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38 milliards de dollars : le deal décisif qui redessine les contours des relations américano-israéliennes
©Reuters

Don/Contre-don

Alors que les relations diplomatiques semblaient tendues, l'accord de programme d'aide à l'armement israélien par les Etats Unis a été ratifié le 14 septembre à Washington.

Roland Lombardi

Roland Lombardi

Roland Lombardi est consultant et Directeur général du CEMO – Centre des Études du Moyen-Orient. Docteur en Histoire, géopolitologue, il est spécialiste du Moyen-Orient, des relations internationales et des questions de sécurité et de défense.

Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à la Business School de La Rochelle.

Il est le rédacteur en chef du webmedia Le Dialogue. Il est régulièrement sollicité par les médias du Moyen-Orient. Il est également chroniqueur international pour Al Ain.

Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment :

« Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI - Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l'Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L'Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104.

Il est l'auteur d'Israël au secours de l'Algérie française, l'État hébreu et la guerre d'Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.).

Co-auteur de La guerre d'Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d'Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022.

Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020. 

Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l'influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) - Préface d'Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)

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Atlantico : Barack Obama vient de valider un programme d'aide de 38 milliards à Israël pour assurer à ce dernier sa "supériorité militaire" régionale. Cette aide, qui s'étalera sur 10 ans, succédera au programme signé par le gouvernement Bush. Pourquoi Israël a-t-elle besoin d'un investissement aussi massif aujourd'hui ? Les forces militaires en présence se sont-elles modernisées au point qu'Israël ne bénéficie plus de son avance technologique ?

Roland Lombardi L’aide américaine envers Israël, quelle soit militaire ou autre, est très ancienne. Elle a commencé dès la création de l’Etat hébreu en 1948. Depuis cette date, de la Guerre froide à nos jours, Israël est le principal et l’incontournable allié des Etats-Unis dans la région. C’est la raison pour laquelle, Israël a été, et est toujours d’ailleurs, le pays du monde le plus soutenu financièrement et militairement par Washington. Avec ce nouveau programme, signé mercredi entre les deux pays, l’aide militaire américaine est encore la plus importante accordée à un pays étranger. C’est aussi le soutien financier le plus important de l’histoire des relations américano-israéliennes. Ce plan prévoit donc 3,8 milliards de dollars (3,4 milliards d’euros) d’aide par an, contre les 3 milliards de dollars du programme actuel, signé en 2007 et qui expirera fin 2018. Ainsi, ce nouvel accord s’étalera sur dix ans soit jusqu’en 2029.

Cette somme permettra notamment de renouveler les avions de combat israéliens (F24 et F35), d’améliorer l’efficacité des forces terrestres, de renforcer le dispositif antimissile et enfin, de développer et poursuivre les entraînements conjoints des deux armées.

Depuis des décennies, Israël a besoin de cet investissement massif afin de maintenir son niveau d’excellence dans le domaine militaire et conserver son "avantage militaire qualitatif" sur ses voisins. Pour autant, et pour répondre à votre seconde question, même si beaucoup d’armes ont été vendues au Moyen-Orient ces derniers temps, les forces militaires en présence de la région ne se sont pas sensiblement modernisées, à l’exception peut-être de l’armée iranienne qui, certes puissante et armée principalement par la Russie, n’atteint toujours pas, pour l’instant, le haut niveau de modernisation et de technicité de Tsahal.

Au final, dans ce "voisinage dangereux" (Barack Obama) et même si les "printemps arabes" et leurs conséquences ont rebattu clairement les cartes dans la région, aujourd’hui, et plus que jamais, la supériorité militaire et technologique de l’État hébreu sur ses voisins arabes divisés, affaiblis ou en guerre, reste incontestable. 

Par ailleurs, cet accord vient juste après une période de net refroidissement des relations américano-israélienne sous la présidence de Barack Obama. Les Etats-Unis cherchent-il à compenser leurs prises de position sur le nucléaire iranien ou la Palestine ?

Le Premier ministre israélien et le Président américain ne s’apprécient guère, c’est le moins que l’on puisse dire. Leurs relations personnelles peuvent même être qualifiées de mauvaises. La longue période des négociations sur la nouvelle aide militaire américaine (près de dix mois) est par ailleurs révélatrice des tensions entre les deux dirigeants. Rappelons enfin, qu’ils n’ont pas signé eux-mêmes le document du nouveau programme et que leurs communiqués respectifs, après la signature, ont une nouvelle fois illustré le fossé entre les deux hommes... Toutefois, les désaccords, bien réels, entre Benjamin Netanyahu et Barack Obama, notamment à propos de l’accord sur le nucléaire iranien ou encore la question palestinienne, n’ont pas, dans les faits, détérioré outre mesure les relations américano-israéliennes et encore moins la coopération entre les deux Etats qui est toujours restée importante. Mais il est vrai que, suite à l’accord sur le nucléaire iranien de juillet 2015, le Premier ministre israélien s’est élevé avec véhémence contre celui-ci et a même parfois utilisé des propos menaçants et belliqueux. Cette posture officielle lui a permis (avant l’accord iranien) d’être réélu en mai 2015, mais surtout (après l’accord), de maintenir Washington sous pression pour s’assurer le soutien financier et militaire américain. Dans les négociations, cela a certainement joué …

Du côté américain, Barack Obama souhaitait obtenir ce nouvel accord avant la fin de son mandat, le jugeant important pour son bilan puisque les Républicains lui ont souvent reproché de ne pas suffisamment s’inquiéter de la sécurité de l’Etat hébreu… 

D'une certaine façon, Israël ne vient-elle pas de vendre son indépendance et sa capacité à faire pression sur les Etats-Unis ? Est-ce l'aveu d'une faiblesse relative en ce moment ?

