Les juges traitent-ils Nicolas Sarkozy de manière impartiale ? Retour sur l'histoire tumultueuse entre l'ancien président et la magistrature<!-- --> | Atlantico.fr
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Si un rapport houleux a été entretenu entre M. Sarkozy et ses juges, aucune sanction n'a jamais été prononcée à son encontre car rien n'a été sérieusement démontré.
Si un rapport houleux a été entretenu entre M. Sarkozy et ses juges, aucune sanction n'a jamais été prononcée à son encontre car rien n'a été sérieusement démontré.
©Reuters

Je t'aime, moi non plus

Dans le cadre de l'affaire Bygmalion, le parquet de Paris a requis le renvoi en correctionnel de Nicolas Sarkozy et de l'ensemble des personnalités mises en examen. Retour sur l'étrange relation que l'ancien président entretient avec la magistrature.

Philippe Goulliaud

Philippe Goulliaud

Rédacteur en chef du service politique du Figaro, il a co-écrit avec Marie-Benedicte Allaire "L'incroyable septennat" en 2002 (Fayard). 

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Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Atlantico : Le parquet de Paris a requis le renvoi en correctionnelle de Nicolas Sarkozy et de l'ensemble des personnalités mises en examen dans le cadre de l'affaire Bygmalion. En prenant du recul, quel constat peut-on dresser, historiquement, du rapport pour le moins houleux entre Nicolas Sarkozy et les juges ? Quels sont les événements qui ont pu jalonner cette relation ?

Gérald Pandelon : Je souhaiterais d'emblée rappeler que si l'ancien président de la République a fait l'objet de diverses poursuites pénales, il n'a jamais été condamné par une juridiction pénale, ce qui n'est pas le cas de tous les acteurs politiques. Autrement dit, si un rapport houleux a été entretenu entre M. Sarkozy et ses juges, aucune sanction n'a jamais été prononcée à son encontre car rien n'a été sérieusement démontré. Bien au contraire, ce ne sont que des non-lieu qui ont été prononcés non seulement dans l'affaire Bettencourt mais également concernant, par exemple, les vols en jet privé courant 2012-2013, facturés à la société Lov Group; etc. C'est le motif pour lequel, au-delà du hasard du calendrier électoral qui fait coïncider la déclaration de candidature de l'ancien président aux primaires et les réquisitions à son encontre du parquet aux fins de renvoi devant le tribunal correctionnel dans l'affaire Bygmalion, je considère plus fondamentalement que la présomption d'innocence n'est jamais respectée concernant l'ancien chef de l'Etat. En effet, s'agissant de l’ancien président de la République, le site d’informations Médiapart avait dévoilé dans une autre affaire des enregistrements effectués dans le cadre d’une enquête pour un trafic d’influence présumé. Dix jours plus tôt, c’était Le Monde qui dévoilait l’existence de cette enquête au mépris du secret de l’instruction qui, en l’occurrence, apparaissait fort théorique. Or, comment expliquer que lorsqu'il s’agit de personnalités en vue, personne ne craigne de l’enfreindre comme d’ailleurs de bafouer le principe de présomption d’innocence ? Pourtant, cela devrait être rigoureusement interdit.

