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Taubira icône de gauche contre Macron star des sondages : et si la confrontation entre la gauche lyrique et la gauche du réel était la meilleure chance de François Hollande d'être réélu ?
©Reuters

La carpe et le lapin

Avec Christiane Taubira l'idéaliste et Emmanuel Macron le pragmatique, la gauche possède aujourd'hui deux personnalités aux styles bien différents mais bénéficiant toutes deux d'un certain crédit dans l'opinion. Alors qu'il reste encore à savoir quelle est la demande réelle des électeurs de gauche vis-à-vis de ces deux pôles, la situation pourrait bien profiter à... François Hollande.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Pour beaucoup d'observateurs politiques, Christiane Taubira incarne une vision idéalisée, voire romantique de la gauche, qui lui permet d'afficher une forte popularité chez les sympathisants de gauche. De la même façon, Emmanuel Macron, plus marqué par une approche pragmatique (autocars, travail le dimanche, etc.) parvient également à attirer une importante proportion des intentions de vote, selon un sondage IFOP-Fiducial pour Sud-Radio et Lyon Capitale (voir ici). Entre une volonté de "réenchanter" la gauche et un besoin de concret, à quelle approche correspond le mieux la "demande" de gauche de l'électorat ?

Jérôme Fourquet : Il peut apparaître contradictoire que des personnalités très opposées à la fois sur le style mais aussi sur la ligne politique qu'elles défendent puissent être plébiscitées pour susciter un espoir. Mais il faut bien voir qu'il n'y a pas une gauche mais des gauches et les sensibilités sont très différentes entre elles. Il n'est donc pas forcément illogique que chacune de ces personnalités puissent au même moment connaître un certain succès à la fois en termes de popularité mais aussi dans les intentions de vote pour ce qui est d'Emmanuel Macron.

Christiane Taubira, Emmanuel Macron mais aussi Arnaud Montebourg ont probablement l'intention de réenchanter la gauche. Concernant Christiane Taubira, on peut parler de la gauche des valeurs, la gauche morale, puisqu'elle met en avant la réforme dite du "mariage pour tous", la lutte contre le conservatisme et les catholiques de droite, son souhait d'une politique pénale et carcérale faisant la part belle à la prévention plutôt qu'à la sanction, son attention particulière aux questions de lutte contre les discriminations, etc. Ce corpus de valeurs et de combats qu'elle porte la rend sympathique et honorable chez toute une partie de la gauche. Le fait qu'elle ait quitté le gouvernement au moment de la déchéance de nationalité, qu'elle n'ait jamais hésité à affirmer un certain nombre de convictions, et son éventuel retour avec un rôle actif pendant la primaire peut apparaître comme l'occasion d'un réenchantement chez ces électeurs.

Emmanuel Macron, par sa jeunesse et son style, sa volonté de casser certains codes comme le clivage gauche-droite, de s'attaquer aux corporatismes et aux blocages dans la société française, peut lui aussi susciter un engouement, un espoir. Il suffit pour cela d'observer l'attention qu'il peut susciter lors de ses déplacements et ses allocutions. Son style le fait apparaître comme le "bon cheval" aux yeux des électeurs de gauche qui appellent de leurs vœux une mue que la gauche se serait toujours refusée de faire. Pour autant, la nette percée qu'il réussit à faire dans les enquêtes d'opinion montre que la gauche social-libérale n'est pas la seule à adhérer à son discours et à sa personnalité. Le centre-droit y participe également.

Bruno Cautrès : La gauche, comme d’ailleurs la droite, est aujourd’hui assez différenciée dans ses attentes. Mais ces différences au sein de chaque famille politique ne sont pas exclusives d’uns toujours forte différenciation entre la gauche et la droite. A gauche, malgré les nuances et les différences, les marqueurs de l’identité politique sont des questions comme la redistribution des richesses, l’égalité, la justice sociale mais aussi la tolérance culturelle, les droits des minorités et la citoyenneté politique et sociale des immigrés. Le pragmatisme d’Emmanuel Macron s’éloigne par plusieurs aspects des attentes de l’électorat de la gauche. Mais cet électorat est également désabusé aujourd’hui et marqué par l’écart entre les discours sur « le changement c’est maintenant » et les réalités.

