Quand le terrorisme est là pour durer : la France face aux mêmes étapes psychologiques qu’un patient qui apprend qu’il souffre d’une grave maladie<!-- --> | Atlantico.fr
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Lorsqu'un individu doit affronter un grave handicap ou maladie, il fait face à des pertes graves liées à sa façon de vivre, de se mouvoir, ou de penser. Ceci a des conséquences sur le mode de vie de l'individu, sa vie professionnelle, familiale, sociale.
Lorsqu'un individu doit affronter un grave handicap ou maladie, il fait face à des pertes graves liées à sa façon de vivre, de se mouvoir, ou de penser. Ceci a des conséquences sur le mode de vie de l'individu, sa vie professionnelle, familiale, sociale.
©Reuters

Sentiments d’injustice

La société française prend peu à peu conscience qu'elle devra vivre avec la menace durable des attentats terroristes. Une situation qui trouve des similitudes avec ce qu'un patient peut ressentir lorsqu'il apprend qu'un syndrome peut à tout moment dégrader sa vie.

Jean-Roger Dintrans

Jean-Roger Dintrans

Jean-Roger Dintrans est psychiatre, chargé de cours à Paris V et à Paris VII.

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Atlantico : Le mois de juillet 2016 restera comme le mois où la société française a été contrainte d'ouvrir les yeux sur le fait qu'elle allait longtemps devoir vivre avec la menace terroriste. Par quelles phases un individu doit-il passer lorsqu'il apprend qu'il devra vivre avec une grave maladie chronique, qui aura des conséquences profondes sur sa vie ? Comment se fait le deuil de sa vie d'avant, normale ?

Jean-Roger Dintrans : Lorsqu'un individu doit affronter un grave handicap ou une grave maladie, il fait face à des pertes graves liées à sa façon de vivre, de se mouvoir, parfois de penser lorsqu'il s'agit de maladies affectant l'intellect. Tout ceci a bien entendu des conséquences sur le mode de vie de l'individu, sa vie professionnelle, familiale, sociale, etc.

A ces pertes s'ajoutent l'angoisse, la tristesse et le deuil qui leur sont associés. L'annonce constitue donc un tsunami psychologique face auquel l'individu va mettre en place des processus de défense psychologique. D'autant plus qu'il faut du temps à l'individu pour comprendre véritablement ce qui lui est arrivé, pour l'accepter.

Mais dans un premier temps, l'individu est davantage dans une phase d'évitement caractérisée par le fait qu'il ne pose pas de questions au médecin – ou pas les bonnes – qu'il évite l'annonce des conséquences du diagnostic ou de chercher à comprendre dans le cas où on lui fait cette annonce ; il pourra aussi vouloir constituer un cas particulier qui ne rentrera pas dans la situation générale de ce qui lui est annoncé. Cet évitement sert à lutter contre l'angoisse.

Une fois la conscience et la compréhension intellectuelles acquises, l'angoisse prend corps et peut même s'amplifier si elle était déjà là. C'est à ce moment-là que se mettent en place des mécanismes de solution, des schémas de pensée afin de faire face à cette angoisse et au deuil de la vie d'avant.

En son for intérieur, et souvent, le patient refuse d'accepter la totalité de l'évènement. Ces solutions doivent lui éviter de prendre en pleine face la totalité des conséquences de l'évènement dans un laps de temps réduit. L'individu met alors en place un clivage : il accepte de comprendre intellectuellement la situation, mais que de manière partielle. Il peut alors mettre en doute le diagnostic médical, repensant aux fameux "cas particuliers" liés à sa maladie par exemple. Parallèlement à ce mécanisme de désaveu, il va essayer de ne pas trop rapidement prendre en compte les conséquences, notamment en ce qui concerne le cours de sa vie.

Ce type d'annonce, outre l'intégrité physique, impacte également la perception de soi, sans oublier la relation avec l'entourage, bien que celui-ci se montre aimant et aidant à la suite de ce type d'annonce.

Une fois ces étapes passées, comment réussit-on à vivre avec la menace représentée par une dégradation physique, mais aussi la perspective de nouveaux attentats par exemple ?

Jean-Roger Dintrans : Le travail de deuil est la dernière étape et se fait en plusieurs temps. Tout d'abord, il se fait psychiquement, une fois que l'individu a commencé à comprendre sur le plan intellectuel ce qui lui est arrivé. Puis, ce travail de deuil se poursuit, sur un temps beaucoup plus long, qui peut prendre des années. Car on peut assister à une phase durant laquelle l'individu refuse la situation, y compris sur le plan intellectuel. Dans ce long processus, le déni survient en fait plus tard qu'on ne le pense : il intervient une fois la prise de conscience intellectuelle effective, mais il s'agit souvent d'une prise de conscience partielle. La prise de conscience ne peut survenir qu'à partir du moment où l'individu commence à expérimenter, à vivre au quotidien, les symptômes de la grave maladie qu'on lui a diagnostiquée. Il peut néanmoins avoir connaissance de ce qui risque de lui arriver et par conséquent opérer un déni.

Après le deuil survient le moment de la reconstruction : reconstruction de l'image de soi ou de la nouvelle identité d'un pays, la recherche de nouvelles satisfactions dans son rapport au monde pour une personne, bien que certaines pourront, peut-être, être conservées. Ainsi, par exemple, une personne faisant anciennement de la boxe mais ne pouvant plus pratiquer ce sport suite à un accident ou une maladie grave, pourrait se mettre à la lecture ou aux échecs.

Il convient aussi de prendre en compte la structure psychologique au préalable de l'individu à qui une telle annonce est faite, du niveau de ses relations avec son entourage, etc. En tenant compte de ces facteurs, les réactions peuvent donc différer d'un individu à l'autre.

Pour aider au mieux la personne face à une telle épreuve, son entourage doit respecter le temps d'adaptation de la personne. La compréhension aimante, intuitive, constitue le meilleur soutien. Pour ceux qui entourent, il convient de ne pas s'oublier soi-même pour rester dans le soutien car il ne faut pas oublier qu'eux-mêmes sont altérés par la menace.

On peut remarquer parfois de la culpabilité de la part du patient, qui se sent donc coupable de l'état dans lequel il est, mais également de la part de l'entourage qui peut penser qu'il n'en fait pas assez, etc.

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