En effet, aux termes de l’article 11 du code de procédure pénale : « Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète. » Il s’ensuit, en théorie, que toute personne qui concourt à cette procédure devrait être tenue au secret professionnel. Or, en pratique, le secret de l'instruction est régulièrement violé : la presse, et même certains membres du gouvernement, ont régulièrement accès à des éléments de procédures censées être secrètes et n'hésitent pas à les révéler au public. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles le site Mediapart, pour des motifs que la raison ignore ou n’ignore pas, s’était considéré légitime en dévoilant des enregistrements. Dans le dossier Bygmalion, les réquisitions du substitut du parquet, rendues publiques hâtivement, renvoient l'ancien président devant le tribunal correctionnel pour des faits pour lesquels il n'a même pas été mis en examen ; en d'autres termes, en l'absence de charges. Il appartiendra donc à la juridiction de jugement d'apprécier ou non le bien-fondé d'un tel renvoi. En effet, sur le fondement de l'article 385 alinéa 2 CPP, la juridiction de jugement qui constate que le prévenu renvoyé devant elle n'a pas fait l'objet d'une mise en examen par le juge d'instruction, est théoriquement tenue de renvoyer la procédure au ministère public pour lui permettre de saisir à nouveau la juridiction d'instruction par des réquisitions appropriées aux fins de régularisation. Mais au-delà du droit, la question se pose de savoir pourquoi le secret de l'instruction ne serait-il pas tout simplement supprimé du Code de procédure pénale puisqu'il est sans cesse violé ? Pourquoi ne pas mettre fin à ce qui semble présenter toutes les caractéristiques d'une hypocrisie ? En réalité, je pense que l’institution judiciaire ne souhaite pas supprimer le secret car il constitue la marque et l’attribut de son pouvoir ; un pouvoir qui, par essence, repose sur une relation inégalitaire entre des magistrats qui se considèrent, à tort ou à raison, comme omnipotents (le juge d’instruction n’était-il pas considéré comme l’ « homme le plus puissant » sous la IIIème République ?), et les non-magistrats, c’est-à-dire le reste de la population, susceptibles à tout moment, pour des raisons de pure légalité voire souvent d’opportunité, de faire l’objet de poursuites judiciaires. C’est en ce sens également qu’il faut comprendre le déséquilibre abyssal entre les pouvoirs dont disposent les juges et les avocats, une inégalité qu’aucun texte, en pratique, ne vient corriger. 

Philippe Goulliaud : Les relations entre Nicolas Sarkozy et les juges ont toujours été contrariées et orageuses. Plusieurs raisons l’expliquent. D’abord, Nicolas Sarkozy est avocat et on sait que les avocats se méfient parfois des juges et réciproquement. Ensuite, il a été ministre de l’Intérieur, "premier flic de France", ce qui a pu, à plusieurs reprises, tendre les relations avec la magistrature. Enfin, lorsqu’il est devenu président de la République en 2007, il a souvent bousculé les magistrats. On se souvient de sa fameuse formule sur les "petits pois". Il avait, en octobre 2007, critiqué l’uniformité de la magistrature : "Je n'ai pas envie d'avoir le même moule, les mêmes personnes, tout le monde qui se ressemble aligné comme des petits pois, la même couleur, même gabarit, même absence de saveur". Les "petits pois" ont parfois une mémoire d’éléphant. Nicolas Sarkozy a souvent reproché à la justice son laxisme, à l’occasion de faits divers au cours desquels l’assassin avait pu bénéficier d’une remise de peine ou être remis en liberté sous contrôle judiciaire.

Président de la République, il a redessiné la carte judiciaire, réforme difficile confiée à une Garde des Sceaux, Rachida Dati, qui a, elle aussi, bousculé l’institution. Il a fallu attendre la fin du quinquennat pour qu’un ministre de la Justice très consensuel, le centriste Michel Mercier, calme les irritations des juges.

Comment peut-on partager les responsabilités, entre les actes et les prises de parole de Nicolas Sarkozy, et les décisions des juges ? Faut-il y trouver une forme d'équilibre, ou au contraire, une responsabilité moins partagée ? 

Philippe Goulliaud : C’est en quelque sorte le jeu du chat et de la souris. Qui est le chat ? Et qui est la souris ?

