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L'Europe bat des records avec sa balance commerciale et il n’y a aucune raison de s’en réjouir
©Reuters

Idée reçue

Alors que la balance courante de l'Union européenne atteint des sommets inégalés ces derniers temps à en croire les derniers chiffres d'Eurostat, la vitalité de cet indicateur ne signifie aucunement une économie florissante.

Christophe Blot

Christophe Blot

Christophe Blot est économiste à l'OFCE, au Département analyse et prévision. Ses spécialités sont le commerce extérieur, les crises financières et les politiques monétaires.

 

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Atlantico : Cette semaine, Eurostat a publié des chiffres encourageants pour la balance commerciale de l'Union européenne en mai 2016 (excédent de 10,5 milliards d'euros pour les échanges courants, excédent de 10,6 milliards d'euros pour la balance des services). Au-delà de la prépondérance écrasante de l'Allemagne dans ces chiffres, dans quelle mesure doit-on relativiser la portée de ces résultats et sa signification réelle vis-à-vis de la santé économique de l'UE ?

Christophe Blot : Effectivement, si l'on regarde les chiffres récemment communiqués par Eurostat, ils indiquent un excédent courant pour l'ensemble de l'Union européenne et la zone euro, avec un poids assez marquant de l'Allemagne. Mais si l'on regarde la dynamique de ce solde courant, on constate une amélioration depuis plusieurs années, depuis le début de la crise en réalité, à un moment où la zone euro et l'Europe (même si la croissance repart aujourd'hui) restent quand même dans une situation fragile avec une croissance bien plus basse que dans le reste du monde. C'est donc bien le signe qu'il n'y a pas forcément de corrélation entre la vitalité de la croissance d'une économie et la dynamique du compte courant et du solde commercial de ce pays ou de cette entité.

Pendant des décennies, les États-Unis ont eu des balances courantes négatives en même temps qu'une croissance florissante. A l'inverse, le Japon possédait une balance positive lors de sa phase de dépression (1990-2000). Une balance courante excédentaire est-elle donc vraiment indispensable pour avoir une économie en bonne santé ? Pour quelles raisons ? Quels sont les réels déterminants de cette balance ?

Regardons les composantes de cette balance courante. Si l'on ne rentre pas dans les détails, l'essentiel de la balance est fait par le solde des biens et services (différence entre exportations et importations de biens et services). Parfois, dans quelques pays comme l'Irlande par exemple, le solde des revenus peut être très élevé, mais l'essentiel se joue au niveau de l'écart entre exportations et importations.

On pourrait effectivement se dire à première vue qu'effectivement, un excédent est le signe qu'il y a beaucoup d'exportations. C'est parfois vrai, mais cela peut aussi dire qu'il n'y a pas beaucoup d'importations. Or, les importations sont liées à l'évolution de la demande intérieure des pays, donc à la consommation et à l'investissement.

Le cas américain est emblématique. Les États-Unis ont souvent eu une croissance forte tirée par la demande intérieure, par une forte consommation des ménages et un investissement dynamique, et donc des importations qui en ont découlé. Cela explique en partie le déséquilibre courant des Etats-Unis, qui s'est réduit au cours de la crise. Comparativement, si l'on regarde la situation du Japon ou de l'Allemagne (même si l'Allemagne reste le pays de la zone euro qui a la croissance la plus forte), on constate aussi un dynamisme des exportations, mais des importations relativement modérées. Cela signifie en substance une croissance de la consommation et de l'investissement qui est plus faible.

C'est cela qui est fondamental avec l'évolution du compte courant. C'est l'écart entre exportations et importations, mais c'est aussi la différence entre la capacité d'épargne d'un pays et sa capacité d'investir. Quand un pays épargne beaucoup ou investit peu, il a un excédent courant.

Quels indicateurs ou variables pourraient être plus pertinents que la balance commerciale pour évaluer la vitalité d'une économie ?

La vitalité et la santé d'une économie ne peut pas se mesurer à l'aune d'un seul indicateur. On peut avoir une croissance forte, comme on l'a vu en Espagne dans les années 2000, qui cache des déséquilibres importants dans la sphère financière qui peuvent poser des problèmes d'insoutenabilité de cette croissance. On peut avoir une économie qui a des excédents courants importants mais qui a une croissance relativement modérée. Regardons aujourd'hui le cas de l'Espagne ou de la Grèce, des pays qui ont fortement réduit leur déficit courant au cours des dernières années. Cela traduit en réalité une récession très importante et une anémie de la consommation et de l'investissement.

L'analyse doit donc se porter sur plusieurs facteurs. Il faut effectivement regarder le solde courant, car cela peut être un indicateur de bonne compétitivité d'un pays, mais il faut aussi regarder comment se comporte la croissance, quel est le niveau du chômage, quels sont les déséquilibres possibles dans la sphère financière, etc. Tous ces éléments-là font qu'on ne peut pas se focaliser simplement sur un chiffre, que ce soit celui de la croissance, de l'emploi ou de la balance courante.

Propos recueillis par Benjamin Jeanjean.

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