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Une interview et la machine repart : l'anti-sarkozysme sera-t-il le frein... ou le carburant de la campagne de l'ancien président ?
©Reuters

Quitte ou double

Ce jeudi, "Valeurs actuelles" a publié une interview de Nicolas Sarkozy dans laquelle il revient largement sur la manière dont la France doit répondre face à la menace terroriste. Certains propos ont suscité la sévérité de certains médias du centre et de la gauche.

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : Dans une interview accordée à Valeurs actuelles et dans laquelle il est notamment question de l'impopularité de l'ancien président auprès d'une partie des Français, Nicolas Sarkozy a répondu : "L'idée d'exister dans la vie des Français sans susciter de répulsion est folle". L'anti-sarkozysme pourrait-il être le carburant de sa campagne dans le cas où il se déclarerait officiellement candidat à la primaire, et dans le contexte actuel d'exaspération des Français largement préoccupés par les questions sécuritaires ? 

Jean Garrigues : C’est une façon de rebondir à partir d’une situation très critique, qui n’était pas prévue par Nicolas Sarkozy. Ce qui était prévu par l’ancien chef de l’Etat, c’était de reprendre l’ascendant sur sa famille politique dès lors qu’il revenait à la tête de son parti – qu’il a rebaptisé d’ailleurs – voulant rejouer le rôle de l’homme providentiel comme en 2007. Or les choses ne se sont pas passées comme il le prévoyait  dans la mesure où c’est Alain Juppé qui est premier dans les sondages de popularité et d’intention de vote pour les primaires. Ceci a obligé Sarkozy à s’inscrire dans une stratégie de radicalisation. Celle-ci peut renforcer différentes formes de l’anti-sarkozysme.

L’anti-sarkozysme radicalise l’hostilité de la gauche envers celui qui incarne à ses yeux les valeurs de droite qui lui sont culturellement opposées, aussi bien sur le terrain du rapport à l’argent et au travail que sur la sécurité ou l’identité française. Il essaye d’occuper le créneau de l’anti-gauche. En se positionnant sur ce créneau, l’idée est de récupérer une partie de l’électorat du FN. Aux yeux de Sarkozy, le succès de l’extrême-droite s’explique par le fait que la droite traditionnelle n’a pas assez défendu ces valeurs de l’anti-gauche, notamment sur les aspects sécuritaire et identitaire.

Nicolas Sarkozy a raison d’affirmer que « L’idée d’exister dans la vie des Français sans susciter de répulsion est folle ». Ceci s’explique en partie par la binarité droite/gauche sur laquelle repose la Ve République, même si ce n’est pas tout à fait ce que le général de Gaulle avait souhaité puisqu’il voulait justement transcender cette division. Mais les modalités de l’élection présidentielle et la structuration de l’espace politique jusqu’aux années 2000 ont participé à cette sorte de logique naturelle qui pousse une partie de l’électorat – environ la moitié – à rejeter de façon virulente celui qui est élu à la présidentielle pace qu’il est l’élu du camp opposé. Le jeu est aujourd’hui est un peu plus compliqué avec l’arrivée du FN dans l’espace politique. Ce créneau de la contestation, de l’anti, est occupé d’ailleurs par l’extrême-droite. Marine Le Pen est la principale dépositaire aujourd’hui de l’anti-gauche. Le pari que fait Nicolas Sarkozy est le suivant : en s’inscrivant dans cette logique du clivage, il pourrait parvenir à fédérer une majorité d’électeurs hostiles à la gauche lors de la primaire de la droite.

Le calcul d’Alain Juppé est différent et correspond davantage à l’idéal gaulliste de la transcendance des clivages en vue de rassembler plusieurs électorats.  Au second tour des élections de 1965, le général de Gaulle avait rallié à lui une partie de l’électorat de la gauche et du centre, en plus de celui de droite.

Entre la stratégie de Nicolas Sarkozy et celle d’Alain Juppé, ce qui validera la logique de l’une ou de l’autre résidera sans doute dans la virulence du rejet de la politique menée par François Hollande. A titre personnel, je doute que la logique du clivage dans le contexte actuel soit la plus pertinente. Au contraire, le pays a besoin de consensus et d’unité. Mais il est vrai que la recherche du consensus n’est pas dans l’immédiat la stratégie électorale la plus payante. 

