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Petit mémo chiffré à l'attention de ceux qui auraient entendu Michel Sapin affirmer que depuis 2014, le gouvernement rend aux Français le fruit de leur effort
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Docteur Michel et Mister Matraque Fiscale

Dans un entretien accordé à Jean-Jacques Bourdin, Michel Sapin a déclaré ce jeudi 1er septembre qu'entre 2010 et 2013, "on a utilisé l'impôt pour régler les problèmes. Depuis 2014, nous rendons aux Français le fruit de leurs efforts".

François Ecalle

François Ecalle

François Ecalle est ancien rapporteur général du rapport annuel de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques ;  ancien membre du Haut Conseil des finances publiques, Président de FIPECO et fondateur du site www.fipeco.fr sur les finances publiques.

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Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Bœuf est administrateur général. Auteur de nombreux ouvrages, son dernier livre : les très riches heures des territoires (2019), aux éditions Population et avenir. Il est actuellement directeur général des services du conseil départemental de la Drôme (26)

 

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Atlantico : Dans quelle mesure le nouveau ministre de l'Économie est-il dans l'erreur ? Quelle est la pertinence du propos qu'il tient ? Les Français récupèrent-ils "le fruit de leurs efforts" ?

François Ecalle :  En 2009, le déficit public représentait 7,2 % du PIB et la France s’est engagée en janvier 2010 auprès de nos partenaires de l’Union européenne à le ramener au-dessous de 3,0 % du PIB en 2013. Un effort important de réduction de la composante structurelle du déficit (celle qui n’est pas liée aux fluctuations de l’activité économique) a été engagé à partir de 2011 pour respecter cet engagement. Contrairement à ce que les autres pays ont fait, il a porté essentiellement sur les prélèvements obligatoires, impôts et cotisations sociales, et non sur les dépenses publiques. Les mesures nouvelles de hausse de ces prélèvements ont atteint 4 points de PIB, soit environ 90 Md€, sur les années 2011-2014 (22 Md€ en 2011, 24 Md€ en 2012 dont la responsabilité est partagée entre les gouvernements qui se sont succédées et 44 Md€ en 2013-2014). Il est donc malheureusement vrai qu’on a utilisé l’impôt pour régler les problèmes.

En revanche, les français n’ont pas encore récupéré le fruit de leurs efforts. En 2015 et 2016, l’impact global des mesures fiscales et sociales nouvelles a été quasiment nul. Les baisses des impôts sur le revenu et sur les sociétés ou de certaines cotisations sociales ont été à peu près compensées par les hausses des impôts locaux ou sur les produits énergétiques ou d’autres cotisations sociales. S’agissant de 2017, les mesures inscrites dans le pacte de responsabilité et de solidarité étant devenues caduques en juin dernier, il n’y a plus de certitude sur ce que le Parlement va finalement voter.

Récompenser les Français en 2017 par de fortes baisses d’impôts serait d’ailleurs une grave erreur de politique économique. Le déficit public est encore supérieur à 3 % du PIB et la dette approche 100 % du PIB. Dans ces conditions, la reprise de la croissance, certes limitée, doit permettre de réduire le déficit et non, comme la France l’a trop souvent fait dans le passé, de vider une illusoire cagnotte budgétaire.

Jean-Luc Bœuf : Tout d'abord, il est un peu surprenant de qualifier l'impôt comme outil propre à "régler les problèmes". L'impôt est la contrepartie des services rendus à la Nation. Il doit être juste et proportionné. Le Conseil constitutionnel le rappelle à l'occasion.

La question de l'impôt concerne les particuliers et les entreprises. A la question "paie-t-on moins d'impôt aujourd'hui qu'au début du quinquennat", la réponse est non. Depuis 2012, les recettes annuelles de l'impôt sur le revenu n'ont fait qu'augmenter, de plus de 10 milliards d'euros en 2016 par rapport à 2012.

Rappelons également que le taux normal de la TVA est passé dans le même temps de 19,6 % à 20 % et le taux réduit de 7 à 10 %.

Il est un domaine où les résultats de l'actuel quinquennat sont meilleurs que ceux du quinquennat précédent. C'est celui du déficit annuel de l'État. Encore convient-il de préciser que les forts déficits des années 2009-2010 sont dus au plan de relance et au grand emprunt ; deux mesures qui ont permis de soutenir les investissements des entreprises et des collectivités.

Qui, au sein de la population mais aussi de l'ensemble des acteurs économiques, a le plus souffert fiscalement au cours de la période dont parle Michel Sapin ? A l'inverse, qui en a le plus profité ?

