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Quand le Pentagone fait appel à des espions privés en Syrie
©Pixabay

DAILY BEAST

Les soldats américains qui se battent contre Daech ne sont plus seuls. Dorénavant, l’armée américaine dépense des millions de dollars pour envoyer des enquêteurs et des espions privés sur le terrain.

Kate Brannen

Kate Brannen

Kate Brannen est journaliste pour The Daily Beast

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Ecrit par Kate Brannen. The Daily Beast

Tous les jours à 17 heures, le Pentagone publie la liste des contrats passés d'une valeur de plus de 7 millions de dollars. Le 27 juillet, caché au milieu d’une masse d’informations s’en trouvait un qui a attiré le regard : des firmes privées de sécurité allaient se battre aux côtés des 300 soldats américains en Syrie.

C’est la première fois que le Pentagone reconnait publiquement le rôle d’entreprises de sécurité privées dans la lutte contre Daech. C’est aussi un indice de plus concernant l’implication de l’armée américaine dans le destin de la Syrie. Le communiqué stipule que Six3 Intelligence – une entreprise de sécurité privée qui vient juste d’être rachetée par CACI International – a remporté un contrat de gré à gré d’une valeur de 10 millions de dollars pour fournir "des services de renseignement et d’analyse".

D’après le Pentagone, sa mission se déroulera l’année prochaine en Allemagne, en Italie et surtout en Syrie. A part ça, très peu de détails. Il est par exemple très difficile de savoir combien d’employés devront aller dans ce pays pour mener à bien la mission. Il se pourrait qu'il ne s'agisse que de quelques analystes (grassement payés) qui iront épauler le contingent militaire américain déjà sur place. Il se peut aussi que ça soit bien plus. Le Pentagone et CACI ne s’étendent pas non plus – au-delà des classiques "services de renseignement et d’analyse" - sur le type d’activités demandées à Six3 sur place. Mais Sean McFate, professeur à l’école des Affaires étrangères à l’université de Georgetown, auteur de Shadow War (Guerre de l’ombre) et ancien mercenaire, a déclaré au Daily Beast que "Ce n’est pas un fournisseur de services comme les autres…SIX3 Intelligence est une entreprise privée de renseignement et d’espionnage et le fait que nous externalisions une bonne partie de nos activités de renseignement montre à quel point nous devenons dépendants dans ce secteur stratégique en temps de guerre".

SIX3, qui travaille essentiellement avec les agences du renseignement, est spécialisée dans l’identité numérique et biométrique. Son ex PDG avait affirmé que 95% de ses effectifs avait le niveau le plus élevé d'autorisation secret défense. Une version archivée du site web de SIX3 décrit ainsi le département biométrie : " Notre expertise va des empreintes digitales, de l’iris et du visage en passant par l’analyse médicale et légiste". Elle a moins de contrats avec l’armée, mais une recherche aux archives des contrats du département américain de la défense prouve que cela ne l’a pas empêchée de travailler avec l'armée en Afghanistan et en Europe, ainsi que dans le cadre du "Programme de contre-insurrection" et d’autres programmes militaires.

Sentant que ce domaine allait connaitre une forte croissance, CACI a acquis SIX3 Intelligence Solutions, qui n’avait que 4 ans d’existence, pour 820 millions de dollars en 2013. Cette acquisition avait été présentée comme "la plus importante des 51 années d’existence de CACI". A l’époque du rachat, Ken Asbury, le PDG de CACI, avait estimé que l’acquisition pourrait générer 15 milliards de dollars en nouveaux contrats. CACI travaille avec l’armée américaine depuis longtemps. La société a notamment fourni des interrogateurs à la prison d’Abu Ghraib, au moment du scandale. "Les sous-traitants ne font pas que conduire des camions et faire à manger : ils font du renseignement, tirent et tuent, et soutiennent les forces armées dans des opérations spéciales" dit M. McFate. Jusqu’à ce jour, il n’a pas été fait mention de sociétés de services travaillant avec l’armée américaine en Syrie mais les experts militaires ont peu de doutes sur le fait que SIX3 n’est pas le premier sur le territoire syrien.