Non, je ne le pense pas. J’ai évoqué précédemment la supériorité militaire israélienne dans la région. Au niveau géopolitique, paradoxalement, les révoltes arabes ont aussi contribué à l’intégration d’Israël en tant que partenaire stratégique clé et incontournable (Égypte, Jordanie) ou comme un allié de facto contre l’Iran (Arabie saoudite, Turquie). Et puis n’oublions pas le nouvel acteur de poids au Moyen-Orient : la Russie. En effet, la Russie peut être considérée comme un nouvel allié d’Israël. Depuis l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine au début des années 2000, les relations entre Moscou et Jérusalem ont toujours été très bonnes.

Ainsi, la Russie est devenue depuis une dizaine d’années un partenaire privilégié de l’Etat hébreu (où près d’un million d’Israéliens sont originaires de Russie, soit 20% de la population). La coopération commerciale (plus de la moitié des importations israéliennes proviennent de Russie, explosion du tourisme…), technologique (matières premières contre produits de haute technologie, mises en orbite de satellites israéliens…) et militaire (systèmes radars, drones…mais aussi et surtout dans le domaine du renseignement et de la lutte anti-terroriste) entre les deux pays est florissante. Netanyahu a d’ailleurs aussi joué sur ce rapprochement croissant avec Moscou pour faire parfois pression sur Washington…

Avec le retour de la Russie sur la scène internationale et surtout régionale depuis son intervention musclée en Syrie à partir du 30 septembre 2015, les Israéliens, sans l’avouer, voient assurément dans les Russes des alliés potentiels. Sans pour autant se substituer à l’allié américain (qui demeurera encore longtemps le principal soutien politique et militaire de l’État hébreu), pour certains stratèges israéliens, la Russie représente déjà un allié fidèle, puissant et cohérent et, qui plus est, susceptible de contrebalancer, ou du moins maîtriser, l’influence iranienne dans la région. Aujourd’hui, Moscou se présente peu à peu comme le futur "juge de paix" du Moyen-Orient. Fin août, Poutine faisait savoir qu'il était prêt à accueillir un sommet israélo-palestinien. Initiative soutenue par l’Egypte de Sissi et très bien accueillie par les Palestiniens et les Israéliens …

L'accord n'a-t-il pas été signé un peu rapidement pour éviter les aléas de l'élection présidentielle prochaine aux Etats-Unis ? Israël craignait-elle une présidence de Donald Trump ?

Barack Obama quittera la Maison Blanche en janvier prochain et les Israéliens ont sûrement jugé qu’il valait mieux conclure l’accord avant son départ, plutôt que de prolonger l’incertitude en espérant des conditions plus favorables avec Clinton ou Trump. Certes, Donald Trump s’est présenté comme un ami d’Israël. Mais s’il venait à remporter l’élection, les responsables israéliens ont peut-être, il est vrai, craint de devoir négocier avec un homme connu pour son imprévisibilité et surtout, son programme de politique étrangère beaucoup plus isolationniste que celui de ses prédécesseurs ou de sa concurrente…

Enfin, il faut rappeler que si l’aide américaine semble généreuse, elle n’est pas gratuite et bénéficiera principalement aux entreprises américaines. Car le Premier ministre israélien a fait de nombreuses et d’importantes concessions. Ce qui lui a valu d’ailleurs des critiques de l’ancien Premier ministre travailliste, Ehud Barak. En effet, Netanyahu voulait au départ une aide qui s’élèverait à 4,5 milliards de dollars par an (45 milliards sur 10 ans). Ensuite, ce nouveau plan intégrera pour la première fois les fonds consacrés au système antimissile, qui était jusqu’ici financé par des accords séparés et votés par le Congrès américain. Ces dernières années, près de 600 millions de dollars avaient été alloués chaque année pour la défense antimissile de l’Etat hébreu. Or, avec ce nouveau plan, il est dorénavant interdit aux responsables israéliens d’engager des discussions spécifiques avec les parlementaires américains. Enfin, avec les nouvelles clauses de l’accord privilégiant les sociétés américaines, il sera à présent impossible au gouvernement israélien de dépenser une partie de l’aide américaine (27 % jusqu’ici) pour financer son propre complexe militaro-industriel et ainsi développer l’exportation des armes israéliennes comme cela était le cas depuis les années 1980.

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