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Olivier Roy : “Parler de guerre ne fait que renforcer le discours de Daech, parce que cela les présente comme la grande menace mondiale”
©REUTERS/Stringer

Erreur linguistique et stratégique

Le 14 juillet dernier, Mohamed Lahouaiej Bouhlel faisait près de 90 morts à Nice. L'attentat, réclamé par l'Etat Islamique, a réactivé le langage politique et médiatique de la guerre contre le terrorisme, au risque de renforcer l'EI.

Olivier Roy

Olivier Roy

Olivier Roy est un politologue français, spécialiste de l'islam.

Il dirige le Programme méditerranéen à l'Institut universitaire européen de Florence en Italie. Il est l'auteur notamment de Généalogie de l'IslamismeSon dernier livre, Le djihad et la mort, est paru en octobre aux éditions du Seuil. 

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Atlantico : Selon un sondage IFOP, seuls 33% font confiance au gouvernement pour lutter contre la menace terroriste, contre 50% en novembre 2015. De la même façon, seuls 23% pensent que l’opposition ferait mieux que le gouvernement au pouvoir (sur l'ensemble de son action). Au-delà de la défiance de la population à l’égard de ses dirigeants, comment est-il possible de concilier, pour la classe dirigeante, la nécessité de réponse rapide et la nature complexe de la situation ?

Olivier Roy : Une réponse rapide ne peut être que rhétorique, c’est le problème. Nous assistons à deux discours qui sont tous les deux des discours de guerre.  Le premier est celui de l’unité nationale, qui est celui du Président alors que l’autre consiste à attaquer l’exécutif en disant "vous êtes incapables de répondre à la guerre". Nous n’en sortirons pas parce qu’il n’y a pas de mesures de court terme en dehors de celles qui relèvent du bon sens, en l’espèce, de ne pas laisser un camion s’approcher d’une foule. Il est possible de prendre des micro-mesures au niveau local mais nous n’empêcherons jamais ce genre d’individu de commettre un attentat. Un homme qui est obsédé à l’idée de commettre un massacre de masse trouvera toujours la faille. Il n’y a donc pas de solution sécuritaire de court terme.  

Concernant les solutions de long terme, le problème est toujours le même ; il s’agit d’identifier ce qu’est la vraie menace. Maintenant, je pense que l’on est en train de se rendre compte que le problème du terrorisme, ce ne sont pas les mosquées salafistes, même si cela peut être une posture politique payante. Ce que l’on a, ici, c’est bien l’islamisation de la radicalité, c’est-à-dire des hommes qui vont inscrire une action de type suicidaire, ce que l’on a vu à Nice, dans le grand narratif de Daech. Aujourd’hui, Daech fascine tous ceux qui sont en recherche de radicalité et/ou de suicide. Ainsi, parler de guerre ne fait que renforcer le discours de Daech, parce que cela présente Daech comme la grande menace mondiale. On entre ici dans un  cercle vicieux.

Selon un autre sondage IFOP, cette logique de guerre, investie par l’ensemble de la classe politique française, ne trouve pas un écho total dans la population. Celle-ci pensant à 50% que "La France a subi une attaque terroriste sans précédent mais n’a, pour autant, quand même pas basculé véritablement dans une situation de guerre". Comment expliquer cette différence entre offre politique et la population ?

Je crois qu’il y a du bon sens de la part de la population. La logique de guerre ne fait qu’aggraver la situation, elle rend encore plus "désirable" ce type d’action pour des jeunes en quête "d’héroïsme". Puisque cela est bien comme cela qu’ils voient les choses. La rhétorique de la guerre est en cela dangereuse puisqu’elle oblige en plus à faire la guerre. En suivant cette logique, en disant que c’est la guerre, cela signifie qu’il faut envoyer plus de troupes en Syrie, augmenter la pression en Syrie et en Irak. Or, tant qu’il s’agit de bombardements aériens, il n’y a pas de rupture de logique. Mais envoyer des troupes terrestres revient à tomber dans le piège, parce que c’est ce que Daech veut. Et on ne tire aucune leçon de l’Afghanistan et de l’Irak. Il faut donc faire très attention parce que les mots ont un poids.

Si on dit qu’on fait la guerre, il faut faire la guerre, mais ou fait on la guerre ? Dans les rues de France, la guerre à qui ? Contre des fantômes, des gens plus ou moins isolés qui vont surgir de leur trou et mourir ? Ou bien fait-on la guerre ou l’on pense que le cerveau de tous les attentats se trouve, c’est à dire quelque part entre la Syrie et l’Irak ? Mais ce qu’on oublie, c’est que cette guerre au Moyen Orient n’est pas la guerre de Daech contre le reste du monde. C’est une guerre complexe, souvent à front renversé ou vous avez de nombreux intervenants ; les turcs, les kurdes, Bachar el-Assad, les chiites, l’Iran, l’Arabie Saoudite…et là je dis "bonne chance". Les américains, eux, sont bien décidés à ne pas faire la guerre.

