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Nicolas Sarkozy réunit cette semaine les représentants des collectivités territoriales...
Nicolas Sarkozy réunit cette semaine les représentants des collectivités territoriales...
©Reuters

Hara-kiri

Nicolas Sarkozy réunit cette semaine les représentants des collectivités territoriales de manière à mieux associer celles-ci à l'effort de réduction des déficits publics. Mais quelle est donc la vraie responsabilité des collectivités locales dans l'endettement global français ?

Samuel-Frédéric Servière

Samuel-Frédéric Servière

Samuel-Frédéric Servière est diplômé en Histoire, en Droit des affaires mention fiscalité et de l’IEP de Paris.

Il a occupé les fonctions d’assistant parlementaire à l’Assemblée Nationale en 2007 avant de rejoindre l’équipe de l’iFRAP en 2008.  

 

 

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Atlantico : Nicolas Sarkozy réunit cette semaineles représentants des collectivités territoriales de manière à mieux associer celles-ci à l'effort de réduction des déficits publics. Quelle est la part des collectivités locales dans l’endettement de la France ?

Samuel-Frédéric Servière : Pour bien prendre la mesure de l’endettement des collectivités locales en France il faut considérer deux niveaux :

- Il y a tout d’abord une part d’endettement propre aux collectivités locales, et qui peut être évaluée à 142,21 milliards d’euros en 2010. Si l’on y intègre les établissements publics locaux on arrive à un montant total de 156,5 milliards d'euros. En comparaison, l’endettement public a été évalué à environ 1700 milliards d’euros, soit un ordre de grandeur d’un dixième environ. Par ailleurs cet endettement public local est particulièrement fort par rapport à l’endettement des autres états unitaires de la zone euro. Ainsi l’endettement français représentait en 2009 8,2 points de PIB (OCDE) contre 7,1 pour le Danemark, 6,1 pour la Suède ou 4,8 pour le Royaume-Uni. Seule l’Italie connaît un endettement public local plus important 8,6% mais le pays a une décentralisation quasi-fédérative et est en excédent primaire (c’est-à-dire n’est en déficit qu’en raison du service de sa dette et non de ses dépenses de fonctionnement) contrairement à la France. Les pays fédéraux ont un endettement plus fort que le notre, mais cela est dû essentiellement à une répartition des compétences entre le national et le local différente.

- Il y a aussi leur dette implicite, c’est-à-dire leur participation au creusement de la dette de l’Etat. En effet, à partir du moment où l’Etat réalise un certain nombre de prélèvements sur recette en direction des collectivités locales, tout en leur assurant aussi un certain nombre d’exonérations ou dégrèvements sur le montant de leurs impôts locaux (et en compensant la différence à leur bénéfice), il y a donc directement une connexion entre les finances locales et nationales. On évalue la participation des collectivités locales au déficit de l’Etat, en moyenne entre 2007 et 2010, à 20% de ce même déficit.

Les collectivités locales expliquent généralement que leur endettement est bien maitrisé. Les évènements récents nous montrent que ce n’est pas tout à fait le cas. A cause de la toxicité d’un certain nombre d’emprunts (environ 7,6% d’emprunts toxiques localisés à l’heure actuelle au sein des collectivités locales), sur fond de croissance très importante de l’endettement local puisqu’entre 2004 et 2010, celui-ci a augmenté de près de 40,8%.

En point de PIB, il existe donc une participation au déficit général représentant entre 0,43 en 2007 à 1,49 en 2010. Ailleurs en Europe, on remarque des dégradations similaires mais pas forcément de la même amplitude. La spécificité française réside donc dans l’importance des transferts de l’Etat aux collectivités locales. En ce sens les collectivités locales sont co-responsables du déficit de l’Etat parce que les transferts entre l’Etat et les collectivités locales sont très importants.

Selon vous, les transferts entre L’Etat et les collectivités sont donc trop importants. Qu’en est-il de la gestion après coup ?

Si l’on entend par bonne gestion le fait de présenter un budget en équilibre et de respecter la règle d’or des finances locales. On peut dire qu’elles sont équilibrées. Ceci dit, pour savoir si elles sont bien gérées, il faut regarder l’évolution des dépenses de fonctionnement et analyser ce qu’il y a à l’intérieur (les dépenses d’intervention, de personnel etc…). Dans ce domaine, on remarque un certain nombre de surprises.

En ce qui concerne les dépenses de personnel, les collectivités locales ont tendance à se retrancher derrière l’idée que la décentralisation expliquerait l’évolution de leur charge salariale. En réalité quand on regarde les chiffres de près, on se rend compte que ce n’est pas tout à fait le cas. Pour bien se rendre compte des enjeux, en termes d’effectif, entre 2004 et 2009 (au moment où l’acte 2 de la décentralisation est rentré en vigueur) nous avons remarqué des croissances hors décentralisation qui étaient très importantes.

Pour le bloc communal (commune et intercommunalité), nous avons + 180 000  fonctionnaires. + 101 000 au niveau des Etablissements public de coopération intercommunale (EPCI), ce qui est normal par rapport à la logique de couverture de territoire après la décentralisation. Mais on aurait été en droit de s’attendre à ce qu’au niveau des communes il y ait une réduction des effectifs puisque les transferts de compétences au niveau intercommunal auraient dû assurer une certaine mutualisation des services et donc permettre une compression des effectifs, dans l’idéal à due concurrence des créations réalisées. Or les effectifs communaux augmentent dans le même temps de + 86 600 personnels. Certes il y a eu le transfert d’un certain nombre de ports et d’aérodromes gérés autrefois sur un plan national mais cela ne représente seulement quelques milliers de postes. Il y a donc au niveau local un certain nombre de doublons entre les communes et leurs intercommunalités qui devraient être réduits.

