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La France est-elle encore capable d'aider le Liban ?
©Reuters

Vouloir n'est pas pouvoir

L'ancien Premier ministre souhaite parvenir à débloquer la crise politique qui traverse le pays du cèdre... Une mission qui paraît bien difficile, alors que le parlement national attend l'issue de la guerre en Syrie pour désigner un Président pro-iranien, ou pro-saoudien.

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche est Visiting Fellow au Washington Institute et ancien directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l’Orient.

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Atlantico : Jean-Marc Ayrault doit se rendre dimanche 11 juillet au Liban pour trouver une "solution politique" au pays, dans l'impossibilité de désigner un Président depuis 18 mois. Sur quoi le ministre pourrait-il s'appuyer pour y parvenir ?

Fabrice Balanche : On pourrait qualifier le déplacement du ministre des Affaires Etrangères de mission impossible, mais contrairement à la série télévisée, je doute que Jean Marc Ayrault puisse débloquer quoi ce soit au Liban, car la France a peu de poids politique dans ce pays. La classe politique libanaise est polarisée entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, qui sont les principaux deux bailleurs de fond des différentes factions libanaises. Or, nous sommes dans une guerre froide entre ces deux puissances régionales avec des théâtres chauds comme la Syrie, le Yémen et l’Irak, ou plus tiède comme Bahreïn et le Liban. L’élection d’un Président au Liban serait un signe d’apaisement entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, or nous ne sommes pas dans un tel processus bien au contraire.

Le Président libanais doit être élu par le parlement, lequel s’est déjà auto-prolongé de deux ans en juin 2015, prétextant l’impossibilité d’organiser des élections législatives dans le contexte de la crise syrienne. En fait, la classe politique libanaise attend l’issue de la guerre civile en Syrie pour se positionner. Si Bachar el Assad se maintient au pouvoir, ce qui paraît le plus probable, les alliés du Hezbollah seront renforcés et pourront imposer leur candidat à la présidentielle que cela soit au parlement existant ou à un nouveau parlement encore plus acquis à leur cause. Le candidat du Hezbollah est le général Michel Aoun, le chef du Courant Patriotique Libre, le principal parti chrétien (le Président libanais doit être selon la constitution un chrétien maronite). Il est capable de restaurer l’autorité de l’Etat et possède le soutien de la majorité des Chrétiens après le ralliement de Samir Geagea, le chef des Forces Libanaises, qui jusqu’à présent appartenait à l’alliance pro-saoudienne. En toute logique Michel Aoun devrait donc être le prochain président libanais, mais cela ne convient pas à l’Arabie Saoudite, aux sunnites libanais, à Walid Joumblatt, le leader druze et à la France. Au prétexte que Michel Aoun ne ferait pas consensus, il faut lui trouver une alternative : un personnage falot qui laissera les chefs de clan et Saad Hariri (le fils de Rafic Hariri) mettre le pays en coupe réglée.

Quels bénéfices le chef du Quai d'Orsay espère-t-il tirer, dans le cas où sa mission libanaise serait remplie ? En quoi le Liban est-il un allié potentiellement stratégique pour gérer la crise des réfugiés syriens, ou encore pour lutter contre l'Etat islamique ?

Jean Marc Ayrault arrive au Liban avec l’idée d’appuyer une candidature concurrente à Michel Aoun parce qu’il est l’allié du Hezbollah. Son argument principal est que Michel Aoun doit renoncer à sa candidature dans l’intérêt du Liban, menacé par la contagion de la crise syrienne. 

Il va essuyer une fin de non-recevoir, car l’intérêt du Liban est précisément d’avoir un président assez puissant pour relever les défis du terrorisme, de l’accueil des réfugiés syriens, mais aussi de la gabegie et de la corruption héritée de l’ère Hariri. Si la France veut contribuer à une solution au Liban, elle doit faire preuve de réalisme et partager les préoccupations des Libanais au lieu de se faire le messager de l’Arabie Saoudite et continuer de soutenir la famille Hariri. Il ne faut pas se faire d’illusion, les combats en Syrie vont se prolonger et une fois la paix revenue, une grande partie des réfugiés ne rentreront pas. Si nous ne voulons pas qu’ils émigrent illégalement en Europe, il faut aider le Liban à les accueillir dans des conditions acceptables. C’est également dans l’intérêt du Liban pour éviter une radicalisation des réfugiés qui est susceptible de déstabiliser le pays, comme le firent les Palestiniens dans les années 1970. Fin juin, huit kamikazes syriens se sont fait explosés à Al Qaa, un village chrétien de la Bekaa, cela peut se reproduire au centre de Beyrouth. 

Que reste-t-il du crédit de la France au Liban, et plus largement au Proche-Orient ? 

C’est une bonne question. L’alignement de Laurent Fabius sur le Qatar et l’Arabie Saoudite a été désastreux pour notre diplomatie. Tout le monde au Proche-Orient se rend compte que notre politique dépend des commandes des pétromonarchies du Golfe. A cela, il faut ajouter notre dramatique aveuglement dans la crise syrienne. Je peux comprendre qu’en 2011 l’Exécutif ait plaqué sur la Syrie un schéma à la tunisienne, en raison de la méconnaissance des Affaires Etrangères à l’égard de ce pays complexe. Mais que François Hollande et Laurent Fabius se soient ensuite enfermés dans le dogme "Assad doit partir parce qu’il est méchant" et dans la fiction d’une rébellion modérée c’est surréaliste et inexcusable. Même aux yeux de nos partenaires européens nous ne sommes plus crédibles sur le Proche-Orient. Quant aux Etats Unis et à la Russie, ils négocient entre eux sans se préoccuper de la position de la France.

Pour restaurer l’image de la France dans le monde arabe et sur le plan diplomatique, Laurent Fabius a lancé une initiative sur la Palestine visant à forcer les Israéliens à reconnaître l’Etat Palestinien avec Jérusalem comme capitale partagée. L’ancien ministre des Affaires Etrangères a promis que si les négociations échouaient la France reconnaitrait l’Etat palestinien à l’automne 2016. Dès qu’il est devenu ministre, Jean Marc Ayrault a annoncé que cela ne serait pas automatique et qu’il faudrait sans doute plus de temps pour arriver à trouver un accord entre Israéliens et Palestiniens. Je ne peux que saluer le réalisme du nouveau ministre des Affaires Etrangères qui doit gérer des errements de son prédécesseur. Mais la conséquence est que nous avons perdu toute crédibilité au Proche-Orient.

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