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D’attentats en massacres, de la sidération à la colère, à quel moment peut-on redouter que la population française craque ?
©REUTERS/Pascal Rossignol

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Des victimes de Merah à celles de ​Mohamed Lahouaiej Bouhlel, les attentats et massacres se succèdent régulièrement. De personnes ciblées en fonction de leur profession ou confession à des attaques indifférenciées, plus personne au sein de la population française ne peut se considérer "à l'abri". Face à cette intensification et banalisation de la violence, la société française, à l'instar de la société israélienne, devra s'habituer.

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Atlantico : D'attaques ciblées (enfants de la communauté juive de Toulouse, militaires, journalistes de Charlie Hebdo) à des attentats indifférenciés où les assaillants "foncent dans le tas", les terroristes ont pu faire évoluer le profil de leurs victimes au fil du temps. En quoi cette gradation provoque-t-elle des réactions différentes au sein de la population ? 

François-Bernard Huyghe : Au moment de Charlie Hebdo, chacun pouvait comprendre pourquoi des islamistes voulaient tuer les journalistes qui avaient caricaturé le Prophète. De la même façon, Merah s'en est pris à des soldats français pour ce qu'ils avaient fait. Dès janvier 2015, des attentats antisémites ont eu lieu : les adultes ou les enfants étaient tués pour leur appartenance et leur solidarité présumée avec les sionistes (même lorsqu'il s'agissait d'enfants juifs..). Au Bataclan, on a essayé de se rassurer en se disant que les djihadistes s'en prenaient à notre joie de vivre, notre mode de vie, notre façon de prendre des verres en terrasse et d'aller à des concerts. A Orlando, le massacre a été considéré comme un attentat homophobe. Avec Nice, on ne peut plus se dire ces choses-là.

Comme l'écrit la direction de Daech, toutes les cibles en pays "païens" sont des cibles légitimes et on ne peut plus se dire qu'on est à l'abri parce qu'on n'est pas dessinateur, qu'on n'est pas juif ou que l'on ne va pas dans les quartiers branchés. Tout citoyen français est une cible légitime pour les terroristes parce qu'ils pensent que nous sommes tous responsables à la fois de la politique du gouvernement, des bombardements en Syrie et de ce que représente la France, la laïcité, la galanterie etc.

La population a de plus en plus le sentiment que tout le monde peut être visé. En outre, il y a un effet de répétition : en dépit de l'état d'urgence et du déploiement policier, les attentats se succèdent régulièrement. La France se retrouve un peu dans une situation à l'israélienne où la population va devoir s'habituer à ce qu'il y ait des bombes, à ce que quelqu'un surgisse à tout moment avec un couteau. Le terrorisme ou l'attaque terroriste est en train de se banaliser et de faire partie du paysage quotidien. 

Si en frappant la foule de façon indifférenciée, l'ensemble de la population se sent vulnérable, que peut-on attendre de cette gradation de la violence ? L'étape ultime n'est-elle pas, de frapper la population "chez elle" et ce, toujours de façon indifférenciée, comme a pu le faire le GIA dans le courant des années 1990 ? 

Le GIA considérait que tous ceux qui n'étaient pas dans le Maquis avec eux et les groupes djihadistes étaient complices du gouvernement et méritaient d'être égorgés. De la même façon, nous nous disons que les terroristes s'en prennent à nous de façon indifférenciée mais à leurs yeux, nous sommes tous coupables puisque nous ne nous convertissons pas au salafisme (et que nous tolérons notre gouvernement qui bombarde les musulmans). A leurs yeux, nous méritons donc tous la mort. On peut s'attendre à une intensification des actions djihadistes et de la violence en France. Non seulement ils sont capables de faire des actions de commando avec des professionnels aguerris (comme l'opération du Bataclan) mais il faut maintenant aussi prendre en compte le fait qu'il va y avoir un terrorisme de voisinage : des individus comme ce chauffeur de Nice, pas forcément repérés comme radicalisés et ne prenant pas forcément des instructions d'une organisation, peuvent passer à l'action soudainement. On peut toujours espérer comprendre les réseaux terroristes, intercepter leur communication, comprendre leur organigramme mais un individu agissant seul complique énormément les choses. 

Quand on parle de la terreur abominable qu'a fait régner le GIA en Algérie, il convient de préciser qu'il s'agissait d'une terreur rurale. En France, nous sommes confrontés à une terreur urbaine. Les prochaines étapes, peuvent être un changement de modus operandi : on peut imaginer des attentats au véhicule piégé (à l'image de l'attentat anti-chiite à Bagdad), des experts pensent qu'il pourrait y avoir des attaques chimiques ou biologiques mais je suis assez sceptique (ça fait des années qu'on les annonce). On peut également imaginer une escalade dans la violence. Enfin, on peut imaginer sa banalisation. 

Si demain nous écrasons l'EI en Syrie et en Irak (si on retire le drapeau noir de Raqqa et si on tue Al -Baghdadi), plusieurs centaines de milliers de combattants étrangers vont revenir au pays. C'est un problème auquel il faut penser pour la France et pour l'Europe en général.  

S'agit-il d'un moment de 'bascule" pour la société française ? Quelles en sont les conséquences et les effets pour la population ?

Est-ce que ça se traduira par une demande sécuritaire sur le plan politique ? Le gouvernement a beaucoup surfé sur le thème de l'unanimité nationale après Charlie Hebdo et le Bataclan. Un thème que la droite a suivi en votant des lois sécuritaires. Est-ce que ça va durer éternellement ? On peut en douter. Il y aura probablement davantage de divisions politiques : le thème de "faire bloc", d'unité nationale fonctionnera moins. 

Est-ce que ça va créer des tensions au sein de la population ? Nous n'avons jusqu'à présent pas vu beaucoup d'actes antimusulmans. Il me semble difficile d'envisager un contre-terrorisme ou un terrorisme antimusulman. Mais on peut s'attendre à des représailles isolées : il peut toujours y avoir un fou, un dingue qui prend son fusil et tire sur un Arabe dans la rue pour se venger. C'est une possibilité que l'on ne peut pas exclure.  

La question qui se pose est de savoir si la population va craquer. Et qu'est-ce que craquer veut dire ? 

En termes de résilience, la société s'est habituée à des procédures de sécurité (par exemple à ce que les sacs soient fouillés quand on entre dans un magasin) : il y aura toujours de la résilience dans la mesure où les gens peuvent avoir peur pendant plusieurs jours mais finiront toujours par prendre le métro, aller au travail, faire leurs courses. J'ai vécu les attentats dans le métro en 1995, si dans un premier temps les gens ont hésité, ils ont majoritairement fini par reprendre le métro. 

Dans les sociétés qui ont un très fort taux d'attentats, les gens sont bien obligés de vivre au quotidien même si ça fait perdre du temps ou de l'énergie. Je pense à Israël où les gens vivent avec l'idée que quelqu'un peut surgir avec un couteau. Je pense également à l'Inde, pays au monde où il y a le plus d'attentats. En Italie, les années terroristes ont fait plus de 2000 morts, pour autant, la société italienne a réparé ses plaies. La société française devra s'habituer.

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