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À quelle réponse s'attendre de Poutine face aux menaces de l'Etat islamique contre la Russie ?
©Reuters

Campagne de terreur

Dans une vidéo publiée ce dimanche, l'Etat Islamique s'adresse directement à Vladimir Poutine et promet aux Russes de venir "les tuer dans leurs maisons". Si cette menace s'explique par plusieurs raisons (situation militaire en Syrie, volonté de l'Etat Islamique de s'implanter dans le Caucase, possibilité d'un "coup" médiatique), il n'est pas certain qu'elle change fondamentalement la donne.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Dans une vidéo publiée ce dimanche sur Internet, l'Etat Islamique s'adresse à Vladimir Poutine et menace les Russes de venir "[les] tuer dans [leurs] maisons". Alors que la Russie concentre surtout ses efforts militaires en Syrie à la lutte contre les rebelles anti-Bachar el-Assad, d'éventuels attentats de l'EI en Russie pourraient-ils changer la donne ?

Alain Rodier : Absolument pas. Je pense qu’il s’agit d’une rodomontade de plus de Daech, surtout à l’égard de la Russie. Il convient de bien comprendre que pour ses opérations terroristes, Daech utilise ses propres hommes (comme le 13 novembre 2015 au Bataclan et aux terrasses des café) ou, beaucoup plus fréquemment, des "djihadistes solitaires" (qui peuvent être plusieurs comme cela a été le cas à Rouen). Ces derniers n’ont aucun lien hiérarchique avec un quelconque commandement mais répondent aux appels au meurtre lancés régulièrement par l’organisation.

En ce qui concerne la Russie, Daech tente depuis sa fondation en 2014 de prendre pied dans le Caucase, mais il y rencontre de nombreuses difficultés pour deux raisons :

1) Les forces de sécurité sont omniprésentes et interviennent à la moindre alerte ; depuis les deux guerres en Tchétchénie, Poutine a su déléguer la lutte antiterroriste aux gouvernements locaux tout en leur apportant appui logistique et renseignements.

2) Al-Qaïda "canal historique" est solidement implanté depuis 2007 via l’"Emirat du Caucase" même si des défections ont eu lieu. Il mène une guerre de basse intensité contre la Russie, marquée particulièrement par deux attentats à Moscou, le premier dans le métro en 2010 et le deuxième à l’aéroport de Domodedovo en 2011. Après la mort de son dirigeant historique, Dukou Oumarov, en septembre 2013, ses successeurs (qui ont été tués les uns après les autres) se sont opposés à Abou Bakr Al-Baghdadi. D’après eux, seul le premier émirat islamique - celui des talibans - avait la légitimité pour fonder un "califat". Ne pas oublier que idéologiquement, Al-Qaïda "canal historique" est placé sous l’autorité morale et religieuse du chef des talibans afghans, alors que Daech ne reconnaît qu’un seul maître, Abou Bakr al-Baghdadi, soit-disant descendant du Prophète Mahomet.

Daech a profité de la vacance apparente du pouvoir à la tête de l’Emirat du Caucase pour s’implanter au Daguestan, profitant de la défection de dirigeants locaux. L’émir de cette province extérieure au noyau syro-irakien est Abou Mohamad al-Qadari. A noter que l’on ne connaît pas l’identité du dernier chef de l’Emirat du Caucase, sans doute pour une raison de sécurité puisqu’ils ont tendance à être rapidement neutralisés par les services russes.

Enfin, si Daech n’est effectivement pas la principale cible des Russes en Syrie, ce mouvement a tout de même été frappé à Palmyre, Deir ez-Zor, Raqqa et à l’est d’Alep. Moscou constitue donc un objectif naturel, parmi d’autres.

L'Etat Islamique a-t-il des raisons précises de vouloir s'attaquer à la Russie, alors que son intervention en Russie ne se déroule pas vraiment en totale coordination avec celle des Occidentaux, contribuant en partie à la confusion sur le terrain ?

Le Groupe Etat Islamique (GEI, Daech) a lancé depuis des mois une campagne de terreur en-dehors de son berceau syro-irakien. Ce n’est pas tant parce qu’il est mis en difficulté sur le terrain, mais il s’agit d’une manière de faire parler de lui en permanence. Cela permet de soutenir le moral de ses combattants et de motiver les aspirants au djihad. Si ces derniers ne parviennent pas à rejoindre la Syrie ou l’Irak, ils sont invités à passer à l’action là où ils se trouvent. La revue en anglais Dabiq (numéro 15) parue le 31 juillet sur la toile appelle d’ailleurs une nouvelle fois au meurtre, en particulier de chrétiens considérés comme des ennemis directs du califat. Le titre est d’ailleurs parlant : Abattre la croix. Les Russes orthodoxes, dont le président Poutine est le plus important soutien politique, en font bien évidemment partie. De plus, défier les Russes est important pour Daech au moment où ces derniers ont aidé Damas à remporter quelques victoires dont la reprise de Palmyre et l’encerclement de quartiers rebelles (où Daech n’est pas présent) d’Alep.

Le déclenchement d’attentats au cœur de la Russie par des "djihadistes solitaires" comme cela a été le cas aux Etats-Unis serait un coup médiatique d’importance pour Al-Baghdadi. Cela démontrerait que le GEI peut frapper partout où il le veut. D’ailleurs, la crainte est déjà présente sur l’ensemble de la planète, même au Brésil où vont se dérouler les Jeux Olympiques. S’il y a une délégation russe (ce qui n’est pas encore certain à l’heure où sont écrites ces lignes), elles sera certainement très protégée.

Quelle réponse peut-on attendre de Vladimir Poutine suite à cette menace ? Historiquement, comment la Russie s'est-elle comportée face au terrorisme (en Tchétchénie ou ailleurs) ?

Poutine avait déclaré en 1999 alors qu’il était Premier ministre de Boris Eltsine que les terroristes seraient "buttés jusque dans les chiottes". En fait, il a opéré bien plus subtilement, utilisant les pouvoirs locaux comme celui du président tchétchène Ramzan Kadyrov, son "fils spirituel" pour mener la chasse aux djihadistes. Ce dernier, pour combattre les islamistes radicaux sur le terrain idéologique, a également fait prendre un tournant très religieux à sa république. Les activistes se retrouvent dans la position inconfortable : "pourquoi combattre pour l’établissement d’un régime islamique alors qu’il est en train de se mettre en place ?".

De plus, le front syro-irakien sert à la Russie d’abcès de fixation pour l’islam radical. Tant que des Caucasiens convaincus à la cause y combattent (et y sont neutralisés), ils ne viennent pas mener le djihad dans leur terre d’origine. Par contre, il est probable que les frappes aériennes contre le GEI vont s’intensifier notablement.

Il est légitime de penser que la guerre en Syrie (comme en Irak) va se poursuivre tant tous les acteurs internationaux, Russie y compris, ont intérêt à fixer l’ennemi. Mais cela n’empêche en rien les actions terroristes à l’extérieur.

Propos recueillis par Benjamin Jeanjean.

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