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Et la sécurité passa en tête des préoccupations des Français
©Reuters

Choc

Alors que François Hollande doit s'exprimer le 14 juillet, comme le veut la tradition, de plus en plus de Français font montre d'une défiance réelle à l'égard de l'avenir. D'après un sondage Harris Interactive, l'inquiétude pour leur sécurité est d'ailleurs la première de leurs préoccupation, dépassant de peu (et depuis peu) celle liée au chômage.

Jean-Daniel Lévy

Jean-Daniel Lévy

Jean-Daniel Lévy est directeur du département politique & opinion d'Harris Interactive.

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Atlantico : Selon un sondage publié par Harris Interactive (voir ici), la principale préoccupation des Français concerne désormais la sécurité, devant le chômage, et ce, alors qu'au mois de janvier dernier, ce rapport était inversé (voir ici). Que traduit cette inversion de l'état de l'opinion en France ? Que peut-on apprendre d'une société dont la principale préoccupation est sa sécurité ?

Jean-Daniel Lévy : Il y a évidemment plusieurs choses à apprendre de ce constat. Le premier aspect à souligner, à mon sens, c'est la tension réelle qui a notamment touché les stades au début de l'Euro 2016. Elle s'est construite autour de la violence et après les attentats qu'a essuyés la société française. Naturellement ces cycles d'attentats ont troublé les Français et généré une véritable forme d'inquiétude en matière de sécurité. Il est assez frappant de constater que cette inquiétude est globalement partagée par les Français, quelle que soit leur proximité politique personnelle. À l'égard de la sécurité, la tension en France est réelle. Il s'agit d'un enjeu jugé "important" par l'ensemble des catégories de population de notre pays. Les Français aspirent dans leur globalité à plus de sécurité, à ce qu'elle soit davantage prise en charge par l'action gouvernementale, mais aussi qu'elle représente une des thématiques de la prochaine prise de parole du président de la République. 83% des sympathisants du PS estiment qu'il s'agit d'une thématique que François Hollande devrait s'approprier. Ce n'est plus seulement une thématique de droite, puisque tout une partie de la gauche – traditionnellement rétive à l'expression d'un vote en faveur de ce genre de politique – qui y vient également.

Dans cette volonté de plus de sécurité, on lit là encore plusieurs éléments. Parmi eux, le plus important est certainement le sentiment de crainte vis-à-vis de l'avenir que cela traduit. Cette crainte est évidemment nourrie par le sentiment d'insécurité générale mais ce n'en est pas l'unique facteur. Les Français s'inquiètent également de leur capacité à s'assurer un niveau de vie relativement confortable au quotidien, sécurisé. La montée de ces deux craintes – sécurité, décence du niveau de vie – traduit évidemment les interrogations que soulèvent les perspectives proposées aujourd'hui par les différents acteurs de la scène politique. 

Le deuxième aspect principal est que la situation ne pousse pas les Français à attendre une quelconque amélioration de la situation du pays. Quand ils se projettent dans l'avenir, les Français dans leur majorité – y compris chez les électeurs de François Hollande – ont beaucoup de mal à se persuader que la situation de la France peut s'améliorer au cours des années à venir. Ce courant joue fortement et traverse là encore les différentes sensibilités politiques. Cette inquiétude vis-à-vis de l'avenir ne peut pas seulement être ramenée au politique en tant que tel, mais elle se manifeste clairement au travers des attentes en matière de sécurité et de projections économiques comme sociales.

Maxime Tandonnet : Ce résultat peut paraître étonnant dans un contexte où le chômage frappe 10% de la population active, 3,5 à 5,5 millions de personne selon les modes de calcul... De fait, même si on s'habitue à tout, nous vivons dans un climat post 13 novembre 2015. Ce qui s'est passé à Paris ce jour-là, le massacre de 130 personnes, représente une cassure profonde dans la conscience des Français. Un climat de peur pèse sur le pays, avec le sentiment d'une menace constante que confirment d'ailleurs les responsables publics. Par delà le terrorisme, les Français ont le sentiment de vivre dans une société de plus en plus fragmentée et agressive. La violence est partout, omniprésente dans la rue, presque banalisée. Il suffit de songer aux affrontements en marge de l'Euro de football, au 1500 arrestations par la police. Mais l'enseignement le plus grave de cette enquête, c'est que les Français ne se sentent pas suffisamment protégés et n'ont plus confiance dans les institutions pour assurer la cohésion nationale et la paix civile. Une société qui vit dans la peur et la méfiance ne peut que tendre vers le repli, le rejet de la modernité et de l'ouverture au monde. 

Au-delà de la défiance historique des Français pour leur président, d'autres sondages (voir ici) peuvent également mettre en évidence une faible confiance des Français en l'opposition, celle-ci n’étant pas jugée capable de faire mieux que le gouvernement en place. La faiblesse de François Hollande dans les sondages n'occulte-t-elle pas une défiance générale de la population à l'égard de ses dirigeants ? Peut-on y voir une forme de renoncement de la part de la population ? 

Jean-Daniel Lévy : D'une manière générale, il me semble important de souligner que, chez les Français qui s'expriment, il n'apparaît pas aujourd'hui d'acteur de la scène politique susceptible de jouer le rôle de l'homme providentiel. Il n'y a pas d'homme (ou de femme) politique qui se démarque, serait à la fois central, formidable, et paré de toutes les vertus. Aujourd'hui, les citoyens font un constat un peu diffus : celui d'une absence de différence – de politique ou d'efficacité, voire les deux – entre la gauche et la droite.

Malgré tout, on constate un peu plus de ferveur chez les sympathisants de droite en ce qui concerne la capacité de cette dernière à influencer la situation. Ce constat est le même à gauche, dont les sympathisants estiment que la gauche est légèrement plus à même que la droite.