Maxime Tandonnet : Oui, le quinquennat actuel a commencé dans l'anti-sarkozysme et il s'achèvera dans l'anti-sarkozysme. Nous voyons venir la grande manoeuvre politico-idéologique. Le parti socialiste et les médias qui lui sont fidèles comptent sur l'anti-sarkozysme pour gagner les élections de 2017 et conserver les postes, les places et les mandats. Bien sûr que le carburant de la future campagne des socialistes sera le rejet de la personne de Sarkozy, dans l'objectif de noyer leur bilan sous un déluge de haine. Le président Sarkozy compte probablement là dessus lui aussi : se repositionner en bête noire de la gauche pour conquérir une légitimité de leader de l'opposition et l'emporter dans les primaires. D'où une série de déclarations de sa part de nature ultra personnelle qui visent à attiser la rage contre lui. Le jeu dans lequel nous entrons est axé sur la personnalisation des choses et la politique spectacle. Il marque le paroxysme de la fracture entre la France dite "d'en haut" et la France dite "d'en bas". La majorité silencieuse est profondément traumatisée par la crise titanesque que traverse la France (chômage, sécurité, terrorisme). Ces batailles d'ego politicien ne l'intéressent pas.

Christophe de VoogdIl y a plusieurs questions dans celle que vous posez : la popularité de Nicolas Sarkozy auprès des Français, le phénomène anti-sarkozyste et l’impact des enjeux sécuritaires sur ses chances. Restons-en aux faits :

1/ Le rejet de Nicolas Sarkozy reste très majoritaire malgré sa remontée dans les sondages au cours des derniers mois.

2/ Les mêmes sondages montrent que le thème sécuritaire lui est très profitable et particulièrement dans son camp. Votre dernier sondage le montre : Nicolas Sarkozy est deux fois plus crédible sur cet enjeu qu’Alain Juppé.

3/ Les chances de sa candidature dépendent POUR LES PRIMAIRES donc de deux faits et deux seulement, maintenant que le risque judiciaire semble s’éloigner : la primauté de l’enjeu sécuritaire et la composition du corps électoral. La première semble, hélas, assurée ; la seconde est encore incertaine.  Pour l’élection présidentielle elle-même, la puissance de l’anti-sarkozysme dans la population reste l’obstacle majeur et je ne crois pas qu’il puisse en faire un "carburant" : car il ne l’a pas bien analysé et c’est son erreur majeure, comme le montre sa réponse un peu désinvolte sur le sujet dans Valeurs actuelles.

Quelles sont les racines de l'anti-sarkozysme que l'on retrouve aussi bien dans l'opinion, qu'au sein de la classe politique et de la sphère médiatique ? 

Maxime Tandonnet : Sur le plan idéologique et historique, il existe une méfiance intrinsèque de la gauche française, voire des républicains en général, envers la personnalisation du pouvoir. Bien entendu, le rejet de la monarchie, dans la tradition révolutionnaire française, est fondé sur le refus de l'idée qu'un homme puisse incarner la Nation. Mais surtout, l'anti-modèle des républicains est Louis-Napoléon Bonaparte, auteur du coup d'Etat du 2 décembre 1851 et de la restauration de l'Empire. Il incarne les dangers de la personnalisation du pouvoir. Nicolas Sarkozy, qui ne cesse de mettre en avant sa personnalité et son caractère, est devenu aux yeux de la gauche idéologique française la nouvelle incarnation de ce mal à travers son "hyperprésidence".

Le problème, c'est que la gauche, aujourd'hui, fait exactement pareil, sinon pire, mais en toute bonne conscience. La personnalisation du pouvoir avec les socialistes aux commandes, l'accaparement des médias, atteignent un niveau sans précédent historique. A cet égard, la contradiction du pouvoir socialiste est flagrante. Chez eux, le narcissisme n'est pas moins affirmé que chez Sarkozy. Le culte de la personnalité n'est plus une caractéristique de la seule extrême-droite avec ses "guides" ou de l'extrême-gauche, avec ses "petits pères des peuples". Il envahit tout.  De fait, nous glissons dans une véritable dictature de la politique spectacle, grande comédie de l'affrontement entre des hommes et des femmes qui n'existent que par leur narcissime exacerbé et la haine qu'ils éprouvent les uns envers les autres. Le débat d'idées et le bien commun en sont les grandes victimes.   