S’il est vrai qu’aujourd’hui existe chez les électeurs une plus forte demande de solutions pragmatiques qui « marchent », se sentir ou se définir « de gauche » (comme « de droite »), c’est avant tout avoir construit sur une longue durée son identité politique par des socialisations à travers sa famille et ses valeurs, son entrée dans la vie citoyenne et active. C’est aussi être marqué par les évènements politiques de sa génération. La politique c’est donc un récit sur le cours des choses et le discours politique est proche du récit mythologique. Les électeurs de gauche souhaitent donc sans doute que leur candidat gagne l’élection puis change la vie des gens avec des solutions pragmatiques, mais ils souhaitent également que le président élu incarne des valeurs et une idée sur le monde à laquelle ils peuvent adhérer. 

Selon le même sondage, Emmanuel Macron fait une percée dans les intentions de vote des Français à la présidentielle 2017 dans un contexte d'offre concurrentielle à gauche (15%), devançant Jean-Luc Mélenchon, Arnaud Montebourg et François Hollande. Cette percée signifie-t-elle qu'Emmanuel Macron incarne mieux les valeurs auxquelles tiennent les électeurs de gauche, ou y a-t-il d'autres raisons à cette percée (impact médiatique, volonté de renouveau, jeunesse, etc.) ?

Bruno Cautrès : La percée d’Emmanuel Macron en intentions de vote est un phénomène à plusieurs facettes. Tout d’abord, cette percée traduit la grande faiblesse de François Hollande dans ces mêmes intentions de vote. Je remarque également que si l’ancien ministre de l’Economie et des Finances devance ses concurrents potentiels à gauche, il ne devance pas de la même manière François Hollande ou Jean-Luc Mélenchon d’une part et Arnaud Montebourg d’autre part (très net écart).Une seconde facette de cette percée est qu’Emmanuel Macron prend autant, voire bien plus, de voix aux candidats de la droite qu’à François Hollande.  

Le sondage d’intentions de vote que l’IFOP vient de publier montre que c’est plus encore Alain Juppé que François Hollande qui perd des voix (- 7 points de %) si Emmanuel Macron se présente à la présidentielle. En cas de candidature Sarkozy à droite, l’ancien chef de l’Etat se qualifie toujours pour le second tour face à François Hollande et Emmanuel Macron mais perd  autant de voix que François Hollande du fait de la candidature Macron (-4 points de %). Tout ceci illustre une autre facette de la percée des intentions de vote en faveur d’Emmanuel Macron : il s’agit bien d’une candidature du centre. Selon les indicateurs on voit que le profil des électeurs d’Emmanuel Macron se situe sociologiquement du côté des classes supérieures et favorisées et politiquement au centre droit et au centre gauche.  

En termes de proximité partisane, c’est du Modem et de l’UDI qu’ils sont les plus fréquemment proches. Les valeurs politiques des électeurs de la gauche sont caractérisées par la question de l’égalité, de la justice sociale et également la question de la tolérance culturelle vis-à-vis de l’immigration. Si l’électorat de gauche peut se retrouver avec celui du centre sur les questions de tolérance culturelle, les questions socio-économiques et les priorités de l’action publique en matière économique et sociale introduisent une vraie différence entre les deux. L’électorat potentiel d’Emmanuel Macron est différent de celui de la gauche en étant nettement moins interventionniste économiquement et, selon les données et indicateurs utilisés, un peu moins tolérant culturellement aussi.  