La volonté du gouvernement était d’achever la carte intercommunale, avec la réforme territoriale qui a eu lieu en 2011. Cela devait laisser présager une sorte de rationalisation des structures et une intégration plus poussée des communes au sein des blocs communaux. En d’autres termes, un travail régulier et profond de mutualisation des services.

Les études les plus récentes montrent que plus l’intégration fiscale se poursuit plus les charges des communes sous-jacentes croissent, alors que l’intégration aurait dû conduire à leur réduction. Les raisons invoquées sont connues : alignement qualitatif des services publics lors de l’intégration intercommunale ce qui fait grimper les coûts,  mais aussi réticences des collectivités les unes par rapport aux autres. Tous les échelons se surveillent un peu en chien de faïence. Par ailleurs la progression des carrières administratives locales conduit également à la hausse : des personnels locaux en fin de carrière ou à la carrière prometteuse arrivent à l’échelon intercommunal ce qui renforcent les dépenses de personnel à l’échelon intercommunal. Mais il y a aussi des entités qui maintenant sont intégrées et qui conservent leurs services en interne pour continuer à avoir une certaine maitrise sur les opérations. Les effets d’échelle ne sont pas au rendez-vous et les budgets locaux continuent de progresser.

Au niveau des départements et régions, il existe aussi une croissance des effectifs qui n’est pas liée à la décentralisation. Nous avons remarqué dans les départements + 35 400 personnels non liés à la décentralisation. Pour les régions, le chiffre est de + 13600. Il y a donc une forte tendance à la hausse indépendamment de la décentralisation.

En regardant les mécanismes de décentralisation plus finement on s’aperçoit même qu’il y a eu des créations de postes liés précisément à la décentralisation. Aux niveaux départementaux et régionaux il y a 17890 postes qui ne sont pas des transferts de personnels mais des créations de postes bruts.

Que préconisez-vous alors pour une meilleure gestion des budgets locaux ?

Il faut que les fonctions publiques territoriales convergent pour que les services se mutualisent. Ce n’est pas assez d’avoir fusionné les structures au niveau politique dans le cadre de la réforme du conseiller territorial ; il faudrait que les services suivent au niveau département et régional ce qui est pour le moment exclu. De ce point de vue la fusion départements/région en Alsace fait figure de précurseur. A cet égard, Valérie Pécresse a laissé entendre le 29 novembre dernier que le gouvernement, si le Président était réélu, pourrait se lancer dans l’équivalent de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) mais au niveau local. François Fillon s’est aussi exprimé sur le sujet en ce sens.

En réalité, la perspective d’une Révision générale des politiques locales (RGPL) pourrait permettre de décliner ce que l’on a vu au plan national, au plan local. Il y a tout de même quelques contraintes d’ordre constitutionnel puisque nous avons un principe d’autonomie financière des collectivités territoriales. Mais cette difficulté peut être contournée car il est possible de « mettre en réserve » de façon conditionnelle une partie des transferts de l’Etat aux collectivités locales, en la libérant pour les « bon élèves ».

Le gouvernement a plusieurs fois communiqué sur sa fameuse réserve de précaution de 6,2 milliards d’euros. Au sein de ces crédits, il y a une partie des dotations mises sous enveloppe qui sont allouées aux collectivités locales. Mais qui sont considérées pour l’instant comme des dépenses inéluctables, sanctuarisées, que l’on est obligé de décaisser en cours d’années. Si l’on procédait à une taxation budgétaire exceptionnelle sur ces fameux prélèvements sur recette de 10% (uniquement pour les prélèvements normés – 52 milliards d’euros)  cela représenterait 5 milliards d’euros. Même une taxation de 5% (pour être sûr de ne pas porter atteinte au ratio d’autonomie financière matérialisant l’impératif constitutionnel d’autonomie des collectivités territoriales) on serait quand même sur un volet « gelable » de 2,5 milliards.

On peut imaginer que ce gel, conditionné à des réformes structurelles mises en place par les collectivités locales elles-mêmes, constituerait un levier suffisamment puissant pour commencer à amorcer la réforme.

Cette réforme pourrait se décliner, comme au sein de l’Etat, par une baisse de 10% des dépenses de fonctionnement, par une baisse de 10% des achats locaux, par le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partants à la retraite et par la mise en place d’une rationalisation de l’immobilier local avec l’application de l’impératif de 12 m²/agent au sein des bureaux. Il y aurait d’ailleurs une occasion démographique pour la mise en place de cette réforme : entre 2011 et 2015, l’Observatoire de la fonction publique territoriale communique sur une moyenne de départ à la retraite dans la fonction publique territoriale de 36 700 départs par an. Entre 2016 et 2020, le chiffre sera de 41 100 départs. Cette courbe commence à augmenter alors même que la courbe démographique de l’Etat commence à décroitre. Cela constitue une fenêtre de tir assez intéressante.

Si l’on mettait en place cette politique jusqu’à 2020, on arriverait à rester sur une masse salariale qui retrouverait son niveau de 2008. Entre 2007 et 2010, on est passé de 44 milliards d’euros à 52 milliards. Ce type de réforme nous permettrait d’infléchir la tendance et de revenir à un chiffre proche de 48 milliards en 2020 en euros constants.


Propos recueillis par Jean-Benoît Raynaud

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