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Karl Marx : "Sans gouvernance politique, la mondialisation finira par tuer le système capitaliste"
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Les grandes interviews de l'été

Interviews virtuelles mais exclusives accordées par les personnalités ayant le plus influencé le cours de l’histoire de la France et des Français. Nous les avons retrouvées et rencontrées afin de leur demander quel jugement elles portent sur la situation politique et économique actuelle. Neuvième interview de cette série de l'été avec Karl Marx.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Karl Heinrich Marx est sans doute le plus grand des monstres sacrés de la pensée philosophique du XIXe siècle. Il est inclassable. C'est un très bon historien, il a été aussi journaliste, philosophe, théoricien de la révolution, socialiste et communiste... Il était, enfin, juif et allemand.

Karl Marx est archi-connu dans le monde entier pour trois raisons. D'abord c'est le philosophe qui a, le premier, développé une conception matérialiste de l'histoire. Ensuite, c'est sûrement celui qui a le mieux décrit les rouages du capitalisme. Enfin, il a été très actif dans la préparation des révolutions ouvriéristes.

Jean-Marc Sylvestre : En préparant cet entretien, je me suis aperçu que vous êtes né en 1818 et vous êtes mort en mars 1883 à Londres. Vous êtes mort l'année où Keynes et Schumpeter sont venus au monde. Ca vous trouble ?

Karl Marx : Ca ne m'a pas troublé le moins du monde. Pour une bonne raison, c'est que je ne l'ai pas su. Alors avec le recul, je me dis qu'il y a peut-être une certaine logique historique. Je suis né avec la révolution industrielle. J'ai analysé l'évolution du système capitaliste, j'ai prédit que c'était un système absolument efficace capable d'apporter très vite du progrès matériel au plus grand nombre, mais j'ai surtout mis en lumière qu'il générait de telles contradictions et de telles inégalités, qu'il ne pouvait que s'autodétruire.

Keynes et Schumpeter sont effectivement arrivés après, à un moment où le système capitaliste commençait à se fissurer.

Leur contribution à tous les deux a été d'apporter des solutions pour éviter que le système de marché ne s'effondre. Ils ont mis au point des solutions alternatives à l'installation d'un régime communiste que j'avais moi proposé. Leurs outils n'étaient pas idiots. Mais ils n'ont rien sauvé du tout. Ils ont retardé la fin. Si vous pensez que la mondialisation de l'économie va sauver le système capitaliste, vous vous trompez. La mondialisation s'est accompagnée de la dérégulation financière. Or la mondialisation accroît les inégalités et la dérégulation amplifie les crises. Bref, tout ça finira par faire un cocktail explosif.

Tous les régimes communistes mis en place, à partir de 1918, se sont effondrés. La fin d'un monde bipolaire, en perpétuelle guerre froide, a débouché sur une globalisation de la planète où le seul système d'organisation qui a perduré, est celui de l'économie de marché.

Je le répète. Je ne suis pas sûr que le monde d'aujourd'hui soit très stabilisé. L'économie de marché est un système de production, qui permet de structurer une société, mais en aucun cas l'économie de marché n'offrira un moyen de vivre ensemble parce que, que vous le vouliez ou non, l'économie de marché c'est la concurrence et la concurrence fait le tri entre ceux qui sont bons pour le marché et ceux qui sont mauvais. D'où la lutte sociale, d'où l'accroissement des inégalités.

La situation actuelle est très claire. La mondialisation capitaliste a réduit la pauvreté dans les pays émergents, c'est incontestable, mais elle a aussi creusé les inégalités dans les pays développés où le nombre de pauvres s'est accru. Parallèlement la mondialisation a permis la multiplication des flux migratoires. Vous n'empêcherez jamais les plus pauvres de la planète d'être attirés par la lumière qui éclaire les plus riches et de s'en approcher. C'est bien ce qui se passe aujourd'hui.

Vous êtes né en Rhénanie en 1818, vous avez donc vécu les débuts de la révolution industrielle.

Je suis un pur produit de la révolution industrielle. Je l'ai vue se former en Grande Bretagne, puis aborder l'Europe du Nord, l'Allemagne et enfin la France avec Napoléon III dont je reconnais qu'il a fait énormément pour que la France ne soit pas en retard.

Vous êtes né dans une famille juive, n'est-ce pas ?

Mon vrai nom, c'était Karl Herschel Marx. Mon père était avocat, mais mon grand-père était rabbin, mon arrière-grand-père aussi. On était juifs ashkénazes. Cela dit, pour pouvoir être avocat, mon père s'était converti au protestantisme. Ce qui fait que j'ai été baptisé luthérien et par la suite on a changé mon prénom en Karl Heinrich et non plus Herschel. Donc officiellement je me suis appelé Karl Heinrich Marx.