Une dernière facette du « macronisme » est d’être le symptôme d’une vie politique française sclérosée : l’offre électorale et politique semble, aux yeux de nombreux français, une offre figée et sans renouvellement. Enquête après enquête, les français disent ne plus vouloir voir les mêmes visages. Certains candidats à la présidentielle ont commencé leur vie politique il y a….des décennies ! Emmanuel Macron, par son âge, son style et ses thèmes de prédilection (moderniser et ouvrir, dépasser des blocages administratifs ou institutionnels) représente une bouffée d’oxygène pour certains électeurs. Finalement, la percée d’E. Macron montre que la question de la mondialisation et de l’adaptation de la France à la mondialisation produit un clivage entre le centre et les extrêmes (de droite et de gauche) sans pour autant que ce clivage ne fasse disparaître le « vieux » clivage gauche/droite. 

Jérôme Fourquet : Comme je vous le disais, Emmanuel Macron séduit incontestablement une partie de l'électorat de gauche. Mais ce dernier est segmenté, entre un courant central, légitimiste, qui voterait pour François Hollande, un courant contestataire qui voterait pour Jean-Luc Mélenchon et des frondeurs qui voteraient plutôt pour Arnaud Montebourg. A ces segments s'ajoute celui qui plébiscite une mue de la gauche, et qui voterait pour Emmanuel Macron.

Mais il faut bien voir que si vous n'occupez qu'une partie de la gauche, il n'est pas possible sur ce créneau d'espérer obtenir un score de 15% au premier tour d'une élection présidentielle.

En réalité, Emmanuel Macron est capable d'attirer d'autres électeurs, notamment de droite et de centre-droit. On retrouve la logique d'une formation transpartisane au cœur de son discours. L'idée étant de dépasser le clivage gauche-droite pour créer une alliance nouvelle, seule à même de remettre le pays en mouvement.

Les 15% qu'il obtient aujourd'hui sont donc en réalité une agglomération de différents électorats. Ce faisant, dans une hypothèse où Alain Juppé représenterait la droite (et où François Bayrou refuserait donc de se présenter), l'ancien ministre de l'Economie récupérerait une part importante des voix du centre-droit. Dans l'hypothèse où Nicolas Sarkozy représenterait la droite, il lui prendrait certes un peu de voix, mais il en prendrait surtout à François Bayrou. De sa capacité à faire tenir ses différentes clientèles électorales dépendra donc beaucoup de choses.

Ce positionnement était aussi celui qu'avait tenté François Bayrou. Mais l'image personnelle d'Emmanuel Macron donne à ce discours une performance électorale et une crédibilité plus importante. Ce résultat de 15% pose aussi une énorme difficulté à François Hollande, son ancien mentor, qui compte sur la partie social-libérale de la gauche pour passer au second tour. Finalement, le positionnement d'Emmanuel Macron peut le concurrencer autant qu'Alain Juppé ou François Bayrou.

Finalement, entre Christiane Taubira et Emmanuel Macron, François Hollande n'est-il pas le plus à même de présenter une offre de synthèse entre ces deux approches au sein de l'électorat ? 

Bruno Cautrès : Le fameux sens de la synthèse de François Hollande pourrait à nouveau lui servir en 2017 et sans aucun doute est-ce l’un des ressorts de sa future stratégie de campagne : montrer qu’il est le seul, en dépit de la fragilité actuelle de sa candidature, à pouvoir rassembler. Cela n’est pas une mauvaise stratégie car elle est adaptée à la règle de base de l’élection présidentielle : il faut réunir sur son nom plus de 50% des suffrages exprimés… ! En incarnant une gauche que s’est adaptée (tournant de 2014, pacte de compétitivité, loi Travail) et qui a affronté en réalisant cette adaptation les « frondeurs », François Hollande pourrait espérer incarner cette synthèse. Mais la faiblesse de sa popularité et de son image semble représenter un handicap de taille pour capitaliser sur cette posture rassembleuse : celle-ci ne pourrait se réactiver que dans le cadre d’une campagne électorale mettant la question économique au cœur des débats afin de faire émerger le clivage gauche/droite ; mais sur ce thème François Hollande aura quand même beaucoup de mal à rassembler à cause des conflits symboliques qui sont apparues sur la loi Travail. Beaucoup d’électeurs de gauche pour qui le code du Travail représente un acquis social important ne lui pardonneront pas facilement.

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