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De Pikachu aux bébés pandas : pourquoi les photos d’animaux mignons vous retournent si facilement le cerveau
©Reuters

Oooooooohhhhhhh !!!

Il est de notoriété publique que "le sexe fait vendre", mais plusieurs études affirment que les choses "cute" (ou "mignonnes" en français) ont également un impact significatif sur les comportements mercantiles du grand public.

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini est docteure en sociologie de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et et actuellement chercheuse invitée permanente au CREM de l'université de Lorraine.

 

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Atlantico : Pourquoi est-on plus susceptible, comme le mentionne les nombreuses études citées dans un article du Washington Post (voir ici), de concentrer notre attention sur une chose que l'on pourrait qualifier de "cute" ou de mignonnes comme un bébé ou un Pikachu, plutôt que sur quelque chose qui interpelle notre raison et notre intelligence ? De quelles manières ces images nous sollicitent-elles ?

Nathalie Nadaud-Albertini : On est plus susceptible de focaliser notre attention sur quelque chose que l’on peut qualifier de "cute", de mignon, ou de "kawaï" parce que cela fait appel à nos affects. Les formes arrondies, les grands yeux, les nez en boutons rappellent les visages de bébé. La première envie est de les protéger. La seconde de leur faire spontanément confiance. La troisième d’en faire un vecteur pour entrer dans un univers protecteur, une sorte de cocon maternant où rien de mauvais ne peut arriver, où tout se déroule sur le mode du jeu, et surtout où rien ne blesse jamais. Où tout se passe dans l’harmonie, la pureté, la douceur. Ces images nous invitent ainsi à renouer avec une vision idéalisée du monde de l’enfance. Je parlais tout à l’heure des formes arrondies rappelant les visages de bébé, mais il n’y a pas que ce code visuel. En effet, le "cute" ou le "kawaï" utilisent également des couleurs acidulées ou pastels qui rappellent les bonbons de notre enfance. Un bonbon est donné par une personne aimante, comme une gratification ou une consolation. C’est un plaisir facile et rapide qui vient compenser, effacer un petit chagrin. Y faire référence, c’est inviter à se replonger dans la dimension protégée, ludique et consolatrice de l’enfance.

Dans quelle mesure le fait de capitaliser sur une image "cute" et mignonne peut-elle influencer le comportement, en particulier mercantile, de toutes les personnes qui y sont confrontées tous les jours à la télévision, sur internet ou sur les affiches publicitaires ?

Le comportement de toute personne confrontée à ce genre d’images est d’"aller vers", c’est-à-dire de ne se situer que dans l’émotion positive, la confiance, le désir de protection (à la fois de protéger et d’être protégé), d’harmonie, de douceur, de pureté. Une publicité comme celle d’Evian avec "Live Young" est très astucieusement conçue pour inciter à l’achat, parce qu’elle promet à tout un chacun de retrouver le bébé qui est en lui. Le slogan, les images de bébé, et le visuel de l’eau sont une forme de représentation du ventre maternel, le cocon protecteur par excellence. Et la promesse du slogan est de vivre toute sa vie comme si on était un bébé. C’est-à-dire protégé par l’eau qui empêche les choses dures de la vie d’atteindre celui qui la boit. Une sorte de fontaine de jouvence en somme. On retrouve cette promesse de protection et de douceur dans d’autres produits. Comme les voitures dont les formes ont tendance à être de plus en plus arrondies et les couleurs de plus en plus acidulées. Quoi de mieux pour vendre une voiture que de faire appel au besoin de protection ? Surtout à une époque où on insiste (à juste titre) sur les dangers de la route. Même chose pour la tendance des cosmétiques à proposer des produits aux couleurs acidulées et aux parfums fruités, en insistant sur leur dimension ludique. Ou les produits de bien-être (des cosmétiques aux bougies d’intérieur en passant par les produits ménagers) qui mobilisent des références à l’univers zen. On retrouve des visuels ronds, aux couleurs pastels, qui promettent l’harmonie, la douceur, la sérénité. On a donc un vaste marché du cocon protecteur, et des stratégies marketing qui y sont associées, qui vont d’ailleurs jusqu’au marché bio, puisque c’est l’idée d’une nature protégée qui protège la santé en retour, autrement dit de la Mère Nature, qui est mise en évidence. Autrement dit, le "cute" ou le "kawaï" n’est que la partie émergée de l’iceberg d’un immense marché du cocon protecteur qui se décline de multiples façons. Mais on va rester ici sur le thème du mignon.

Que cela peut-il nous dire sur notre société, notre rapport aux images et les émotions que celles-ci font émerger ?

Le phénomène "cute" fonctionne parce que dans notre société, l'individu vit dans l'incertitude de la crise, l'angoisse du chômage ou du déclassement, associé à une très forte responsabilisation. C'est-à-dire que depuis les années soixante, l'idée de destin de classe n'a plus cours. Avant, pour se construire l’individu suivait le chemin balisé par les institutions qui lui assignaient une place en fonction de son origine sociale. Depuis les années 60, une autre norme de construction de l’individualité s’est installée. On demande désormais à l’individu d’inventer sa vie, d’être maître de son propre destin, indépendamment des assignations de classes sociales, de genre ou d’origine ethnique. L'individu devient alors le seul responsable de ses réussites et de ses échecs, y compris quand il est confronté à une situation comme la crise actuelle, incertaine et violente sur laquelle il n’a pas entièrement prise. En bref, le "kawaï" parle de notre société en la décrivant comme une société où la consommation se fait sur le mode de la consolation, pour se sentir protégé d’un monde incertain.

Propos recueillis par Thomas Gorriz

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