Enfin, la crédibilité du politique reste cependant fortement mise en cause aux yeux des Français. Il n'est plus jugé capable, aujourd'hui, de répondre aux considérations et aux attentes premières des Français : plus de sécurité. C'est là que le paradoxe est total ! La sécurité est un des points où le gouvernement actuel est le plus crédité, en dépit des attentats. Il est frappant de constater que cette dynamique s'ancre tout à fait dans les résultats des dernières élections régionales et départementales : si l'opposition a réalisé de bon scores, ils n'étaient pas pour autant extrêmement élevés. L'extrême droite a d'ailleurs réussi à récupérer une partie de cette colère sociale. Les politiques, aujourd'hui, subissent de vraies questions de la part des Français sur leur capacité à pouvoir peser sur le cours des choses, à en avoir une certaine maîtrise. Peu d'acteurs peuvent le prétendre. Il y a, en France, une certaine passion pour la politique qui s'accompagne d'un complexe à son égard – sur les questions que nous avons abordées. En cela, il peut y avoir un certain renoncement, oui.

Maxime Tandonnet : L'impopularité des dirigeants actuels est sans précédent historique. Mais le plus sidérant, dans les enquêtes d'opinion, est la défiance persistante envers l'opposition. 23% des Français seulement pensent que l'opposition de droite ferait mieux que les dirigeants actuels et 25% qu'elle ferait moins bien. Les chiffres sont encore bien pires pour le Front national : 50% des Français pensent qu'il ferait moins bien que les socialistes au pouvoir. Compte tenu du discrédit du gouvernement, cet échec de la droite à convaincre, après plus de quatre ans dans l'opposition, est particulièrement préoccupant. De fait, l'impopularité ne touche pas seulement l'équipe au pouvoir mais l'ensemble de la classe politique. Ce phénomène est extrêmement inquétant car il tend à montrer que les Français ne voient pas d'issue à leur malaise, ne perçoivent aucune alternative politique à la crise de société en cours. Bref, ils n'ont plus confiance en personne. Il ne faut pas y voir un renoncement de la population. J'y ressens plutôt la conjonction de deux facteurs. Après quarante ans d'échecs sur le front du chômage et de la sécurité, d'alternance en alternance, les promesses et les programmes sont de moins en moins crédibles. Mais surtout, l'attitude des responsables politiques nationaux est désastreuse pour l'opinion pulique. La course aux présidentielles, plus de cinquante candidats avec ou sans primaires, donne l'image d'une névrose élyséenne, comme si le prestige et les avantages de la fonction écrasaient, chez les plus hauts dirigeants politiques, le sens du bien commun et de l'intérêt général. A tort ou à raison, les Français ont le sentiment que leurs gouvernants et chefs politiques roulent pour eux-mêmes et non plus pour la France ou pour l'intérêt public. C'est le pacte républicain qui est brisé. 

Au regard des autres éléments révélés par ce sondage, notamment au travers des mots associés au discours présidentiel du 14 juillet de François Hollande, "mensonge" ; "rien" ; "inutile" ; "blabla", faut-il voir une situation exceptionnelle dans la configuration actuelle de l'opinion ?

Jean-Daniel Lévy : En un sens, oui. Les interventions présidentielles sont suivies d'une façon assez distante, ne bénéficient pas d'énormément de reprise. En outre, chaque fois qu'un responsable politique prend la parole – François Hollande aussi, mais pas que – il suscite le doute sur la sincérité de ses propos. Le lien entre le verbe et le faire est autrement moins fort que par le passé. Désormais, une prise de parole forte n'entraîne plus nécessairement une action, une incidence ou une conséquence tangible pour les individus. Quand bien même cet acteur politique qui l'a prononcé est le président de la République. Et il est indéniablement rare qu'une intervention du président génère aussi peu d'attente. Le désabusement des Français, qui ont envie d'y croire sans trouver qui que ce soit pour raviver leur flamme, est fort.

Maxime Tandonnet : Il me semble que le reproche fondamental que les Français adressent aujourd'hui à leurs responsables politiques nationaux, tous confondus, ne tient pas seulement aux échecs dans la lutte contre le chômage ou sur les sujets de société. Il provient de leur attitude générale. Les dirigeants politiques nationaux – je ne parle pas ici des élus locaux – donnent le sentiment de confondre politique et communication. Tout dans leur attitude donne l'image d'une fuite en avant dans la parole, les polémiques, les postures, les manipulations. La réalité paraît secondaire à leurs yeux. L'illusion que l'on fait passer prime sur tout le reste. Gouverner n'est plus choisir, c'est-à-dire agir sur le réel, mais paraître dans le petit écran. Or, cela, les Français le ressentent bien plus que les responsables politiques nationaux ne l'imaginent. En outre, les grands scandales de ces dernières années,( Sofitel de New York, compte en Suisse), ont un un impact dévastateur sur l'image générale de la politique nationale, celle d'une France dite "d'en haut" donnant des leçons à la France dite "d'en bas", mais n'en tenant aucun compte pour elle-même. Le plus étonnant dans tout cela est l'étrange aveuglement des élites politiques nationales qui donnent le sentiment de ne pas se rendre compte à quel point leur crédibilité est atteinte. L'excès de personnalisation de la vie politicienne et les guerres des chefs, sont devenues insupportables aux yeux de l'opinion publique qui n'est pas dupe. Mais cela, les dirigeants au pouvoir et dans l'opposition semblent ne pas s'en apercevoir. En tout cas, l'opposition n'a pas encore trouvé le bon ton pour convaincre, le discours de vérité et de désintéressement personnel qui pourrait seul engager le pays dans la voie d'un début de retour à la confiance.

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