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Après la sortie de la pauvreté, le nouveau défi de la Chine et des grands Emergents : trouver un modèle de développement économique qui leur permettra de sortir de la trappe à revenus intermédiaires
©DR

Recette miracle

Les pays industriels pauvres en matière premières d'Asie du Sud-est et les pays riches en ressources naturelles mais très peuplés d'Amérique Latine sont pris dans ce qui a été qualifié de "trappe à revenus intermédiaires". S'il n'y a pas de stratégie unique à mener pour rejoindre le club des pays riches, plusieurs pistes peuvent être explorées : développement des innovations, investissements dans le capital humain et l'éducation, construction d'infrastructures.

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

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Atlantico : Si l'essor du capitalisme a permis une réduction du phénomène de la trappe à pauvreté au niveau des états, de plus en plus de pays se sont trouvés coincés dans la trappe à revenus intermédiaires. Quelles sont les stratégies qui ont permis à certains pays de passer du statut de pays pauvre à celui de pays à revenus moyens ? De quels pays s'agit-il ?

Jean-Marc Siroën : Le terme de "pauvre" pour qualifier un pays est à manier avec précaution. Le revenu moyen est un indicateur statistique trompeur. Lorsque les inégalités sont fortes, un pays peut être "riche" avec une population pauvre. 

Cette réduction du nombre de pays à faible revenu est relativement récente et postérieure au capitalisme et à l’indépendance de ces pays. En 1994, 56,1 % de la population du globe vivait dans les pays à faible revenu contre 8,5 % en 2014. Si, les années 1980 furent des années "perdues" du développement du moins en Afrique et en Amérique latine, le début du XXIeme siècle est une revanche des pays en développement. Mais ce retournement est aujourd’hui remis en cause par la crise des pays émergents. 

Il n’existe certainement pas de stratégie miracle. Les pays en développement  ou émergents ont bénéficié d’un exceptionnel "alignement des planètes". La croissance chinoise a tiré la croissance mondiale et, en même temps, favorisé une hausse du prix des matières premières extraordinairement favorable aux pays producteurs "pauvres". La forte croissance chinoise a donc pu se propager au reste de l’Asie, à l’Afrique et à l’Amérique latine. D’une certaine manière, il s’agissait pour beaucoup d’entre eux d’une manne tombée du ciel, gonflant un revenu monétaire qui a été trop rarement consacré à des projets de développement plus durables comme le montre aujourd’hui la situation affligeante du Brésil ou du Venezuela ! A contrario, la remise en cause du modèle de développement chinois et la chute du prix des matières premières font aujourd’hui douter de la pérennité de taux de croissance souvent à deux chiffres et donc de l’accession rapide de nombreux pays au statut de pays "riche".

Parmi les pays appartenant à la catégorie des revenus intermédiaires, quels sont les différents types de profil ? Sur quelles bases peuvent-ils s'appuyer pour passer à un stade supérieur de développement ? Quels sont les exemples à suivre, et quelles sont les difficultés rencontrées ?

La Banque Mondiale considère comme "intermédiaire" des pays avec des revenus moyens en réalité très différents : entre 1 046  et 4 125 dollars pour les intermédiaires "inférieurs" et entre 4 126  à 12 735 dollars pour les intermédiaires "supérieurs". Le revenu moyen des pays intermédiaires peut donc varier de 1 à 12 ! L’ensemble comprend plus de 100 pays, qui comprennent les cinq BRICS. Ils sont très différents en taille,  en ressources, en systèmes politiques, en héritage culturel et … en niveau de développement et structures démographiques. On ne trouvera donc pas de profil type et il faut se garder de préconisations qui auraient une portée universelle comme sont parfois tentées de le faire les organisations internationales. On peut néanmoins distinguer les pays, dépourvus de matières premières, qui fondent leur économie sur des stratégies mercantilistes de développement industriel. Ils sont surtout situés en Asie, la Chine et l’Inde étant les exemples les plus spectaculaires, auxquels on peut ajouter des pays comme le Vietnam ou le Bangladesh entrés plus récemment dans le club des intermédiaires. A côté, on trouve  en Afrique, en Amérique latine, dans le Golfe ou en Europe centrale et orientale, des pays qui s’appuient sur la production de matières premières, minières ou agricoles. Ces pays sont exposés non seulement à la volatilité des cours mondiaux, mais à la "malédiction des matières premières" liée aux rentes qui nourrissent la corruption et l’instabilité politique.