"ça fait longtemps que je le dis, l’armée américaine se sert des sociétés de services comme on se sert de la carte American Express : ils ne sortent pas sans elles" dit David Isenberg, auteur du livre Shadow force : Private Security Forces In Iraq.

"Le milieu du Renseignement est très dépendant des sociétés privées en ce moment", ajoute-t-il. La nature sensible et dangereuse des opérations en Syrie fait que peu d’informations sont déclassifiées. En Irak, où il y a un peu plus de 4000 Américains, le Pentagone est plus transparent. Depuis l’été dernier, le nombre d’employés de sociétés privées travaillant pour le ministère de la Défense a quasiment doublé, passant de 1300 à 2500. Ce nombre s’accroit au fur et à mesure de la multiplication des troupes au sol et de l’implantation de bases pour les y héberger.

Dans les bases de Besmaya et Camp Tiji, où les troupes américaines forment les soldats irakiens à se battre contre Daech, les sociétés de services fournissent tout, des repas à la sécurité du périmètre de la base. En 2015, il n’y avait que 98 personnes 'de soutien' aux troupes. Selon un rapport de ce juillet du Commandement central de l’armée américaine, il y en aurait aujourd’hui 390, incluant des Américains, des Irakiens et des personnes d'autres nationalités. Ce ne sont que les chiffres du Pentagone. Le gouvernement américain et l’ambassade des Etats-Unis à Bagdad emploient beaucoup plus de personnel privé.

Le rapport du Commandement central précise que plus de 7100 contractuels travaillent pour les intérêts américains en Iraq. Ils lavent le linge, font à manger et sécurisent les bâtiments américains, entre autre. 

"Le personnel privé facilite le glissement des missions car il permet aux autorités de réduire le nombre de personnel américain présent sur le terrain" dit M. McFate. Les indices de la semaine dernière montrent que quelque chose de similaire est en train de se passer en Syrie. Le 15 novembre 2015, le Pentagone a annoncé le déploiement de 50 commandos en mission de conseil dans la lutte contre Daech. Auparavant, la CIA avait également opéré dans le pays, dans le cadre d’un programme clandestin, en armant des factions rebelles.

Evidemment, si des sociétés privées étaient aux côtés de la CIA lors de ces missions, ces informations seraient classées secret défense. En avril 2016, la présence de l'armée américaine en Syrie s’est accrue quand le président Barack Obama a annoncé le déploiement de 250 personnes supplémentaires des forces spéciales pour encadrer et aider les combattants locaux dans leur lutte contre Daech. Avec plus de troupes au sol, l’infrastructure locale se développe ou s’améliore pour les accueillir eux et les combattants qu’ils forment. Par exemple, en février dernier, CNN a rapporté que dans la ville de Hasakah au nord de la Syrie dans le territoire kurde, la longueur d'une piste d'atterrissage a été doublée pour recevoir de plus gros avions.

Tant que la guerre contre Daech continue en Irak et en Syrie, les opportunités pour les sociétés privées de sécurité et de défense croîtront. Mais les vrais gros contrats apparaîtront au moment de la reconstruction de ces deux pays. Les Etats-Unis ont dépensé plus de 60 milliards de dollars pour la reconstruction de l’Irak et plus de 110 milliards de dollars pour l’Afghanistan. La semaine dernière, le secrétaire de la Défense Ashton Carter a signalé que des opportunités pour les entreprises privées du secteur de la sécurité allaient arriver, une fois Daech repoussé hors des principales villes en Irak et en Syrie. "Il y aura des villes à reconstruire, des infrastructures à remettre en place et des communautés à recréer" a-t-il déclaré devant les troupes, le 27 juillet, à Fort Bragg en Caroline du Nord. "Ce n’est pas vraiment le job des Américains de faire ça. Bien sûr, nous aurons un rôle à jouer mais il faut savoir que le budget de 2 milliards de dollars pour la reconstruction passera essentiellement par des agences de la société civile et des entreprises privées locales" a-t-il déclaré aux journalistes plus tard dans la journée. "Ce sera un gros boulot".

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