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Mais où sont donc passées les classes moyennes dans un monde qui ne voit plus que l’opposition du peuple et des élites ?
©Reuters

Les oubliés

En 40 ans, les politiques ont progressivement cessé de s'adresser aux classes moyennes, articulant leurs discours soit autour des élites, soit autour du peuple. Négligées voire parfois méprisées par les partis traditionnels, les classes moyennes françaises tendent à se tourner vers le Front national.

Chantal Delsol

Chantal Delsol

Chantal Delsol est journaliste, philosophe,  écrivain, et historienne des idées politiques.

 

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Aymeric Patricot

Aymeric Patricot

Aymeric Patricot, diplômé d’HEC et de l’EHESS, agrégé de lettres, est professeur dans la banlieue parisienne. Il est l’auteur de quatre romans, Azima la rouge, Suicide GirlsL’Homme qui frappait les femmes et J’ai entraîné mon peuple dans cette aventure ; et de deux essais, Autoportrait du professeur en territoire difficile et Les Petits Blancs. Il tient un blog personnel.

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Yves Roucaute

Yves Roucaute

Yves Roucaute est philosophe, épistémologue et logicien. Professeur des universités, agrégé de philosophie et de sciences politiques, docteur d’État en science politique, docteur en philosophie (épistémologie), conférencier pour de grands groupes sur les nouvelles technologies et les relations internationales, il a été conseiller dans 4 cabinets ministériels, Président du conseil scientifique l’Institut National des Hautes Etudes et de Sécurité, Directeur national de France Télévision et journaliste. 

Il combat pour les droits de l’Homme. Emprisonné à Cuba pour son soutien aux opposants, engagé auprès du Commandant Massoud, seul intellectuel au monde invité avec Alain Madelin à Kaboul par l’Alliance du Nord pour fêter la victoire contre les Talibans, condamné par le Vietnam pour sa défense des bonzes.

Auteur de nombreux ouvrages dont « Le Bel Avenir de l’Humanité » (Calmann-Lévy),  « Éloge du monde de vie à la française » (Contemporary Bookstore), « La Puissance de la Liberté« (PUF),  « La Puissance d’Humanité » (de Guilbert), « La République contre la démocratie » (Plon), les Démagogues (Plon).

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Atlantico : Alors qu’en 1974 Valéry Giscard d’Estaing a remporté l’élection présidentielle grâce à un discours centré sur les classes moyennes, dans quelle mesure le discours politique est-il devenu "binaire" (tournant soit autour des élites, soit du peuple) ? Pourquoi les classes moyennes ont-elles disparu du champ politique ? Est-ce parce qu’elles sont plus difficiles à saisir et dès lors qu’il est devenu plus difficile de leur parler ? Ces dernières n’ont-elles d’autres choix que de se rabattre sur l’un ou l’autre de ces discours ?

Aymeric Patricot : Je ne dirais pas que ces classes moyennes ont disparu des discours. Elles restent même centrales dans la vision politique du PS, par exemple. Mais c’est en creux : le PS a cru qu’elles lui étaient acquises, et qu’il pouvait donc à la fois cesser d’en parler et les frapper au portefeuille. Il risque de le payer durement aux prochaines élections.

En effet, dès l’ouverture de son mandat, François Hollande a fait le choix très net, et cela constitue à mon avis la grande erreur de son quinquennat, de hausser de manière significative les impôts de ces classes moyennes. Il a pensé, à tort, que ces classes moyennes étaient privilégiées, et que pour réduire les déficits et susciter davantage de justice sociale il était opportun de les imposer comme presque aucune autre au monde ne l’était encore. Et même de diminuer ce qu’elles pouvaient toucher ! (Je pense aux allocations familiales).

Tout ceci est le résultat d’une compréhension biaisée de l’économie – Chirac n’avait-il pas déjà prononcé depuis longtemps son fameux "Trop d’impôt tue l’impôt" ? Mais aussi d’une intuition politique erronée dans la mesure où ces classes moyennes se sentaient déjà fragilisées. La rupture sera-t-elle durable ? Sans doute François Hollande a-t-il confondu les classes moyennes en général avec ces classes très urbaines, généralement moquées sous le terme de "bobos", et qui sont en effet traditionnellement acquises à la gauche modérée.