Christophe de VoogdPour parodier et inverser le titre du livre d’Alain Badiou, il est en effet utile de se demander « de quoi l’anti-sarkozysme est-il le nom » ? Il y a en fait plusieurs anti-sarkozysmes : celui des corporations qu’il a offensées : juges, syndicats et surtout journalistes qui lui font notamment payer l’humiliation publique de Laurent Joffrin en 2008 et la nomination du président de France TV.

Il y a un anti-sarkozysme de la classe politique, y compris à droite, à l’égard d’un homme qui n’est pas du sérail énarchique ou social habituel, qui adore bousculer les codes et qui a pris en 2007, et aujourd’hui encore, une place destinée à d’autres.

Il y a l’anti-sarkozysme des intellectuels qui ne lui pardonnent pas sa sortie sur la Princesse de Clèves et ses fautes de français (à mon sens volontaires).

Et puis il y a un anti-sarkozysme diffus dans la population fait de déceptions à l’égard de son quinquennat, de scepticisme devant son opportunisme (par exemple sur le mariage pour tous ou le droit du sol), de peur devant son "absence de surmoi", et qui est aussi stimulé par les horreurs répandues chaque jour sur lui dans les médias. 

Jean GarriguesNicolas Sarkozy a une forte personnalité, ce qui explique qu’il n’a jamais pu laisser les Français indifférents. Ceci a pu être une très bonne chose lors de la campagne de 2007 lors de laquelle il a véhiculé l’image d’un homme dynamique qui allait initier les réformes nécessaires. Le problème, c’est qu’à gauche comme au centre, il a incarné de façon presque caricaturale un certain nombre de valeurs répulsives, comme son rapport ostensible à l’argent, d’où son surnom de « président des riches ». Il a incarné par ailleurs l’image d’une droite ultra-sécuritaire et provocatrice lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, souvent ambigu sur le thème de la préservation de l’identité nationale. Cette ambigüité se retrouve aussi dans la conception de la laïcité de l’Etat républicain lorsqu’il avait affirmé que l’instituteur ne pourrait jamais remplacer le prêtre dans la pédagogie des valeurs collectives. Tout ceci l’a conduit à incarner un repoussoir pour la culture de gauche, ce que ne représentent ni Alain Juppé, ni Bruno Le Maire ni même François Fillon - alors que sur le plan économique, le programme de ce dernier apparaît comme encore plus libéral que celui de Sarkozy.

Cette répulsion est aussi partagée par l’électorat du centre. Cet électorat est nourri par la tradition de la démocratie-chrétienne, qui est une tradition humaniste, d’humilité. On retrouve cela également dans une partie de l’électorat de droite – plutôt traditionnelle, conservatrice - qui ne s’est pas reconnue dans l’hyper-présidence de Nicolas Sarkozy, dans son caractère « bling-bling ». La droite dite sociale, plus progressiste, s’inscrivant dans la ligne de NKM, ne se reconnaît pas non plus dans la politique de Nicolas Sarkozy. L’influence de Patrick Buisson a été rejetée par beaucoup de cadres chez les Républicains.

On remarque donc une convergence chez les anti-sarkozystes. Cette convergence peut alimenter la combativité de Sarkozy – parce que c’est son caractère – et son sentiment de victimisation. Elle peut apparaître aussi, pour toute une partie de l’électorat, comme une sorte de conjuration des élites contre celui qui veut les remettre en cause. C’est d’ailleurs ainsi qu’il veut apparaitre, comme celui qui comprend le mécontentement populaire et qui veut l’exprimer. Cela le met dans une condition d’extériorité vis-à-vis des élites politiques, à l’instar de Marine Le Pen – bien que celle-ci appartienne aux élites politiques autant que les autres. Celui qui aujourd’hui est capable de se positionner contre les élites en faisant entendre la voix des autres a un avantage certain. Mélenchon tient d’ailleurs ce discours à gauche. Si Sarkozy est capable de tenir ce discours à droite, cela pourrait être payant pour lui.

Concernant le traitement médiatique réservé à Nicolas Sarkozy, même si certains titres plutôt centristes ou à gauche le critiquent, je n’irai pas jusqu’à parler d’un complot. Il ne faut pas oublier que les médias ont participé à son élection en 2007. Dans la mesure où depuis quelques semaines, le discours de Sarkozy est plus clivant, il est logique que les analyses faites par certains médias soient plus tranchées. Dans le même temps néanmoins, certains titres ne se sont pas montrés très indulgents non plus envers Alain Juppé ou François Fillon. Le jeu de Sarkozy est de jouer la provocation et le clivage afin de cristalliser l’électorat de droite autour de lui en vue de représenter l’anti-gauche et reconquérir ainsi l’électorat de droite. 