Cette économie de rente contribue par ailleurs à évincer les autres activités productives en poussant les salaires et le taux de change vers le haut, minant ainsi la compétitivité de l’industrie et de l’agriculture (ce que les économistes appellent le "mal hollandais"). Les premiers ont évidemment plus de chances d’entrer durablement dans le club fermé des  pays à revenu élevé. Parmi ceux qui, depuis 1960, sont passés dans cette catégorie, on relève beaucoup de pays asiatiques (Corée, Taiwan, Singapour, Hong Kong, Japon) mais aussi des pays aujourd’hui membres de l’Union européenne (Irlande, Grèce, Espagne, Portugal). Ils ont progressivement ouvert une économie initialement très fermée. Ils ont souvent démocratisé  leurs institutions et donné la priorité à l’éducation et aux infrastructures. Le soutien des Etats-Unis ou de l’Europe n’a pas été non plus un élément négligeable. On remarquera qu’à l’exception du Japon, qui a d’ailleurs stagné depuis 20 ans, on ne compte aucun grand pays parmi ces entrants. Les plus petits, ont choisi de se spécialiser finement en adoptant  des stratégies certes "déloyales", comme le "dumping" fiscal, qui se sont néanmoins révélés efficaces pour attirer les firmes multinationales. Dans ces petits pays, la difficile réallocation des ressources humaines de la campagne vers la ville est moins moins complexe. Elle est même inexistante dans les cités-états comme Hong Kong ou Singapour qui adoptent des stratégies très spécifiques de "hub" pour les exportations chinoises. 

Au regard de la situation et des tendances actuelles, comment peut-on imaginer les niveaux de développement des pays intermédiaires actuels ? Comment imaginer une carte du monde économique à horizon 20 ans ? A quels changements majeurs doit-on s'attendre ?

Les pays "rentiers" verront leur statut indexé sur le prix des matières premières qui dépend lui-même de la conjoncture mondiale. Cela a pu suffire à certains pays pour se hisser au rang de pays à revenu élevé comme les pays pétroliers peu peuplés (Arabie Saoudite, Qatar,…) voire un producteur de cuivre comme le Chili. Mais, avec la chute actuelle du prix des matières premières, certains pourraient régresser. On pense, parmi d’autres, au Venezuela, ou … à la Mongolie. Les pays qui ont fondé  leur croissance sur l’industrialisation,  sont a priori plus solides, mais ils se heurtent néanmoins à des limites assez bien identifiées.  Une fois un certain niveau de développement atteint, les salaires tendent en effet à augmenter. En Chine,  ils  ont triplé en dix ans. Cette évolution est due au tassement de l’exode paysan et donc à une certaine raréfaction de la main d’œuvre, mais aussi, et peut-être surtout,  à des revendications  sociales elles-mêmes attisées par la croissance des inégalités et par la volonté des moins favorisés de se rapprocher du niveau de vie des classes moyennes. La compétitivité de ces pays est alors affaiblie dans  les industries exportatrices  traditionnelles, utilisatrices de main d’œuvre, comme le textile ou les produits industriels assemblés dans les zones économiques spéciales. Une transition est donc nécessaire pour atteindre un taux de croissance qui permettrait de passer le seuil du club des pays à revenus élevés.  

Pour réussir, cette transition  impose une stratégie économique claire qui soit cohérente avec les ressources et la localisation géographique du pays. Elle doit conduire à une augmentation de la productivité. Elle exige de l’état qu’il définisse des priorités au-delà même du nécessaire soutien à la formation et aux infrastructures : quels secteurs ? Quels programmes scientifiques encourager? Cette stratégie doit être appropriée par les entreprises, nationales ou étrangères. L’état ne doit pas être capté par une élite conservatrice qui serait, de plus, corrompue. La transition, qui génère des perdants, repose enfin sur une politique sociale qui la rende acceptable. Une des raisons du succès des pays asiatiques a été de limiter, voire de réduire les inégalités. Les populations adhèreront à cette transition si elles s’attendent à en recueillir les fruits. 

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