A propos de la difficulté à saisir la nature exacte des classes moyennes, il est vrai que les analyses divergent. Cependant, le phénomène le plus frappant depuis trente ou quarante ans, et cela sous la pression d’une mondialisation qui n’a pas eu, contrairement à ce que l’on nous a seriné de manière très autoritaire, que des effets bénéfiques, est la fragilisation marquante de ces classes moyennes : elles ne constituent plus la classe la plus nombreuse ; elles ont même tendance, en s’appauvrissant, à rejoindre les classes populaires. La société se divise ainsi davantage en classes riches et en classes modestes, celle-ci perdant de surcroît une grande part de leur espoir à grimper sur l’échelle sociale. Les inégalités se sont creusées. Deux groupes se regardent maintenant en chiens de faïence alors qu’on pouvait espérer maintenir un continuum social plus homogène.

Yves Roucaute : En effet, nous assistons à une chasse aux voix du "peuple" et à une critique des élites. Il y a là sans doute une part de démagogie mais aussi de lucidité politique, car trop longtemps les élites ont tenu pour essentielle la défense de leurs seuls intérêts et pour nulles les angoisses des classes populaires, premières victimes de l’insécurité par exemple. Or, historiquement, laisser les classes populaires à l’abandon est toujours la porte ouverte aux extrémismes, politiques voire religieux. 

Mais si je conçois donc la nécessité de reprendre pied dans les quartiers populaires, je constate aussi que les classes moyennes sont les grandes oubliées aujourd’hui. Et cela d’autant qu’elles ont souvent des capacités moindres de mobilisation qui leur permettraient de faire pression sur les élites, ne serait-ce qu’en raison de leur hétérogénéité. Entre le public et le privé, comme à l’intérieur de chacun de ces blocs, les intérêts ne sont pas nécessairement les mêmes. Ils divergent même parfois. Il suffit de songer à la question des retraites.

Il faut dire aussi que "les classes moyennes", globalement cadres moyens et employés, sont en effet difficiles à saisir. Il y a une grande disparité entre les catégories que l’on met à l’intérieur. Il s’agit un peu d’un fourre-tout même si on constate néanmoins que les démocraties sont d’abord l’affaire des classes moyennes du public et du privé. 

Cela dit, cette corrélation entre la victoire électorale et le vote des classes moyennes est globalement vraie. En 1965, Charles de Gaulle a largement distancé François Mitterrand parmi toutes les classes moyennes, et il a été élu. En 1969, Georges Pompidou a très largement distancé tous ses adversaires dans ces mêmes catégories et il a été élu. En 1974, c’est François Mitterrand qui a été majoritaire parmi les cadres moyens et les employés, surtout du secteur public, mais de très peu, 52% des voix contre 48% à Valéry Giscard d’Estaing. Et on constate en même temps que Valéry Giscard d’Estaing a été élu de justesse. Et son septennat n’a pas permis de redresser la barre. En 1981, Valéry Giscard d’Estaing a été très largement distancé par François Mitterrand parmi ces catégories sociales et il a été battu. La force de persuasion de Valéry Giscard d’Estaing chez les agriculteurs, les cadres supérieurs, les commerçants et artisans n’a pas suffit à compenser son sensible retard dans les classes moyennes du secteur public et sa petite avance dans celles du privé. En 1988, François Mitterrand écrase Jacques Chirac dans ces catégories et il est cette fois largement réélu. 

Il faut bien néanmoins distinguer dans ce fourre-tout appelé classes moyennes de fortes disparités, en particulier entre secteur public et privé. En 2002, dés le premier tour Jacques Chirac est confortablement en tête chez les employés et les cadres moyens salariés du privé mais non dans ceux du secteur public. On observe la même séparation classes moyennes du privé et du public en 2007, Nicolas Sarkozy l’emportant nettement dans la première catégorie. C’est aussi le cas, moins largement en 1995, pour jacques Chirac, battu dans les classes moyennes du public. 

Il est donc inquiétant de voir que peu de discours leur sont adressés. Meilleur soutien de la démocratie, leur mise à l’écart n’est pas bon signe.