Si l’on considère la politique qu’il a pu mener en tant que ministre de l’Intérieur et de président de la République, qu’est-ce qui justifie ce sentiment hostile à son égard ? A l'inverse, n'y-a-t-il pas une part d'irrationalité dans l'anti-sarkozysme ? 

Christophe de Voogd : Je ne dirai pas "à l’inverse". Il suffit de voir l’hystérie qui s’empare des médias à la moindre déclaration de Nicolas Sarkozy pour voir que l’on baigne de part en part dans l’irrationalité. Il en est en partie responsable puisque la rationalité n’est pas, à la différence de ses concurrents à la primaire, son trait de caractère dominant. Mais cela n’explique, ni n’excuse, la disparition de toute déontologie élémentaire dans tant de médias, y compris "de référence", à son égard. On lui a fait ainsi dire qu’il demandait 80 000 places de prison SUPPLEMENTAIRES quand il en demandait 80 000 AU TOTAL ; qu’il a accusé le gouvernement de "n’avoir rien fait contre le terrorisme", alors qu’il a déclaré que celui-ci "n’avait pas tout fait", ce qui n’est pas du tout la même chose ; ou encore que sa dernière position sur le droit du sol "était assez proche de celle du FN", alors même qu’il en propose une conditionnalité peu exigeante et que le FN en demande la suppression pure et simple. Idem pour le bilan de son quinquennat, où, sous couvert de "fact checking", on dit à peu près n’importe quoi. 

D’où la nécessité pour Nicolas Sarkozy de faire lui-même un bilan complet et équitable de son action passée avec ses forces et ses faiblesses et d’analyser sérieusement le phénomène "anti-sarko". Ne serait-ce que parce que ses concurrents et adversaires l’attaqueront sur ces deux points!

Jean GarriguesDans ce cas, l’anti-sarkozysme se justifie par l’échec, qui est celui de tous les présidents de la Ve République depuis les années 1980 : l’impossibilité de résoudre le chômage et la crise économique. Aucun n’a osé mettre en oeuvre les réformes structurelles nécessaires comme cela a pu être le cas en Allemagne, au Royaume-Uni ou en Italie. Le problème avec Nicolas Sarkozy, c’est que de fortes attentes ont été placées dans sa personne alors que ce sont des demi-mesures qui ont été mises en place, notamment sur le front du travail – il n’a d’ailleurs pas touché aux trente-cinq heures. Cette déception de ceux qui voulaient une transformation libérale est à l’origine de cet anti-sarkozysme. A gauche, on n’attendait rien de lui, et on n’a pas été déçu ! Le plus important, c’est le sentiment des promesses non tenues : c’est ce que l’on reproche à François Hollande, c’est ce que l’on a reproché à Jacques Chirac qui n’a pu résorber ce qu’il appelait la « fracture sociale ». Ceci explique que l’élection de 2012 se soit faite contre Nicolas Sarkozy.

Il y a bien-sûr de l’irrationalité dans l’anti-sarkozysme, surtout à gauche. L’image qui a été faite de l’ancien chef de l’Etat est outrancière, et il y a lui-même contribué. Ceci est néanmoins comparable avec le rejet actuel de François Hollande par la droite, qui relève là aussi de l’irrationalité. La droite pourrait se réjouir du virage social-libéral du quinquennat Hollande, même si elle feint de n’y voir que des demi-mesures. Ce jeu permanent d’opposition systématique, voire systémique, amène à questionner la place du président de la République dans nos institutions, ainsi que la « bipolarité » des Français qui placent toutes leurs attentes dans un « homme providentiel » au moment de l’élection présidentielle avant de le rejeter dès qu’il est au pouvoir. Pour des raisons mécaniques, ce soit-disant sauveur devenu président ne peut mettre en œuvre les promesses qu’il a faites dans la perspective du premier tour la présidentielle, c'est-à-dire dans une dynamique de radicalisation des clivages. Une fois qu’il est au pouvoir, il est confronté non plus à son camp mais à l’ensemble des Français, ce qui le conduit à oublier ses promesses et à recentrer sa politique. Depuis le tournant de la rigueur en 1982, aucun président de la République n’a dérogé à cette règle du recentrage…qui apparaît comme une trahison ! 