Mais alors dans cette famille très juive, vous pratiquiez quelle religion ?

Aucune. La famille était de culture très juive, c'est vrai, mais pour vous faire une confidence, je n'étais pas circoncis et nous ne pratiquions aucune religion dans la famille qui était nombreuse puisque j'avais sept frères et sœurs. J'ai encore de nombreux descendants si vous cherchez bien. A Trèves, mais aussi en Grande Bretagne et aux Etats Unis. Beaucoup ont changé d'identité parce que pendant la guerre froide, ceux qui s'étaient réfugiés à New York en fuyant le nazisme ne se sentaient pas forcément en sécurité en s'appelant Marx.

Mais vous avez donc fait vos études à Trèves ?

Absolument, une éducation très séculière, c'est-à-dire sans l'impact de la religion. Si vous allez à Trèves, ma maison natale a été transformée en musée et tout ce que je vous raconte là y est expliqué. Alors c'est un peu complaisant comme présentation, mais c'est un musée. Ni Keynes, ni Schumpeter n'ont de musée qui leur soit consacré à ma connaissance.

J'ai donc fait le collège à Trèves, le Gymnasium comme on dit en allemand, et après je suis parti à Bonn faire mon droit, puis à Berlin où je me suis plongé avec délices dans l'histoire et la philosophie. Je suis arrivé à Berlin en 1836, j'avais 18 ans. Ça a été une époque formidable.

D'abord j'y ai retrouvé une amie d'enfance Jenny Von Wesphalen qui est devenue ma femme quelques années plus tard et avec qui j'ai eu 7 enfants, mais malheureusement sur les 7 nous en avons perdu 4. Il est resté 3 filles. Jenny, ma fille, qui a épousé plus tard un Français, Charles Longuet, sans rapport avec le Longuet qui a été ministre de la défense de Nicolas Sarkozy. Non, mon gendre, lui, il militait plutôt à l'extrême gauche puisqu'il était un partisan actif de la commune de Paris. Il était sympa !

Nous avons eu Eleanor qui a épousé un Britannique Edward Aveling, sympa aussi ! Et Laura qui s'est mariée avec Paul Lafargue, un socialiste français.

Alors lui, je lui en veux un peu parce qu'il a écrit une biographie intimiste de moi où il raconte quelques souvenirs que j'aurais préféré garder pour moi. Je crois qu'il exploitait mon nom.

C'est à Berlin que vous commencez à vous engager dans l'action politique.

A Berlin, je suis rentré dans le cercle des "hégéliens de gauche" parce que j'étais passionné par la philosophie de Hegel. Hegel, pour moi, a été une révélation.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, mort en 1831, est un philosophe allemand qui est arrivé après Kant, donc après tout ce qu'on a écrit sur la morale. Pour faire simple, Kant nous a empoisonné l'existence avec le fait que nous avions des devoirs avec en prime, toute la culpabilité qui en découle si nous ne les respectons pas. A l'opposé, Hegel nous dit que nous avons tous des droits et qu'il faut les faire respecter par autrui, c'est-à-dire par le voisin, l'entreprise ou par l'Etat. Hegel a fait une représentation globale de l'idéalisme allemand.

Hegel a enseigné la philosophie sous la forme d'un système unissant tous les savoirs suivant une logique dialectique. Je ne vais pas résumer, mais Hegel fait sien tout le savoir de son temps. La philosophie doit penser la totalité du réel et celle de Hegel se veut un système c'est-à-dire un ensemble organisé de concepts dont tous les éléments sont interdépendants. C'est un peu compliqué, non ?

Ça veut dire, en bref, qu'avec Hegel la culture chrétienne par exemple n'est pas l'essence de notre civilisation. Cette position se heurte à la politique du gouvernement prussien qui veut au contraire s'appuyer sur les racines chrétiennes. Donc les hégéliens sont écartés de l'université. Et moi après mon diplôme de philo, je n'ai pas pu trouver de poste d'enseignant à l'université. Comme hégélien, j'étais pestiféré... Comme en plus, j'étais juif. Comme en plus j'avais le type juif. J'étais très brun, le teint très halé, pas très grand et sombre comme le sont les ashkénazes. Bref je n'avais rien pour séduire des Allemands très inquiets.

Donc vous n'avez pas de job ?