Chantal Delsol : Vous semblez partager les Français entre ces trois entités que vous appelez le peuple, les classes moyennes et les élites. En réalité, ce qu’on appelle les classes moyennes, c’est le peuple, c’est à dire l’immense majorité des Français. Depuis les Trente Glorieuses, il n’y a plus le prolétariat et la bourgeoisie, parce que le prolétariat est devenu une petite bourgeoisie (c’est ainsi que le marxisme a perdu sa raison d’être, par suppression de son argument). Le prolétariat est devenu une classe moyenne. Il reste en bas de l’échelle ceux qu’on appelle les exclus, ceux qui pour toutes sortes de raisons ne parviennent pas à profiter des ressources allocataires et qui sont littéralement tombés dans la misère économique et en général dans une misère du lien. Ces derniers représentent un pourcentage restreint, quoiqu’évidemment toujours trop élevé. Quant à ce qu’on appelle l’élite, elle représente aussi un pourcentage très restreint. L’ensemble des Français, c’est la classe moyenne. Vous voulez dire, je suppose, que le discours politique s’intéresse surtout aux exclus, ce qui est vrai mais c’est assez normal, et beaucoup à l’élite, cela c’est LE problème de la démocratie occidentale en ce tournant de siècle. 

En ne faisant plus des classes moyennes un référant, les politiques ont-ils renoncé à un destin commun ? 

Aymeric Patricot : Comment s’étonner que le PS tombe à douze pour cent d’intentions de vote et que le ressentiment à l’égard des sphères médiatiques atteigne des niveaux incandescents ? François Hollande n’aime pas les riches, selon ses propres termes ; il ne donne pas de preuves d’amour aux classes moyennes ; il a l’air de mépriser les plus pauvres, du moins quand ils sont blancs. Les seuls avec lesquels il cherche à maintenir le contact, à coûts de campagnes de communication à la fois coûteuses et maladroites, pour ne pas dire malsaines, ce sont les minorités ethniques. Mais fonder toute une stratégie sur vingt pour cent des électeurs, que l’on désigne explicitement comme victimes de tous les autres, est voué à l’échec. Il manque décidément encore un projet rassembleur, porté vers un avenir constructif. Pour l’instant, d’ailleurs, aucun parti ne me semble avoir vraiment trouvé de souffle. Chacun reste sur la défensive et propose de colmater les brèches. Où sont l’optimisme, le volontarisme, l’ambition ?

Chantal Delsol : Aristote disait déjà que l’advenue de la démocratie correspond avec l’advenue d’une classe moyenne, celle-ci signifiant un intermédiaire entre les pauvres et l’élite. Cela est toujours vrai : il ne peut y avoir de démocratie sans un intermédiaire florissant entre les pauvres et les riches – pour faire simple. Mais aujourd’hui ce qui se passe est beaucoup plus préoccupant : nous avons une élite gouvernante qui évolue dans sa culture et son idéologie propre, sans se soucier le moins du monde de la culture et des aspirations de la classe moyenne qui constitue peut-être 80% des citoyens. C’est impressionnant. Cela ne peut mener, à terme, qu’à des confrontations. 

Yves Roucaute : Les politiques ont seulement renoncé à penser stratégiquement. Car pour gagner il faut emporter l’adhésion au moins des classes moyennes du privé pour la droite. Espérons que les élites politiques se reprendront sous peine d’envoyer ces classes moyennes vers les extrêmes.

La campagne sur le Brexit a opposé deux camps : d’un côté le camp du "leave" dont les arguments s’adressaient au "peuple", de l’autre le camp du "remain" dont les arguments s’adressaient aux élites. On présente la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne comme la victoire du peuple. Mais en réalité, n’est-ce pas le vote de la "masse du milieu" qui a été déterminant ? A chaque élection, la bascule ne se fait-elle pas autour des classes moyennes et de la façon dont elles vont voter ?

Aymeric Patricot : L’événement du Brexit est particulièrement saisissant à cet égard. On a vu se développer dans les médias, dans les jours qui ont suivi, un mépris sidérant vis-à-vis de ce soi-disant peuple qui aurait fait le choix de la peur et de la fermeture, et même, selon certains analystes, de la haine et du racisme, ce qui n’a pas grand sens.

Pour ma part, cette nouvelle m’a attristé mais elle ne m’a pas surpris. Depuis quinze ans, force est d’admettre que l’Europe a pris des apparences oligarchiques : une élite administrative s’affranchissant des décisions démocratiques et considérant, de manière totalement décomplexée, que le peuple peut se tromper et qu’il est donc légitime de lui imposer les choix définis par des intellectuels et des techniciens. On a ainsi assisté à une sorte de révolte à l’envers : les privilégiés s’insurgeant contre ceux d’en bas, qu’ils ont assimilés à des idiots. Ceci me rappelle d’ailleurs fortement le fameux épisode des "Sans-dents"… Avec le Brexit, certes le peuple britannique a voulu s’affranchir de l’Europe ; mais certains décideurs se sont carrément affranchis de l’idéal démocratique. Rétrospectivement, ils méritaient de subir cette avanie !