Maxime TandonnetSa personnalité est celle d'un hyperactif, constamment en mouvement, dans la quête permanente d'un nouveau défi, insatiable de batailles à mener. Dès lors, il se met sans cesse en avant, provoque ses adversaires, cherche la polémique, le combat idéologique. La conquête du pouvoir l'intéresse probablement davantage que le pouvoir lui-même. Il ne peut pas s'empêcher d'aller à l'affrontement. Il est dans une logique de clivage. Ainsi, quand il annonce sa politique d'ouverture, après son élection en 2007, ce n'est pas dans l'objectif de favoriser l'unité nationale, mais de déstabiliser et d'affaiblir l'adversaire. Il lui faut se mettre en avant, multiplier les défis, se battre. Telle est sa force, qui l'a conduit au plus haut sommet de l'Etat, mais aussi sa fragilité. L'idée de s'abriter, de prendre du recul, de temporiser lui est étrangère.  Dès lors, il devient l'homme à abattre par tous les moyens. Toute haine est par définition passionnelle, irrationnelle bien entendu. Les élites médiatiques du pays et une partie de l'opinion le détestent vraiment.Cette haine est injuste car l'homme a aussi de véritables qualités d'humanité et de dirigeant politique. Elle est pourtant réelle. La phrase que vous citiez sur la "répulsion" inévitable selon lui montre qu'il n'est peut-être pas totalement conscient du niveau de rejet qu'il suscite. Sans doute parce que lui n'est pas quelqu'un de foncièrement méchant capable de haïr comme il est haï... 

Outre son style personnel, qu'est-ce qui explique que Nicolas Sarkozy suscite autant de passions ? Dans quelle mesure sa manière de faire et concevoir la politique sont-elles en rupture avec la tradition ? 

Maxime Tandonnet : Nous vivons dans une société dont l'un des piliers idéologiques est le rejet de l'autorité. Mai 1968 a décrété qu'il était "interdit d'interdire" et depuis un demi siècle, le phénomène ne cesse de s'accentuer. L'autorité de l'homme politique, du magistrat, du policier, du professeur, du médecin est contestée. Les lois de la République ont perdu de leur force contraignante. Nos sociétés sont gagnées par le chaos dans beaucoup de domaine: violence, repli identitaire, culte de la désobéissance, individualisme forcené.

Or, Nicolas Sarkozy tient un discours d'ordre qui va à l'encontre de cette idéologie. Plus généralement, il se considère comme l'adversaire des tabous et du politiquement correct. Voyez comme il vient de s'en prendre à un totem de la gauche française: le droit du sol. Sur le fond, cette question n'a strictement aucun intérêt, ni pour la maîtrise de l'immigration, ni pour l'intégration, ni pour la lutte contre le communautarisme. Mais elle est considérée comme un marqueur de gauche. Donc elle lui sert d'angle d'attaque.  Aujourd'hui, la gauche politique et médiatique ménage Sarkozy dans l'espoir d'en faire l'adversaire de M. Hollande. Les socialistes ont calculé que face à lui, ils ont plus de chance de l'emporter. Lors de l'après-primaires, si l'ancien président les remporte, nous allons assister à un déchaînement d'anti-sarkozysme qui dépasse tout ce que l'on peut imaginer...

Jean Garrigues : Pour moi, la personnalité politique qui a essayé, à sa façon, de changer la manière de faire de la politique, c’est Ségolène Royal avec notamment son idée de la démocratie participative. En ce sens, elle a été plus transgressive que Nicolas Sarkozy. Ce dernier m’apparaît comme une créature de la démocratie d’opinion, de l’instantané que les médias et l’électorat ont bâti. En ce sens, je ne pense pas qu’il ait été très novateur dans sa manière de faire de la politique. On le voit bien d’ailleurs chez les Républicains : on retrouve davantage l’innovation politique du côté d’un Bruno Le Maire par exemple. La manière d’être de Nicolas Sarkozy a pu alimenter cet anti-sarkozysme, mais pas sa manière de faire de la politique, qui est somme toute assez commune.

Christophe de VoogdUn seul mot là-dessus : lire l’essai de Michel Maffesoli, Sarkologies, qui est sur certains points discutable, mais qui respire une liberté intellectuelle que l’on trouve trop rarement dans les commentaires, qu’ils soient louangeurs ou haineux, sur l’ancien président et prochain candidat.  

Propos recueillis par Thomas Sila

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