête d’autres nationalités, mais avec des flux modérés. Le principal flux concerne les afghans, ce qui constitue une nouveauté, car, jusqu’ici, aucun lien spécifique ne les rattachait à la France, étant très peu présents sur notre territoire, à part quelques intellectuels. Cette situation s’explique tout simplement par l’effet Calais, c’est-à-dire que parmi les nombreux migrants afghans présents dans la jungle de Calais qui cherchent à rejoindre le Royaume-Uni, certains finissent par demander l’asile politique en France, désespérant de réussir à passer outre-Manche, d’autant qu’ils sont incités à le faire par les associations d’aide aux migrants. Pour les Haïtiens, cela n’a rien de nouveau, le lien étant historiquement très fort avec la France, ce sont des demandeurs d’asile traditionnels dans les Antilles françaises et sur le continent pour les plus fortunés. Pour les albanais, c’est exactement le même processus que pour les afghans, ceux qui n’arrivent pas à passer au Royaume-Uni tentent de demander l’asile en France. 

Catherine Withol de Wenden : En ce qui concerne les Afghans, les chiffres d'Eurostat s'expliquent essentiellement par leur "retour". Ce sont surtout des gens qui n'ont trouvé ni place ni solution chez eux après la crise et qui sont repartis dans l'espoir, notamment à Calais, de retrouver leur rêve en Angleterre. La position géographique de la France dans ce face-à-face avec Calais explique donc beaucoup la présence des Afghans en France. Cette situation est liée à un conflit ancien, mais qui perdure car étant donné que les réinstallations n'ont pas donné beaucoup de résultats, certains qui étaient repartis sont revenus, et d'autres quittent l'Afghanistan pour la première fois et se retrouvent en France, point de passage vers le Royaume-Uni. On sait que beaucoup ne parviendront pas en Angleterre, donc on essaye alors de les convaincre de demander l'asile en France – surtout quand ils sont jeunes –, c'est même obligatoire en pratique selon les accords de Dublin : c'est là qu'ils ont mis le pied, c'est donc là qu'ils doivent être candidats à l'asile.  

Pour ce qui est des Haïtiens, c'est assez compréhensible. Ils sont francophones, assez bien scolarisés pour la plupart, et considèrent donc qu'ils ont leur place en France. Compte tenu de la non-stabilisation de la situation politique dans le pays, on a toujours un volet de Haïtiens qui partent vers la France. Ce n'est pas très surprenant.

Le cas des Albanais est déjà plus étonnant. S'agit-il de Roms ? S'agit-il de gens qui étaient en situation de mobilité, qui étaient allés vers l'Italie ou la Grèce et qui ont des difficultés aujourd'hui (surtout pour la Grèce) ? En tout état de cause, la crise des Balkans et celle du Kosovo (non résolue complètement) sont passées par là.

Dans tous les cas, au vu des faibles possibilités économiques dans ces pays, il s'agit de flux mixtes : des demandeurs d'asile d'une part, des migrants qui viennent pour trouver du travail d'autre part. Tout cela "noie" quelque peu la visibilité de la crise syrienne, sachant que les Syriens vont, eux, très majoritairement en Allemagne.

D'un point de vue géographique, sait-on où ces demandeurs d'asile s'installent en France (villes, campagnes, quartiers…) ?

Laurent Chalard : Bien évidemment, il n’existe pas de données officielles détaillées diffusées au public sur la localisation précise des demandeurs d’asile. Cependant, du fait de l’existence de deux types principaux de demandeurs d’asile, on peut en déduire les logiques de leur localisation géographique. Il y a ceux qui résident dans des camps de fortune, dont le plus grand est celui de la jungle de Calais, camp de transit vers le Royaume-Uni, et ceux qui sont logés par des membres de leur famille et ou des amis déjà présents sur le territoire français, qui, pour la majorité d’entre eux, résident dans les grandes métropoles, là où se trouve déjà des congénères et où les possibilités de trouver un emploi sont les plus importantes.

Catherine Wihtol de Wenden : Une cartographie des réinstallations avait été diffusée récemment. Un certain nombre sont effectivement allés à Calais (surtout des jeunes, des hommes, avec l'espoir de traverser la Manche). Mais les familles ont parfois été convaincues de rester et de se réinstaller sur tout le territoire français, ce qui est la règle selon Dublin II ("One stop, one shop"). Tout un plan de réinstallation des migrants a été mis en place par le ministère de l'Intérieur, en privilégiant des zones peu occupées où l'on dispose de plus de places pour les accueillir dans de meilleures conditions, surtout pour les familles. On peut citer ici l'Auvergne, le Massif central, le Sud-Ouest, la Normandie, la Bretagne, etc.

Que sait-on au juste, outre leur nationalité, de ces demandeurs d'asile en France (âge, activité pratiquée dans leur pays d'origine, durée de présence sur le territoire français…) ?

Catherine Withol de Wenden :C'est très variable selon les nationalités.

Chez les Syriens, nous avons plutôt des familles, des gens un peu plus âgés qui viennent avec leurs enfants et parfois même leurs parents. Ce sont des petites classes moyennes, les plus fortunés étant déjà partis depuis longtemps aux États-Unis, en France ou dans d'autres pays européens. Ceux qui se sont retrouvés piégés dans les conflits actuels ne sont pas les plus pauvres (restés chez eux ou en Turquie), mais appartiennent plutôt à la petite classe moyenne bien scolarisée : commerçants, personnel administratif, métiers intermédiaires, etc.

Les Albanais trouvent souvent du travail dans le bâtiment ou l'agriculture et sont moins bien scolarisés.

Les Haïtiens, quant à eux, représentent plutôt une assez forte élite intellectuelle. Ce sont des gens qui ont un très bon bagage scolaire et parfois universitaire.

En ce qui concerne l'âge, on observe que les Syriens sont plus âgés que les Afghans par exemple, ces derniers ayant surtout le profil de jeunes garçons seuls qui traversent – parfois à pied – l'Europe dans une sorte d'odyssée moderne.

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