Vous considérez que le gouvernement devrait en faire plus pour communiquer sur l’affaiblissement de Daech sur le terrain ?

Daech est en régression sur le terrain. Mais cela ne se fera pas rapidement, il faudra des mois ou des années. Parce que Daech n’est l’ennemi principal d’aucun des acteurs locaux.  Chaque acteur local a un ennemi plus important que Daech. Les irakiens visent Mossoul et s’y arrêteront.  Pour Bachar el- Assad, Daech est très pratique, celui lui permet de faire du chantage à l’occident, en disant qu’il est le seul à pouvoir se battre contre Daech. Pour les turcs, ce sont les kurdes qui sont l’ennemi principal. Pour les saoudiens, c’est l’Iran qui est l’ennemi principal, ils ont peur qu’un vide laissé par Daech puisse être rempli par l’Iran et le Hezbollah.

Donc, cela n’ira pas vite, et c’est ça le problème. C’est-à-dire que nous sommes sur deux temporalités. Celle de l’urgence du court terme, qui correspond à la demande de protection de la population française ; "que fait le gouvernement ?" et celle du long terme qui est la lutte contre Daech. Mais la France n’a pas les moyens d’accélérer cette lutte contre Daech, parce que la France n’a pas les moyens qu’ont les américains. Or, les américains n’iront pas sur le terrain.

Si le terme de guerre ne convient pas, comment qualifier Daech et quelle est la nature de la réponse politique à apporter ?

En France, c’est une logique sécuritaire. Daech est une organisation terroriste internationale qui se lance dans une escalade des attentats en occident, et en France en particulier. Il faut lutter contre ces attentats, mais pas dans une logique de guerre. Daech n’est pas un proto-Etat. A un moment donné, le ministère de la défense a construit toute cette théorie indiquant que Daech était un proto-Etat et qu’il était donc légitime de parler de guerre. Mais si on en arrive à cette conclusion-là, alors il faut attaquer Daech en envoyant des troupes, ce qui, je le pense, aggravera la situation au lieu de l’arranger.

Comment faire pour désactiver l’attrait que peut susciter Daech ?

Nous avons deux tendances en apparence contradictoires. D’un côté, plus Daech en fait, plus il va attirer les "borderlines", c’est-à-dire les cas limites. Et d’un autre côté, plus Daech fait des attentats plus la masse des musulmans en France est terrorisée et tétanisée à son tour. On voit ici toute la différence avec Charlie Hebdo. Il n’y a plus la moindre "compréhension" des motivations, ce qui a pu être le cas pour Charlie Hebdo.

Le but maintenant est d’isoler complètement le petit groupe des radicaux et de mettre au point des "détecteurs" de radicalisation. Ce qui est très difficile lorsque l’on a affaire à un psychopathe. Quand on a un groupe organisé, qui est sur facebook etc…il est possible de développer des systèmes d’alarme, en particulier en travaillant dans les quartiers dans lesquels ils vivent. Mais lorsque nous sommes confrontés à un fou, qui est dépourvu de toute logistique, de toute question d’argent, de questions de filières d’armes, il n’y a aucun moyen de le repérer, sauf peut-être dans les jours qui précèdent le passage à l’acte. C’est pour cela que je pense que l’on a va de plus en plus aller vers les cas limites, les cas de folie. Non pas parce que les gens sont de plus en plus fous, mais parce que ce sont ces cas de folie qui passeront le mieux tous les filets de surveillance.

Qu’avons-nous appris après l’attentat de Nice ? Quels sont les éléments spécifiques de ce nouvel attentat et que peut-on en apprendre ?

Il y a un point commun entre Orlando et Nice. Ce sont des hommes qui en font une affaire personnelle. Des hommes qui ont des troubles psychiatriques, qui sont violents. Il est intéressant de noter que ces deux hommes sont accusés de violences conjugales, or une étude réalisée sur les tueries de masse aux Etats Unis mettait en avant une telle corrélation. Donc, on a des gens qui sont très violents et qui seraient passés à l’acte mais qui ont inscrits leur passage à l’acte dans l’imaginaire de Daech. Ce qui permet à Daech de les récupérer et donc d’apparaître comme ayant une capacité de nuisance considérable.

Propos recueillis par Nicolas Goetzmann

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