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Le mythe du parent démissionnaire
©Reuters

Bonnes feuilles

Et si le rôle parental n'était pas aussi déterminant qu'on le croit ? Fruit de trente ans d'observations et d'accompagnement au sein de son travail d'éducateur, le livre d'Étienne Liebig égratigne avec humour les dogmes et normes supposés éternels - Église, école, médecine, psychanalyse, pédagogie - et ouvre la réflexion sur ce que signifie aujourd'hui une "bonne éducation" au regard de ce qu'elle signifiait hier. Un essai un brin provocateur pour déculpabiliser les parents qui doivent se réapproprier l'éducation de leurs enfants et accepter d'être en concurrence avec une nouvelle forme de liberté qui leur est donnée. Extrait de "La bonne éducation", d'Etienne Liebig, aux éditions Michalon 2/2

Étienne Liebig

Étienne Liebig

Éducateur spécialisé en Seine-Saint-Denis, Etienne Liebig est romancier, essayiste, anthropologue et chroniqueur aux Grandes Gueules sur RMC. Il est l'auteur des livres suivant : "Les ados sont insupportables mais ce sont nos enfants" (2009) ; "Les pauvres préfèrent la banlieue" (2010) ou encore "De l'utilité politique des roms" (2012) et "Les Nouveaux cons (I et II)" en 2013.

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Combien de fois au cours de ma carrière d’éducateur ai-je entendu cette histoire facile et qui justifie bien des décisions du « parent démissionnaire » : ce parent qui ne s’occuperait pas de ses enfants, dépassé qu’il serait. Un parent très différent du bon parent qui, lui, est soucieux de son enfant et n’a pas baissé les bras devant les difficultés. Pour ma part, et c’est le sujet de cet ouvrage, je pense plutôt que chaque parent est confronté à une forme de confiscation de son rôle, différente selon les époques et les latitudes, avec laquelle il compose au mieux. Cette confiscation peut être vécue fort différemment d’une famille à l’autre selon les événements, mais partout, et depuis toujours, la société a exercé une forme de contrôle sur l’éducation des enfants. Les raisons en sont multiples mais notre histoire sous-tend probablement l’idée que les parents ne sont sans doute pas les meilleurs pour donner aux enfants une éducation rigoureuse (je ne parle pas d’instruction) et qu’il était bon de les guider et de se substituer à eux dès que possible. Les parents ne sont pas plus démissionnaires qu’ils ne l’étaient : ils ressentent une forme d’incompétence face aux messages venus de toute part et souvent contradictoires. Je me suis amusé ainsi à regarder ce que disent les articles et les guides sur la question des écrans et de l’adolescence.

J’ai consulté des ouvrages et des articles récents (2014/2016). Remarquons tout d’abord le décalage entre ce que disent les spécialistes et la réalité. Ainsi, on met en garde abondamment contre Facebook alors même que ce réseau n’est pratiquement plus utilisé par les jeunes au profit de Snapchat et autres. Les spécialistes étudieraient-ils leur propre usage des réseaux ? Bien sûr, on présente les aspects négatifs (exposition de l’intimité, le vol d’identité, la pédophilie, les contenus choquants, les arnaques, le harcèlement, etc.) En fait, il semblerait que ces études ne s’appuient pas sur des entretiens avec des adolescents mais plutôt sur des recherches menées par les adultes eux-mêmes pour essayer de dénicher les contenus à risques. Comme je l’ai indiqué, les constats des éducateurs et professionnels de terrain travaillant avec des ados indiqueraient plutôt une relative maîtrise de l’outil et une forme d’auto-contrôle dont les adultes ne semblent pas capables. Mais le plus intéressant est sans doute les conseils aux parents qui sont bien sûr les responsables de la situation.

Limitez la navigation et les échanges dans un périmètre adapté à l’âge et aux besoins du jeune ;

Discutez régulièrement avec votre enfant de ce qu’il fait sur Internet ;

Apprenez aux enfants l’importance de la protection des infos personnelles ;

Expliquez que s’il ou elle est victime de harcèlements, il ou elle doit prévenir un adulte.

Bah alors ! La solution est simplissime. Votre ado passe son temps sur les écrans et se met donc en danger ? Vous devez lui demander ce qu’il y fait et l’empêcher d’y aller.

En règle générale, les spécialistes qui suivent les ados dans un cabinet en relation duelle en ont une vision très partielle, d’autant que leur regard est systématiquement orienté selon la vision psychanalytique. Dans l’intégralité des ouvrages, les problèmes de l’adolescent sont relatifs aux désordres liés à la famille, à l’autorité parentale, à la « démission éducative » voire à un Œdipe mal assuré. Très étonnamment, la vie collective au sein d’un groupe ou d’une génération spécifique est très peu prise en compte, alors que cela constitue l’essentiel de la vie d’un adolescent en termes de temps et d’influences, et très souvent aussi l’essentiel des soucis des parents avec leurs enfants. Il n’y a pas de parents démissionnaires, mais bien souvent des parents qui n’ont aucune réponse cohérente en leur pouvoir face à des ados qui leur échappent. Le fait d’être pointé du doigt par l’école, la famille, les psys, les médecins, les voisins et, parfois, le jeune lui-même, n’arrange rien ; au contraire, les parents sont réellement tétanisés et ne savent plus quelle attitude adopter, de peur de mal faire devant ces gamins qui ne semblent plus être les leurs. Se sentir perdu au point d’abandonner un temps la partie de bras de fer qui se joue avec un ado au sein de la famille n’est pas une démission mais plutôt un acte pédagogique comme un autre et bien souvent un acte de survie.

Extrait de La bonne éducation, d'Etienne Liebig, publié aux éditions Michalon, août 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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