Et non, et pas beaucoup d'argent. Nous sommes en 1842, j'apprends qu'un groupe d'industriels de Rhénanie, très libéraux, veulent créer un journal d'opposition au clergé catholique. Ça m'allait très bien, parce que c'était dans la logique hégélienne. Alors je pensais qu'au départ ils voulaient tuer les influences catholiques, très bien, mais en réalité c'était pour protéger les influences protestantes qui étaient plus favorables aux affaires et à l'argent. Ceci dit, ça m'allait aussi, j'ai été nommé rédacteur en chef de cette gazette rhénane. Mais un rédac' chef sous contrôle.

J'étais beaucoup plus révolutionnaire et démocratique que mes sponsors, lutter contre le clergé catholique pour tomber sous la tutelle de l'argent, au bout d'un certain temps, ça me gonflait comme disent les jeunes d'aujourd'hui. J'ai dû démissionner, ce qui ne me gênait guère parce que le journal périclitait. La ligne éditoriale n'était pas claire.

Alors cette expérience journalistique n'a pas été un échec pour moi. Les reportages sur le terrain que j'avais faits m'ont fait prendre conscience de la condition de travail épouvantable des ouvriers. Ce qui fait qu'en quittant le journal, je me suis replongé dans l'étude des mécanismes économiques.

C'est à ce moment là aussi que vous quittez l'Allemagne ?

On ne pouvait plus travailler. Le journal était mort et la censure du gouvernement prussien devenait insupportable. Je me suis réfugié à Paris où j'ai lancé un journal radical, les annales franco-allemandes. Journal politique. Qui n'a paru qu'une fois. Et oui, ça arrivait !

Mais Paris m'a permis de retrouver Frederick Engels. On s'était déjà rencontrés à Cologne parce qu'il était attiré comme moi par la philosophie de Hegel. L'anti-catholicisme sous-jacent nous a rapproché et nous nous sommes liés d'amitié.

Frederik Engels était riche ?

Frederick Engels était riche. Effectivement ça arrive de rencontrer des gens riches. Son père était propriétaire d'une grosse entreprise commerciale de Manchester où il avait travaillé et où il avait côtoyé la misère des prolétaires de cette époque. Il était mal à l'aise en tant que privilégié du système.

Alors pour être très clair, la situation de Engels m'a beaucoup aidé, mais faut savoir aussi qu'a partir de cette rencontre, lui et moi nous avons travaillé ensemble jusqu'à ma mort. Inutile de vous dire qu'être à Paris dans les années 1845, c'était déjà, "the place to be". C'était la capitale où la liberté avait gagné. Le cœur du monde intellectuel et politique battait à Paris.

Avec Engels nous allons participer à tous les cercles et tous les clubs où se préparent les révolutions. Je dis les révolutions parce que tout était remis en cause. L'organisation politique, les systèmes de production, l'administration, les mœurs se libèrent aussi etc, etc. Nous sommes en permanence en phase de préparer une révolution. C'était absolument effervescent.

Alors on avait beaucoup de débats, beaucoup d'adversaires, le plus violent étant Proudhon, celui qui a dit "La propriété c'est le vol". J'aurais tellement voulu dire cela. Mais Proudhon, avait des idées auxquelles, on ne pouvait pas adhérer, parce qu'il n'avait pas une réflexion globale (il n'était pas hégélien) et assez peu scientifique.

Vous n'avez pas toujours dit cela ?

C'est vrai, avant de me brouiller avec lui, j'avais un peu d'admiration pour Proudhon, je trouvais que ses premiers livres sur la propriété étaient importants. J'avais d'ailleurs invité Proudhon à se joindre à un projet d'association internationale socialiste. Sa renommée était grande et elle pouvait nous rendre service. Le projet a avorté et j'ai été obligé de quitter Paris. Proudhon avait découvert que le système travaille essentiellement pour le propriétaire des actifs de production. D'où la condamnation de la propriété privée.

Vous n'avez pas quitté Paris, vous avez été expulsé.

Expulsé par la France, à la demande insistante du gouvernement prussien qui me considérait comme un dangereux révolutionnaire, c'est Guizot en France qui a exécuté cette basse besogne. Je suis arrivé à Bruxelles et en 1847, tous les opposants politiques venaient chez moi, attirés comme des aimants.

Au printemps 1847, avec Engels nous avons rejoint la ligue des communistes, un groupe politique clandestin, et nous y avons pris une place non négligeable puisqu'on nous demandera de rédiger le Manifeste de la Ligue. Autrement dit, le fameux manifeste du Parti communiste. Nous le faisons paraître en Février 1848. Quelques jours avant l'éclatement de la révolution à Paris. La révolution de 1848 qui accouchera de la 2e République.