Nicolas Sarkozy est un homme politique. Sa façon de réagir dans sa mise en cause par les juges, notamment dans cette affaire Bygmalion, est une réaction avant tout politique. Il se défend en attaquant sur le point qui lui paraît le plus faible : le calendrier de ce renvoi en correctionnelle. A quelques semaines de la primaire à droite et à huit mois de la présidentielle, son avocat, Me Thierry Herzog, a dénoncé "une nouvelle manoeuvre politique grossière", en reprochant au parquet sa précipitation. Les sarkozystes pointent la concomitance avec l’ouverture du procès de Jérôme Cahuzac, l’ancien ministre du Budget de François Hollande, comme s’il s’agissait d’une volonté de détourner l’attention. Pour Sarkozy, ce renvoi en correctionnelle peut, paradoxalement, être une chance. Il peut lui permettre de consolider sa base électorale, les militants Les Républicains purs et durs pour qui, évidemment, les juges ne cherchent qu’à régler leurs comptes avec lui. L’acharnement judiciaire dont les sarkozystes le disent victime pourrait grossir les rangs des fidèles de l’ancien président, bien déterminés à faire mordre la poussière à la gauche et pour qui il est le plus à même de gagner. Mais ce nouvel épisode judiciaire peut aussi être une épée de Damoclès au-dessus de la tête du candidat Sarkozy. Certains électeurs de la primaire pourraient s’inquiéter d’investir un champion menacé par la justice. Et puis, on l’a vu, ses rivaux de la primaire ne se sont pas précipités pour voler à sa rescousse. Ce renvoi en correctionnelle rappelle d’ailleurs la charge récente de François Fillon.

Du côté des magistrats, on assiste à une volonté d’afficher leur indépendance vis-à-vis des hommes politiques. Même s’il y a une concordance des temps troublante, les juges se défendront d’avoir voulu interférer avec la primaire. La justice ne veut pas courir le risque d’être accusée de mener un procès politique, sans laisser jouer la démocratie. Reste que le temps politique, souvent très rapide, et le temps judiciaire, toujours lent, n’ont pas les mêmes exigences. Le procès, s’il devait avoir lieu, n’interviendrait pas avant de longs mois.

Qu'en est-il de la presse, qui se fait souvent le relais médiatique des joutes judiciaires de l'ancien résident de l'Élysée ? Peut-on également parler de traitement médiatique particulier à l'égard de Nicolas Sarkozy ? Comment a pu évoluer ce traitement au fil des années ? 

Philippe Goulliaud : Indéniablement, Nicolas Sarkozy est ce que l’on appelle "un bon client". Avec lui, la presse sait qu’elle aura toujours quelque chose à raconter. L’ancien président est un expert de la communication. Il sait, mieux que ses rivaux, créer des événements autour de sa personne et autour de ses propositions. Il fascine les journalistes, qu’ils l’aiment, le craignent ou le combattent. S’agissant du traitement médiatique des affaires qui le concernent, il est finalement assez classique. Les affaires, qu’elles touchent la gauche ou la droite, ont toujours été largement couvertes par la presse. En pleine campagne de la primaire à droite, ce développement judiciaire est un événement important, quel que soit le jugement que l’on peut porter sur la décision de renvoi. Il est logique qu’on en parle et que cela fasse débat. Nicolas Sarkozy, et c’est une très bonne chose, a toujours réussi à faire valoir les éléments de sa défense. Il va continuer à le faire.

Depuis la défaite de Nicolas Sarkozy en 2012, ses relations avec les médias sont passées par plusieurs phases. Dans un premier temps, la presse ne croyait plus beaucoup en ses chances. Elle s’est mise à penser qu’Alain Juppé, le favori des sondages, avait gagné la partie avant même qu’elle ne commence. Depuis quelques mois, le vent a tourné. Nicolas Sarkozy s’est lancé dans une reconquête méthodique, en reprenant la présidence du parti, en y remettant de l’ordre et du débat, en surfant sur les victoires électorales de la droite. Et tout récemment, en transformant l’annonce de sa candidature à la primaire en événement alors que personne ne doutait de sa décision. Aujourd’hui, beaucoup de journalistes sont convaincus qu’il a toutes les cartes en main pour gagner la primaire. Et certains se mettent à rêver d’une revanche du duel Hollande-Sarkozy de 2012. Ce serait alors l’affrontement de deux "come-back kids". Une histoire somme toute très romanesque. Reste à savoir si les électeurs choisiront ce scénario inattendu.

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