Et si Barack Obama avait suivi François Hollande dans sa volonté d’intervenir contre la Syrie de Bachar el-Assad en août 2013, où en serions-nous aujourd’hui ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président des États-Unis est certainement l’homme le mieux renseigné de la planète et il est légitime de se demander s’il n’a pas eu un "doute" sur l’origine de ces atrocités…
Le président des États-Unis est certainement l’homme le mieux renseigné de la planète et il est légitime de se demander s’il n’a pas eu un "doute" sur l’origine de ces atrocités…
©Reuters

Géopolitique-fiction

Suite à l'utilisation d'armes chimiques par le régime syrien contre ses populations civiles en août 2013, aucune opération aérienne n'a été déclenchée, et ce en dépit de la volonté française et de la ligne rouge fixée par les Etats-Unis. Si une intervention avait effectivement eu lieu, non seulement l'impact opérationnel aurait été minime mais les tensions diplomatiques -notamment avec la Russie de Vladimir Poutine- auraient été exacerbées.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Le 21 août 2013, le régime syrien a franchi la fameuse ligne rouge fixée par les États-Unis en utilisant des armes chimiques contre ses populations civiles. Dès la fin du mois d'août la France souhaitait lancer une attaque aérienne sur la Syrie mais a dû se rétracter du fait de la volte-face de Barack Obama. Quel aurait été l'impact d'une intervention à l'époque ? La situation sur le terrain syrien serait-elle différente aujourd'hui ?

Alain Rodier : Sans vouloir revenir sur la polémique et les violentes querelles d’experts (chacun campant désormais sur ses certitudes) qui ont eu lieu à l’époque pour désigner les auteurs de la frappe au gaz sarin visant des populations civiles dans le quartier de la Ghouta à l’est de Damas, je dois tout de même remarquer que rien n’est venu apporter la preuve formelle que c’était bien le régime syrien qui en était l’instigateur. Les différents actes d’accusation avancés ne tiendraient pas la route juridiquement lors d’un procès équilibré, la défense pouvant trouver toutes les failles nécessaires pour faire valoir un non-lieu. L’élément qui pourrait être mis en avant par la défense est le fameux retrait de dernière minute du président Obama. Le président des États-Unis est certainement l’homme le mieux renseigné de la planète et il est légitime de se demander s’il n’a pas eu un "doute" sur l’origine de ces atrocités… Il est plus que souhaitable qu’un procès se déroule dans l’avenir. Cela participera à la manifestation de la vérité ce qui, à mon sens, est absolument indispensable. Mais il y a une condition : il faut que ce procès ne soit pas biaisé au départ.

En ce qui concerne le bombardement prévu par Washington et Paris, si l’intervention aérienne n’avait duré que quelques heures, voire que quelques jours, cela n’aurait pas changé grand-chose sur le plan tactique. Il faut dire et répéter que si les bombardements aériens sont très photogéniques sur le net ou pour les actualités du 20h00, l’expérience montre que leur efficacité opérationnelle est souvent plus que discutable. Par contre, s’ils avaient duré des semaines avec toute la puissance que les Américains savent mettre en oeuvre, alors là, il y aurait vraisemblablement eu des effets sur le pouvoir de Damas. Mais ce n’est pas vraiment mesurable. Contrairement à ce que l’on peut croire, la guerre est loin d’être une science exacte.

"Je ne sais pas ce que cela aurait donné si on avait frappé, peut-être qu’on se reverrait et que vous me diriez : 'Vous avez frappé, mais il y a Daech qui est là, c’est de votre faute.' Ce que je peux dire, c’est qu’on n’a pas frappé… et il y a Daech." a déclaré François Hollande au Monde en avril 2015. Cette intervention aurait-elle freiné l'émergence et l'expansion de Daech en Syrie ?

Daech n’existait pas en 2013 en tant que tel. C’était l’Etat Islamique d’Irak (EII) qui avait envoyé des combattants en Syrie pour s’attaquer au régime de Bachar Al-Assad avec les autres groupes rebelles. Le 9 avril 2013, l’EII est devenu l’Etat Islamique d’Irak et du Levant (EIIL) et la scission entre Abou Bakr al-Baghdadi (alors présent en Irak) et son lieutenant Abou Mohammad al-Joulani (commandant l’EII en Syrie) n’était pas encore d’actualité. C’est un an plus tard, le 29 juin 2014 qu’al-Baghdadi proclamera le califat et que Joulani voguera de ses propres ailes à la tête du Front al-Nosra en refusant de prêter allégeance à son ancien chef mais en assurant le docteur Al-Zawahiri, le chef d’Al-Qaida "canal historique" de sa soumission. Mais je ne vois pas en quoi un bombardement ponctuel des forces légalistes syriennes aurait empêché quoi que ce soit du côté des rebelles en dehors de les encourager à poursuivre leur lutte. De plus, si un dépôt d’armes chimiques avait été atteint, nul ne sait quel aurait été le résultat même si les conditions de stockage devaient être suffisamment sécurisées. Pour ceux qui affirment que Daech a été créé par le régime syrien (point de vue qui n’est pas le mien même si Damas a instrumentalisé ce mouvement qui existait depuis 2003 en Irak mais sous d’autres noms) en relâchant des activistes islamistes radicaux, ces élargissements se sont essentiellement déroulés en 2012.