L’autre élément de surprise, et je rejoins plus précisément votre question, c’est qu’effectivement on a beaucoup parlé du peuple britannique alors qu’il aurait peut-être été plus juste de parler des classes moyennes, et cela révèle à mon avis l’incompréhension grandissante entre la classe dirigeante et ceux dont elle est censée défendre les droits. Depuis les années1980 on sait que le PS, par exemple, s’est progressivement séparé du "bas peuple" qu’il a commencé à juger "beauf" et réactionnaire ; commencerait-il également à se séparer des classes moyennes ? Dans ces conditions, le sens du mot peuple s’élargirait : il ne s’agirait plus comme on le sous-entendait auparavant des classes laborieuses et des classes modestes, mais bien de l’ensemble de ceux qui travaillent sans pour autant être riches. Et le soupçon porte désormais sur cette sorte d’hyper-classe dans son ensemble.

Yves Roucaute : Le peuple est une idée vague. Ce qui a été déterminant, en effet, c’est le scepticisme de ce fourre tout dit "classes moyennes". Pour elles, il y a d’abord la difficulté de concilier l’esprit anglais, très fort dans les classes moyennes et rétif à une gouvernance bureaucratique étrangère, alors que la mondialisation a souvent été assimilée par les classes supérieures. Les travaillistes anglais eux-mêmes, historiquement étatistes et forts dans le secteur public, ont pris depuis longtemps un virage social-libéral difficilement compatible avec la construction européenne actuelle. Et les conservateurs, forts chez les cadres moyens du privé, sont historiquement acquis au libéralisme et donc à l’euroscepticisme. 

Même s’ils ont eu un pied dehors depuis leur entrée, le phénomène idéologique a donc été puissant. Il est lié aussi chez ces classes moyennes mais aussi populaires, à un fort particularisme insulaire. Il est encore lié à l’attachement des classes moyennes pour les Etats-Unis qui ont sauvé le Royaume Uni et qui portent la même culture de base. Ajoutons que la façon de traiter l’insécurité et le terrorisme sur le continent a effrayé les classes moyennes qui sont précisément les forces sociales les plus peureuses, car elles ont quelque chose à perdre et si elles le perdent elles ne sont plus rien, donc elles sont les plus sensibles aux menaces.

Durant la campagne, ce n’est pas un hasard si certains leaders favorables au maintien ne sont pourtant rentrés que mollement dans la bataille électorale. D’une certaine façon, ils étaient au diapason des classes moyennes, hésitantes devant un objet un peu obscène.

Chantal Delsol : Nous y voilà. J’ai décrit dans mon livre sur le populisme cette distance entre les peuples qui veulent davantage d’enracinement et les élites qui veulent toujours plus d’émancipation (et qui surtout considèrent que l’enracinement est, en soi, satanique). Cette différence me semble être le nœud des démocraties actuelles, sur toute l’aire occidentale. Les élites ont réussi pendant longtemps à contenir ces demandes du peuple en les traitant de fascistes et en traitant le peuple d’abruti (j’ai relevé dans mon livre une série d’injures très humiliantes, comme quand on traite les électeurs de rances ou de moisis, voyez par exemple les injures proférées à l’encontre du vote populaire par BHL à l’occasion du Brexit). Mais il arrive un moment où la digue cède. C’est maintenant, au moment où le vote Le Pen se déploie massivement, où Donald Trump obtient l’investiture du Parti Républicain, et où le Brexit est voté au Royaume-Uni. Dans ce dernier cas encore, la masse du peuple veut davantage d’enracinement dans sa culture d’origine, elle en a assez de se voir gouverner par des fonctionnaires apatrides (c’est plus chic de dire nomades). Naturellement l’élite se déchaine en traitant les gens du peuple de réactionnaires au front bas ! C’est l’éternelle querelle entre les conservateurs et les progressistes, la terre et la mer, les sociétés fermées et les sociétés ouvertes. Ce que les élites n’ont pas compris, c’est qu’il n’y a pas là un combat manichéen : le mal d’un côté et le bien de l’autre. Les humains ont besoin d’ouverture et d’enracinement. L’Europe a été une grande machine à détruire les enracinements (voyez nos billets de banque). C’est ce que signifie la révolte des peuples.