Avec Engels, dans la minute même, on a fait nos bagages et on est revenus à Paris.

Mais comme la révolution se propageait en Allemagne, on a filé à Cologne où on a édité un journal révolutionnaire, la gazette Rhénane. Le climat était formidable, mais ça s'est gâté. La contre-révolution a gagné du terrain, j'ai été arrêté comme dangereux révolutionnaire et condamné. Alors que j'étais prussien, le gouvernement m'a expulsé, devinez où ? En France.

Incroyable, mais qu'un gouvernement expulse un étranger en situation illégale, on peut le comprendre. Mais expulser un ressortissant du pays, c'était contre tous les droits.

Je me suis donc retrouvé à Paris, sans argent, et pourchassé par la police. Du coup, je suis passé à Londres.

Pour moi, migrant politique, c'était le dernier refuge. Déjà à cette époque Londres attirait tous ceux qui en Europe avaient des difficultés à vivre libre chez eux.

Comment vit-on à cette époque, on est en 1851, sans argent à Londres. Engels s'y est aussi installé, il continue de vous aider ?

On vit très mal, en exil, sans argent. Engels nous a permis de survivre. Mais c'était la misère. Voilà ce que j'écris a Engels le 4 septembre 1952 : "Ma femme est malade, la petite Jenny est malade, Léni a une sorte de fièvre nerveuse. Je ne peux et je ne pouvais appeler le médecin, faute d'argent pour les médicaments. Depuis huit jours, je nourris la famille avec du pain et des pommes de terre, mais je me demande si je pourrai encore me les procurer aujourd'hui".

En fait Engels avait lui aussi des ennuis financiers parce que ses affaires américaines marchaient mal.

J'ai beaucoup vécu d'expédients, pendant presque dix ans. Grâce à un héritage de mon oncle, puis grâce à l'héritage de ma mère qui décède et qui avait toujours refusé de me verser la part qui me revenait de l'héritage de mon père.

Cela dit vous allez écrire beaucoup, sans jamais revenir sur le continent.

Impossible de traverser la Manche. Je n'avais nulle part où aller. En Prusse, on me considérait comme le chef d'une conspiration, la ligue des communistes a été dissoute mais elle continuait de faire peur. Quant à la France, je n'avais pas admis les conditions d'accès au pouvoir de Napoléon III. Je me suis fait piéger par Victor Hugo qui est parti en guerre contre lui pour des raisons d'ego personnelles. Moi je lui en voulais à cause du coup d'Etat, mais au final, j'ai trouvé qu'il avait correctement géré la France avec même des avancées sociales qu'on ne retrouvait nulle part ailleurs en Europe.

Quel dommage qu'il ait saccagé sa sortie avec Sedan. Quel gâchis que cette aventure se soit terminée dans le désastre de la commune de Paris, et dans la guerre civile. Quel désastre pour lui.

Ceci dit j'en veux autant aux Prussiens qui n'ont pas fait preuve d'une grande intelligence. Le XIXe siècle a manqué la construction européenne par un excès d'égoïsme national parce que l'axe Paris-Berlin aurait pu fonctionner dès cette époque. L'Europe aurait évité les guerres et les crises.

Vous critiquez la fin du 2e empire mais ce sont les réactions critiques que vous avez à ce moment-là qui vous valent une notoriété internationale au sein même des mouvements ouvriers.

J'en ai pris conscience pendant les événements de 1871. Un prolétariat ne pouvait pas s'emparer du pouvoir et le faire fonctionner à son profit. J'ai expliqué que le prolétariat devait détruire le système tout entier et en reconstruire un nouveau. Tout ce qui s'est passé, pendant la commune, permettait d'envisager un changement important. Le texte sur la guerre civile en France dans lequel j'expliquais tout cela, a été bien accueilli.

A partir de cette époque vous avez écrit beaucoup d'articles, beaucoup de livres dont "Le capital" ou le manifeste communiste, quels sont les concepts, les analyses qui vous paraissent fondateurs ?

Sans hésiter, je dirais le matérialisme historique, l'analyse dialectique, la lutte des classes et l'évolution historique du capitalisme. Pour faire bref, le matérialisme historique est le prolongement de l'analyse de Hegel. Le matérialisme historique, est une méthode d'analyse de l'histoire où les événements sont influencés par les rapports sociaux en particulier les rapports entre classes sociales.

La dialectique est plus qu'une méthode de raisonnement, mais le mouvement même de l'esprit dans sa relation à l'être : elle est alors conçue comme le moteur interne des choses, qui évoluent par négation et réconciliation. Avec Engels nous avons pensé que les contradictions socio-économiques étaient le moteur de l'histoire.

