"Je me suis approché de lui, et lui ai tiré une balle dans la tête" ; à la rencontre de Maria, mère de famille et tueuse à gage au sein des milices anti-drogues philippines<!-- --> | Atlantico.fr
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Rodrigo Duterte, le président des Philippines, a promis de "nettoyer" le pays des trafiquants de drogue.
Rodrigo Duterte, le président des Philippines, a promis de "nettoyer" le pays des trafiquants de drogue.
©Romeo Ranoco / Reuters

Double vie

Depuis que le Philippin Rodrigo Duterte est arrivé à la tête du pays le 30 juin 2016, il mène la vie dure aux trafiquants de drogue. Il a même autorisé les habitants à tuer les dealers présumés sans autre forme de procès. Maria est mère de famille le jour, tueuse à gages la nuit.

C'est un témoignage révélateur de la situation chaotique qui règne dans les Philippines, que le journaliste Jonathan Head a retranscrit dans un article publié sur le site de la BBC. Le journaliste britannique correspondant en Asie du Sud-Est a rencontré Maria et Roger (dont les prénoms ont été changés), respectivement tueuse à gages et trafiquant de drogue. Deux personnes dont les destins devraient se croiser, depuis que le nouveau président du pays, Rodrigo Duterte, mène une politique de terreur sur le territoire en incitant la population à prendre les armes et à se débarrasser des dealers de rue d'une balle dans la tête.

L'habit ne fait pas le moine : en rencontrant l'un des assassins qui se font payer par le gouvernement pour tuer les dealers et consommateurs de drogue, Jonathan Head ne s'attendait certainement pas à voir arriver vers lui une jeune femme, bébé au bras. Maria est une habitante de Manille, la capitale du pays, que la police philippine paie pour tuer. Et elle n'est pas la seule : depuis que Rodrigo Duterte est arrivé au pouvoir, la situation aux Philippines a tout d'un film dystopique aux allures de American Nightmare.

"Oubliez les droits de l'Homme"

L'ancien avocat de 71 ans élu à 39% des voix – scrutin uninominal à un tour oblige – a promis de "nettoyer" son pays des trafiquants de drogue. Et autorise les citoyens eux-mêmes à passer  à l'action : "Appelez-nous ou appelez la police, sinon faites-le vous-même si vous avez une arme, vous avez mon soutien" avait-il déclaré. Les Philippins n'en demandaient pas tant : depuis le 1er juillet, quelque 1900 meurtres ont été commis, dont environ 750 par la police. Le reste est l'œuvre des habitants et des milices qui se sont mises en place au sein des villes.

La terreur a au moins une utilité : près de 700 000 trafiquants et consommateurs de drogues se sont rendus à la police. Mais les prisons sont bondées. Au sein du centre pénitentiaire de Quezon, il y a 3950 détenus pour 800 places. Des conditions insalubres qui confirment un peu plus que Duterte ne compte pas s'encombrer des droits de l'Homme. De toute manière, il avait lui-même prévenu : "Oubliez les droits de l'Homme. Si je deviens président, ça va saigner". Une sortie polémique parmi tant d'autres, qui feraient passer Donald Trump pour un enfant de chœur.

Itinéraire d'une tueuse

Mais revenons à Maria, cette femme au statut particulier, puisqu'elle obtient une récompense de la part de la police pour chaque assassinat. La nuit avec son mari, elle parcourt la ville en moto à la recherche de trafiquants. Au départ, son mari agissait seul. Puis il lui a demandé de l'aider, car une femme réveille moins les soupçons qu'un homme qui s'approche de sa victime. Elle raconte : "Ma première mission s'est déroulée il y a deux ans, non loin d'ici. J'étais très effrayée et nerveuse parce que c'était la première fois que je faisais cela […] Quand j'ai vu l'homme que je devais tuer, je me suis approchée de lui et lui ai tiré une balle dans la tête".

Aujourd'hui, elle a déjà tué six personnes. Et pour chaque assassinat, elle touche 20 000 pesos philippins, soit 380 euros, qu'elle partage avec les deux autres femmes de son unité. Une coquette somme qui représente la principale motivation de Maria. Car si la drogue fait des ravages sur l'archipel, c'est surtout pour joindre les deux bouts que la jeune femme commet ces exécutions en pleine rue. Dans cet archipel, un quart de la population vit sous le seuil de pauvreté. Et le typhon Haiyan, qui a impacté 9 millions de personnes en 2013, n'a pas aidé.

Drogue et meurtres, engins de destruction massive

Et dans tant de misère, il est difficile de trouver une autre échappatoire que celle de la drogue. La méthamphétamine particulièrement, appelée "shabu" en Asie du Sud-Est, fait des ravages. Pour vingt euros, cette drogue très addictive provoque une sensation d'extase totale. Roger est l'un de ces dealers et addict que Jonathan Head a rencontré. Conscient de la misère sociale à laquelle il participe, il n'accepte tout de même pas la chasse à l'homme dont il est victime : "J'ai fait de nombreuses mauvaises choses. J'ai causé beaucoup de tort aux gens en les rendant accros. […] Je suis un addict, mais je ne tue pas. Je suis un addict, mais je ne vole pas. Et de faire part de ses peurs : "Je n'arrive pas à sortir cette peur de ma poitrine. C'est vraiment éprouvant et effrayant de se cacher constamment. Tu ne sais pas si la personne en face de toi va te dénoncer, ou s'il s'agit d'un tueur à gages. C'est difficile de dormir la nuit. Un simple petit bruit, et je me réveille. Et le plus dur est de ne pas savoir à qui faire confiance, de ne pas savoir dans quelle direction aller chaque jour pour trouver un endroit où me cacher". Une situation difficile à supporter pour celui qui pensait que cette guerre contre la drogue viserait les producteurs et les gros trafiquants, et non les dealers de rue comme lui.

Maria, elle aussi, a du mal à tenir cette cadence morbide. "Je me sens coupable, et c'est difficile pour mes nerfs. Je ne veux pas que les familles de ceux que j'ai tués me traquent", s'inquiète-t-elle. Elle a peur de ce que ses enfants vont penser, alors que l'ainé commence déjà à se demander comment ses parents gagnent autant d'argent : "Je ne veux pas qu'ils viennent me voir et qu'ils me disent qu'ils ont pu vivre parce que j'ai tué pour de l'argent". Maria est piégée. Elle dit que si elle quitte ses fonctions de tueuse à gages, les policiers qui la dirigent la tueront à son tour. Des regrets et une culpabilité que Maria confesse régulièrement sur les prie-Dieu de l'église la plus proche.

Mais Dieu entendra-t-il ses prières, assourdi par les bruits des coups de feu ? Rien n'est moins sûr. 

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