Jean-Luc Bœuf : Le nombre de foyers imposés a fortement baissé depuis 2014. Pour ce qui est de l'imposition des plus aisés, si le Conseil constitutionnel a censuré la mise en place d'un taux à 75%, le président Hollande a créé une tranche supplémentaire à 45%, et ce dès 2013. L'abaissement de l'avantage fiscal du quotient familial a eu pour conséquence d'augmenter de façon très importante la fiscalité des familles nombreuses et relativement aisées.

Les propos du nouveau ministre des Finances ne sont donc pas exacts, sauf pour les foyers les plus modestes. Tout aussi grave, la France est le seul État de l'OCDE à n'avoir dégagé aucun excédent budgétaire depuis 1979. Alors que la situation économique n'a rien à voir avec les années très sombres de 2008-2009.

François Ecalle : Il est très difficile d’apporter une réponse rigoureuse à cette question. Beaucoup de mesures fiscales et sociales nouvelles touchent en effet les entreprises mais, en réalité, ce sont les actionnaires, les salariés et les clients de ces entreprises qui sont affectés, dans des proportions qu’il est quasiment impossible en pratique de déterminer.

Si on s’en tient aux impôts et cotisations sociales dont les ménages sont directement redevables et si on y ajoute les prestations sociales sous conditions de ressources, il apparait que leur contribution à la réduction des inégalités est un peu plus forte en 2014 qu’en 2011. Globalement, les mesures relatives à ces prélèvements et à ces prestations semblent donc avoir pesé un peu plus sur les ménages les plus riches et un peu moins sur les plus pauvres.

Quelle est la véritable ardoise fiscale que François Hollande laisse à son successeur, et aux Français, outre la seule question de l'impôt ? Pour quelles conséquences sur l'économie ?

François Ecalle : La véritable ardoise fiscale laissée par François Hollande, et ses prédécesseurs, est une dette publique qui atteignait 2 100 Md€ au début de 2016, soit 96 % du PIB. Certes, elle a augmenté de 21 points de PIB de 2007 à 2011 puis de "seulement" 11 points de 2011 à 2015. Mais, d’abord, les années 2008-2009 ont été marquées par une crise mondiale sans précédent et la dette publique allemande a elle-même augmenté de 15 points de PIB de 2007 à 2011 ; ensuite, la conjoncture mondiale a été plus favorable de 2011 à 2015, période sur laquelle la dette allemande a ainsi diminué de 7 points.

Plus l’endettement public augmente, plus les risques de crise des finances publiques sont élevés, plus il est difficile de stabiliser la dette et plus les effets positifs keynésiens des déficits publics sont faibles. Il ne faut donc pas attendre pour ramener la dette publique à un niveau plus raisonnable, même si c’est au prix d’une croissance un peu plus faible. Pour y arriver, il est désormais urgent de réduire des dépenses publiques qui représentent 57 % du PIB, alors que la moyenne est inférieure de 10 points dans l’Union européenne. C’est beaucoup plus important que de donner aux Français les fruits encore trop verts de leurs efforts.

Jean-Luc Bœuf : L'ardoise laissée par le président sortant à mesure à trois éléments que sont les prélèvements obligatoires (le présent), la dette (le passé) et les investissements (le futur).

Les prélèvements obligatoires ont augmenté durant les quatre premières années du présent quinquennat. Ils dépassent aujourd'hui les 45 %. Ces prélèvements obligatoires bénéficient pour plus de la moitié aux organismes de sécurité sociale. Ce qui fait de la France l'un des pays où le montant des prélèvements obligatoires est le plus élevé.

La dette publique approche désormais les 100 % du PIB, contre 80 % du PIB en 2012. Durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, la dette publique était passée de 65 % à 80 %. Et encore convient-il de préciser que la crise de 2008 s'est traduite par la plus forte contraction de PIB que la France ait connue depuis la Libération. La dette publique de la France s'élève donc aujourd'hui à près de 2150 milliards d'euros. Elle augmente de près de 40 milliards d'euros chaque trimestre. Si, au cours du quinquennat, la charge de la dette a baissé certains trimestres, c'est en raison de taux d'intérêt très faibles, lesquels échappent, bien sur, à l'action du chef de l'État.

Les investissements de l'État sont l'un des points noirs de la France. Jamais l'État n'a si peu investi. Sa part dans les politiques mises en place par les contrats de plan État-régions (CPER) diminue de génération en génération. Les "mesures" et autres "plans" nationaux, annoncés à chaque fois à grand renfort d'opérations de communication, se traduisent désormais en millions d'euros là où, naguère, il s'agissait de milliards d'euros. Dernier exemple en date, les annonces des mesures pour renforcer la sécurité dans les établissements scolaires. La ministre de l'Education a parlé de 50 millions d'euros. Pour l'ensemble du territoire. Soit moins de 1000 euros par école...

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