La question de la lutte des classes est évidemment au cœur du mouvement de l'histoire. La société humaine évolue selon les rapports de force entre groupes sociaux. Les groupes sociaux se définissent par leur place dans la fonction de production. Il y a les propriétaires capitalistes qui apportent leur argent, il y a les salariés qui apportent leur force de travail. Les intérêts des uns et des autres ne sont pas conciliables.

Sur ce point, je suis catégorique. Keynes et Schumpeter seront sur des positions différentes.

Enfin le capitalisme évolue dans l'histoire selon les progrès techniques qui accroissent la production. J'ai résumé l'histoire humaine en 4 étapes :

  •  la communauté primitive

  •  la société d'esclaves, c'est Rome

  •  le régime féodal, le seigneur possède les terres

  •  le régime capitaliste

Et vous pensez que l'évolution du capitalisme vers son auto destruction est inéluctable.

Il existe un sens de l'histoire. Le capitalisme crée des rapports sociaux qui deviennent insupportables et qui entraînent une contestation des modes de production. Il arrive un moment où les structures de la société doivent changer. Alors c'est ce moment que Keynes et Schumpeter ont essayé de reculer avec chacun des outils différents. Mais, l'étape ultime n'est pas remise en cause. Le système finira par s'asphyxier.

La mondialisation que vous vivez porte en germe cette évolution au niveau mondial.

La principale erreur que je reconnais chez Keynes est de ne pas avoir raisonné à long terme. C'est un "court-termiste", et quand on lui demandait pourquoi ? Il répondait "parce qu'à long terme, nous serons tous morts". Ridicule comme réponse. Le résultat de cet impérialisme du court terme keynésien, est que nous n'investissons plus. On spécule !

Mais la révolution digitale peut changer ce que vous appelez le sens de l'histoire. D'abord parce que le prolétariat existe de moins en moins, la classe ouvrière aussi, elle disparaît. Ensuite parce que les moyens de communication ont multiplié les contre-pouvoir qui préservent la démocratie. Les réseaux sociaux inventent une sorte de démocratie directe.  Enfin, parce que la propriété privée des moyens de production est devenue une propriété publique, cotée en bourse. Les grandes entreprises n'appartiennent plus à un homme ou à un groupe d'hommes mais plutôt à une multitude de petits épargnants ou retraités. Ils ont intérêt à ce que l'entreprise tienne debout.

Je sais tout cela, je sais même que lors des dernières crises, quand l'industrie automobile a failli sombrer, ce sont les ouvriers américains eux-mêmes qui ont sauvé Général Motors pour sauver leurs retraites.

Chez Renault, les ouvriers salariés et syndiqués ont signé des accords de compétitivité, c'est-à-dire qu'ils ont accepté des coupes de salaires pour sauver leurs jobs.

Je reconnais qu'on est loin d'un processus révolutionnaire.

Ceci dit je pense qu'une révolution de type bolchevique est désormais impossible et c'est tant mieux. Mais je pense aussi qu'il existe des formes nouvelles qui se préparent. Les inégalités sont trop fortes. On a besoin de régulation, or, on a tout dérégulé. On aurait besoin de gouvernances fortes, or les politiques sont absents. Les plus compétents ont déserté pour travailler dans le privé.

De mon temps comme dirait Zemmour, "c'était mieux avant".

Quels sont les nouveaux Marx, aujourd'hui, à votre avis ?

Il doit y en avoir. Mais quand j'entends les responsables politiques européens se targuer de faire des politiques de gauche en se référant à mon travail, je me dis quelle démagogie. Ils feraient mieux d'intégrer et de comprendre comment fonctionne le système capitaliste dans le monde. L'analyse du fonctionnement des marchés est à l'origine de tout. Regardez, tous mes amis socialistes ou qui se disent marxistes oublient complètement que sans Ricardo et Adam Smith, je ne serais rien.

Je crois sincèrement qu'ils auraient deux livres à lire aujourd'hui, en Europe. Celui de Jean Tirole, votre prix Nobel d'économie. Les économistes et la presse ne l'aiment pas parce qu'il est libéral. Ils ont tort.

Et le deuxième livre est celui de Thomas Piketty qui dénonce les inégalités criantes liées à l'accumulation du capital. Il a d'ailleurs failli appeler son livre "Le capital". Quel arrogance ce garçon, mais il a raison. Faut être arrogant si on veut être remarqué.

Il a raison dans quoi ? Dans ce qu'il écrit ou dans l'arrogance ?

Joker !

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