A propos de ces libérations, il a souvent été question de celle de Setmariam Nasar plus connu sous le nom d’Abou Moussab al-Souri, le soi-disant grand idéologue de Daech mais aussi d’Al-Qaida "canal historique" même s’il se montrait critique vis-à-vis de la stratégie adoptée par Oussama Ben Laden. Pour le moment, cet individu n’a été revu nulle part. Alors, a-t’il vraiment été libéré ? S’il avait rejoint Daech, je pense que les médias de ce mouvement en auraient fait état.

Si cette intervention avait été menée, elle l'aurait été hors mandat de l'ONU du fait du véto russe. Dans quelle mesure cette opération aérienne aurait-elle accru les tensions diplomatiques ? En dehors de la France, quels Etats y étaient favorables ?

Les tensions diplomatiques auraient alors été à leur comble, les États-Unis et la France s’affranchissant des règles internationales qu’ils ont eux-mêmes contribuées à établir. Je ne sais pas quelles auraient pu être les réactions de la Russie et de la Chine, leurs capacités à "répondre" étant relativement limitées. Mais, franchement, cela aurait été du grand n’importe quoi. Je sais que ne nombreux intellectuels qui influencent nos élites politiques sont de véritables "va-t’en guerre". Ils ont leurs raisons qui sont souvent estimables sur le plan de la morale. Mais, je ne crois pas que l’on bâtisse une politique étrangère sur la morale (1). Si c’était le cas, il faudrait rompre les relations diplomatiques avec nombre d’Etats et en attaquer militairement beaucoup d’autres. Or, à supposer que notre système de valeurs soit applicable à l’ensemble de la planète -mais le temps des croisades me semble révolu-, il y a belle lurette que nous n’en n’avons plus les moyens.

En ce qui concerne les bombardements chimiques, les rares personnes qui s’intéressent à la politique internationale étaient toutes horrifiées par leur emploi mais, comme je l’ai dit précédemment, les preuves irréfutables manquaient à l’appel. La prudence était de mise sauf pour ceux qui avaient pris parti. D’ailleurs, les Britanniques ont été les premiers à se retirer de la course aux bombardements.

(1) Au moment où de nombreux politiques en campagne électorale affirment leur attachement à l’héritage du général de Gaulle qu’ils n’ont jamais rencontré -c’est normal, ils sont trop jeunes pour la plupart- ni même lu, il conviendrait qu’ils reprennent sa politique étrangère qui n’était pas basée sur la morale mais sur l’intérêt supérieur de la Nation.

Selon vous, pourquoi la France était-elle si convaincue des bienfaits d'une intervention contre le régime syrien ? Quel crédit espérait-elle en tirer à l'époque ?

Ce sont surtout l'Élysée et les Affaires étrangères qui étaient convaincus des "bienfaits" d’une intervention militaire contre le régime syrien. Le ministère de la Défense "suivait" parce que les armées sont aux ordres, ce qui est normal dans tout pays démocratique. Les spécialistes en fonction à l’époque dans ces institutions avaient vraisemblablement baigné dans la théorie de l’interventionnisme "humanitaire". Au début du XXe siècle, cela s’appelait la "diplomatie de la canonnière" mais nos intellectuels surdiplômés mais pas férus d’Histoire ne semblaient pas avoir fait le rapprochement. La récente expérience libyenne aurait pourtant dû servir de (mauvais) exemple. Dire qu’il y a encore des politiques pour s’en féliciter. Ce n’est plus de l’aveuglement, c’est pire.

Et il est fou de constater que pour beaucoup de dirigeants politiques, les "dictateurs", ce sont les autres. Eux-mêmes sont convaincus de détenir "la" vérité et ils souhaitent en faire bénéficier tous les autres. Heureusement, les dirigeants politiques des pays réellement démocratiques sont soumis à des règles constitutionnelles qui permettent de s’en débarrasser lors d’élections qui reviennent régulièrement. Pour moi, un vrai dictateur est celui qui utilise tous les moyens pour s’accrocher au pouvoir.

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