Selon une étude réalisée par Freethinking pour Publicis Groupe sur les classes moyennes, à la question "qui pour incarner le renouveau en 2017", 24% des participants de plus de 35 ans ont répondu Marine Le Pen, et cette dernière arrive en tête chez les 18-35 ans (45%). Par ailleurs, les classes moyennes dans leur ensemble déplorent le vide politique. En vue de la présidentielle de 2017, n’est-il pas urgent de parler à nouveau aux classes moyennes ? Quelle forme prendrait un tel discours aujourd’hui ? Qui vous semble le plus à même de l’incarner ? Si cela n’est pas fait, quel camp pourrait profiter du report des classes moyennes ?

Aymeric Patricot : Il est effectivement frappant de voir qu’en vingt ans, le vote de la jeunesse ait si nettement évolué. Auparavant, le cliché voulait que les adolescents pensent très à gauche avant d’évoluer, tout au cours de leur vie, vers des positions plus conservatrices. Aujourd’hui, il est fréquent que les jeunes votent beaucoup plus à droite que leurs parents ! Les exemples d’enfants de communistes basculant vers le FN sont nombreux.

Quoi d’étonnant ? Comment voulez-vous qu’une classe politique s’affranchisse de la sanction du réel en faisant le choix, sous la pression de figures médiatiques parfois contestables, d’insulter ceux qui oseraient se plaindre ou dénoncer des réalités ne cadrant pas avec les discours rédigés sous les dorures de la République ? Les jeunes vivent dans leur chair un certain nombre de dégradations qu’on leur interdit de nommer – dans le système scolaire, dans les quartiers populaires… Par la force des choses, ils se tournent vers les partis qui osent décrire la réalité, ou en tout cas mettent des mots, qu’on les aime ou pas d’ailleurs, qu’on les juge trompeurs ou pas, sur certains phénomènes, plutôt qu’accorder leur confiance à une classe politique qui, on doit l’admettre, a souvent échoué et cela sans jamais le reconnaître.

A mon avis, tous les partis peuvent prétendre, à leur manière, tenir un discours sur les classes moyennes. Pour l’instant, le PS le fait du bout des lèvres. La droite se cherche un peu, prise en tenaille entre un PS qui tente de se libéraliser – pour l’instant sans succès – et un FN qui met de l’eau dans son vin. Elle a perdu cette sorte d’élan vers le peuple qui avait porté Sarkozy au pouvoir, et qu’il a gâché en oubliant de respecter ses promesses.

Quant au FN lui-même, son grand coup de force a été précisément d’élargir son électorat aux classes moyennes, en plus de la classe ouvrière qu’il a récemment captée. Je ne crois pas qu’il puisse arriver au pouvoir, mais il a su montrer de la compréhension pour les souffrances éprouvées par les classes moyennes. En politique, je ne crois pas d’ailleurs qu’il faille mépriser les peurs. Quand un parti s’attache à faire taire ses électeurs, ne perd-il pas sa raison d’être ? Car la politique, c’est apaiser l’inquiétude et mettre en mouvement. Ce n’est pas faire l’autruche ni cracher sur les autres.

Yves Roucaute : 24%, c’est étonnant. Dans la mesure où l’offre politique ne répond pas à ces segments sociaux, on peut s’attendre à ce que ce pourcentage grandisse rapidement, surtout après Nice. D’où d’ailleurs ce sentiment de vide alors que le personnel politique ne cesse d’intervenir.

Pour parler aux différents segments sociaux il faut faire une étude précise de leurs différents problèmes. Cela afin de construire une offre crédible. il est évidemment urgent de faire ce travail parce que lorsque les classes moyennes ne croient plus dans les élites, elles ne sont plus loin non plus de délaisser la République, comme l’ont montré les derniers moments de la IIIème République et de la IVème. si l’on veut éviter l’aventure, il faut renforcer le socle de la République c’est-à-dire le soutien des classes moyennes à la République. Quel que soit le candidat ou le parti par lequel passera ce soutien, et ils peuvent être plusieurs, l’important est qu’il existe. Le reste, ce sont, aujourd’hui, des considérations anecdotiques.

Chantal Delsol : Il est normal que la jeunesse se tourne vers les Le Pen : plus on est jeune et plus on a besoin d’enracinement pour comprendre qui on est, et on ne peut choisir un destin que les pieds dans la terre. Présenter à des jeunes nos billets de banque nantis de monuments abstraits, c’est se moquer d’eux, leur faire croire qu’ils sont des anges, et ils savent bien qu’ils n’en sont pas. Tant que les politiques n’auront pas compris cela, les extrêmes se développeront jusqu’à arriver à 51% au premier tour.

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