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Les deux raisons pour lesquelles le Front national pourrait ne pas bénéficier tant que ça du sanglant mois de juillet 2016
©Reuters / Philippe Wojazer

Pas si vite

Si le contexte d'attentats terroristes en France pourrait favoriser, à première vue, la rhétorique du Front national, le parti de Marine Le Pen est encore loin de pouvoir crier victoire pour les prochaines échéances.

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Atlantico : Charlie Hebdo, le Bataclan, Nice, Saint-Etienne de Rouvray… Dans quelle mesure le FN bénéficie-t-il du contexte actuel de menace terroriste ? Les différents attentats qui ont frappé la France depuis le mois de janvier 2015 ont-ils permis au discours du FN de gagner en légitimité ? Cela s'est-il traduit par l'adhésion de nouveaux électeurs ?

Jérôme Fourquet :Nous constatons que le FN a plus bénéficié de la séquence novembre 2015 que celle de janvier 2015. Il obtient 24% aux élections européennes de mai 2014, puis 25% au départementales de mars 2015, qui succèdent à Charlie. Dans Janvier 2015 : Le Catalyseur, nous avancions avec Alain Mergier que les attentats de l'époque venaient conforter l'électorat frontiste dans sa grille de lecture. Ils se sont alors dit : "c'est bien nous qui avions raison". Cela se traduisait électoralement par le fait que le plafond de 24%-25% devenait un plancher. Les gens qui commençaient à voter FN se sont dit qu'ils avaient bien fait, car les événements confirmaient leur grille de lecture. Janvier vient consolider la progression du FN depuis 2012. Il part de 18% à la présidentielle pour faire 24% aux européennes et 25% aux municipales. Le Bataclan associé à la crise des migrants fait progresser le FN de 25% à 28% aux régionales de décembre 2015. L'effet massif de ces attentats se traduit par un gain supplémentaire, mais pas par un gain spectaculaire. Nous ne sommes pas à +10% ou davantage. Mais cette progression vient s'ajouter à des gains substantiels. Depuis 2012, il avait pris avait déjà 7%, là il gagne encore 3%.

La question est de savoir maintenant si ces attentats à Nice, ville qui votait déjà beaucoup FN, et à Saint-Etienne de Rouvray, qui ébranle la communauté catholique, à qui Marion Maréchal-Le Pen envoie de très nombreux signaux, vont produire les mêmes effets que le Bataclan. Nous avons dit précédemment que le double attentat de juillet pesait autant que le Bataclan. Il est probable que le FN engrange des voix supplémentaires, en plus de son stock déjà élevé. Nous avons constaté aux élections législatives partielles qui ont suivi les régionales une démobilisation de l'électorat, sûrement à cause d'un effet gueule de bois provoqué par la défaite. Le FN ne paraissait pas en mesure de l'emporter, même dans des régions fétiches. Cet électorat démobilisé va sûrement à nouveau faire bloc et répondre présent aux prochaines grandes consultations. Peut-être qu'en plus le parti sera renforcé par de nouveaux apports.

Alors que l'assassinat d'un prêtre à Saint-Etienne-du-Rouvray a intégré une dimension civilisationnelle à l'origine du conflit, confirmant certains des diagnostics du FN, pourquoi ce dernier ne séduit-il pas davantage de nouveaux électeurs ? Les Français peuvent-ils se dire que faire le bon diagnostic n'amène pas forcément à proposer les meilleures solutions ?

Le FN martèle que ses analyses sont justes et que ses propositions sont progressivement reprises par les autres partis avec un temps de retard. Ils expliquent alors avoir eu raison avant tout le monde. Incontestablement, c'est bénéfique pour le FN et cela participe au mouvement décrit tout à l'heure et le conforte. Nous pouvons toujours dire qu'il ne monte pas davantage, mais il est à 28% aux régionales, avec des scores bien plus élevés dans certaines régions et des hausses dans l'entre-deux-tours. Cela conforte ce vaste électorat qui a considérablement gonflé de manière rapide ces dernières années. Mais, et les régionales l'ont encore prouvé, une majorité de Français ne veulent pas voir le FN arriver au pouvoir. Les citoyens pensent que ce parti ne serait pas capable de gérer correctement le pays. Ils estiment soit que cela provoquerait des affrontements et des troubles, sous la logique civilisationnelle, soit que c'est un parti de contestation, mais pas de gestion. Dans une situation d'extrême-urgence, il y a une prime très forte à ceux perçus comme déterminés et comme capables. Marine Le Pen est créditée, même par ses adversaires, de la détermination. Maintenant, il n'est pas évident que le FN soit capable de faire fonctionner de manière optimale les appareils de l'Etat. Cela constitue encore un verrou, avec la crainte subsidiaire que l'arrivée du FN amplifiera les fractures déjà à l'œuvre dans le pays. Il y a une partie de la population musulmane qui est déjà en sécessions. Mettre Marine Le Pen à l'Elysée pourrait avoir comme effets de faire basculer toute une autre partie de la communauté musulmane et de nourrir les troubles communautaires.

De même, après les attentats de Charlie Hebdo, de nombreux observateurs ont fait part de leur crainte d'une vague d'actes islamophobes qui ne s'est pas traduite dans la réalité. Peut-on parler de relative "tempérance" de leur part, malgré la tension que la menace terroriste fait peser sur la société ?

Depuis juillet, je n'ai entendu parler que des tags sur la mosquée de Bron, près de Lyon, et d'un incendie sur un chantier de mosquée dans la banlieue de Toulouse. Nous n'avons pour l'instant pas assisté à un déchaînement de violence. Sur les quatre premiers mois, les actes islamophobes enregistrés par la Dilcra (Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme et l'Antisémitisme) ont diminué. Ensuite, après novembre 2015, nous avons vu moins d'actes violents qu'après janvier 2015. Nous ne sommes pas dans une logique crescendo, comme nous l'avons constaté sur d'autres sujets. Pour finir, l'amalgame est le stade qui précède le passage à l'acte. Si de plus en plus de gens mettent tous les musulmans dans le même sac, la loi du Talion s'appliquera de plus en plus. Or, nous ne constatons que 2/3 des Français défendent une position raisonnable. Les responsables politiques et la population tremblent de voir le spectre de la guerre civile se réaliser. Avant le mois de juillet, 70% des Français craignaient de nouveaux troubles en cas d'attentat. Or, ce scénario ne s'est pas réalisé. Les Français restent calmes et savent faire la part des choses. De plus, ils entendent constamment que c'est ce que cherchent les terroristes et ne souhaitent pas faire leur jeu.

Néanmoins, si les Français sont résilients, cette rationalité s'accompagne d'une très forte exigence vis-à-vis de l'Etat. S'il n'y a pas d'acte fort du côté du gouvernement, cette relative tempérance pourrait peut-être s'effriter. Pour reprendre la célèbre formule de Max Weber, l'Etat a le monopole de la violence physique légitime et les citoyens attendent qu'il l'exerce pour les protéger. La population pourrait être tentée de se défendre elle-même si elle estime que l'Etat n'est pas à la hauteur du défi.

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