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Nouvelle récession mondiale en vue après le Brexit : ces hommes qui nous protègent de la crise (et ceux qui peuvent nous y précipiter)
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Facteur leader

Alors que certains nuages s'amoncellent sur le monde de la finance mondiale, le déclenchement d'une nouvelle crise n'est plus un tabou aujourd'hui. En ces temps incertains, le rôle des hommes et des femmes à la tête des grandes institutions financières mondiales est plus que jamais crucial.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : Au-delà des événements susceptibles de provoquer une crise économique, quelle est la part de responsabilité à attribuer aux dirigeants face à une menace de crise ? En quoi la "qualité" des hommes en place peut-elle changer la donne ?  Quelle est l'importance du rôle des leaders économiques (directeurs d'organismes internationaux, de banques nationales ou supra-nationales) dans la gestion d'une crise ?

Mathieu Mucherie : C'est un sujet très important car dans la science économique, ce que l'on fait, ce sont des modèles, des théories et des concepts. Tout est fait pour évacuer l'aspect humain, comme s'il n'y avait pas de problématiques de comitologie. Comme si ni l'égo, ni les comportements bureaucratiques, ni les dérives ou biais comportementaux ne pouvaient apparaître. Dans la science économique à la Jean Tirole, destinée à être publiée dans les revues cinq étoiles, tout est fait depuis des décennies pour évacuer cet aspect-là.

Or, il n'est plus possible de l'évacuer. Maintenant, nous avons affaire à des banquiers centraux indépendants. Cela signifie une concentration des pouvoirs économiques et financiers telle qu'on ne l'a jamais vu. Par ailleurs, ce sont des gens qui ne sont pas vraiment "responsables", dans le sens où ils rendent très peu de comptes. Aujourd'hui, le central banking contemporain est un club – certains diraient une mafia – et nous sommes obligés de nous intéresser aux êtres humains, à leurs parcours et à leurs relations, parce que sinon nous ratons 80% de la matière.

Malheureusement, nous avons des chercheurs qui continuent à faire de la politique monétaire à la papa, et à côté de cela une réalité "trop" humaine. En Europe, nous sommes bien placés pour le savoir avec le remplacement de Jean-Claude Trichet par Mario Draghi. Je ne suis pas un fan de Mario Draghi, mais force est de constater qu'une ou deux années de plus avec le couple Jean-Claude Trichet – Axel Weber auraient probablement signifié la fin de la zone euro.

Aujourd'hui, un casting qui change dans une banque centrale, un membre votant plus ou moins colombe ou plus ou moins faucon à l'intérieur du comité de la Fed, ou un changement managérial au fin fond du Brésil ou l'Inde, font bouger les marchés beaucoup plus que s'il y avait 50 000 morts dans le pays. Un seul être vous manque et tout est dépeuplé, au point que les marchés aujourd'hui font des calculs davantage sur les hommes que sur les idées. Le moindre petit changement de personnel est archi-stratégique.

Comparativement à 2008, au regard des hommes en place, peut-on dire que l'économie est plus "sûre" ou plus vulnérable aujourd'hui qu'elle ne l'était en 2008 ? 

Elle est moins vulnérable, parce qu'on a quand même eu une crise très puissante. On dit toujours que les marchés ont une mémoire de poisson rouge sous Tranxene 200, mais il y a quand même un petit effet mémoire. Chez les décideurs aussi.

Deuxièmement, la question des dettes n'a pas vraiment été adressée puisqu'il y a une déflation qui magnifie la valeur réelle des dettes un peu partout. Il n'y a donc pas eu de vrai deleveraging dans de nombreux pays, notamment en zone euro. Mais, au moins, cette vision est sur la table. Nous sommes au courant qu'il y a beaucoup de dettes (surtout bancaires), et donc un peu moins susceptibles d'être pris par surprise, comme en 2007-2008.

Les marchés ont en partie corrigé sur certaines valorisations, nous n'avons plus un pétrole à $140 le baril, etc. Je dirais donc que nous sommes un peu moins vulnérables. Cela ne veut pas dire que la situation est saine, soutenable ou encore propice à un retour d'une bonne croissance et d'une inflation à 2% par an. Mais pour avoir un choc du type de celui de 2008 et un arrêt cardiaque pendant six mois du commerce international, il faudrait vraiment des facteurs externes.

Pour ce qui est des hommes et femmes au pouvoir, je ne crois pas qu'on puisse dire que la situation s'est améliorée.

Janet Yellen est très décevante depuis qu'elle est arrivée, il y a un manque de leadership total à la Fed avec une balkanisation du comité et de gros problèmes de communication. Je lui fais moins confiance qu'à Ben Bernanke pour gérer les grandes crises type 2008, et déjà lui n'avait pas été totalement à la hauteur. Nous ne sommes plus du tout dans les années Alan Greenspan, il y a eu de ce point de vue-là une vraie perdition.

Quant à la zone euro, évidemment Mario Draghi est un peu plus satisfaisant que le couple Trichet-Weber. Le problème, c'est qu'on attend vraiment beaucoup de la BCE. Autrefois il y avait de l'inflation, il n'y en a plus du tout maintenant, et la BCE contrôle maintenant la plupart des banques commerciales. Ils sont meilleurs qu'il y a dix ans, le problème c'est qu'ils ont récupéré tout un tas de missions sans forcément en avoir les compétences (pensons ici à la supervision bancaire), donc le fardeau est plus lourd à porter. Ils se sont chargés d'un quantitative easing qu'ils maîtrisent mal malgré les exemples anglo-saxons (la preuve : ses modalités changent tous les six semaines). La barque est donc bien remplie. On le voit avec le Brexit, on le verra dans trois mois avec les banques italiennes…

Que penser de l'arrivée d'une personnalité telle que Mark Carney (gouverneur de la banque d'Angleterre) ?

Je suis sceptique. Son prédécesseur Mervyn King était très bon, c'était l'un des très rares banquiers centraux à avoir gardé un lien avec le monétarisme friedmannien. Quelqu'un à qui on ne la faisait pas, qui avait globalement bien mené sa barque. Mark Carney est d'abord dans la continuité. Ce que je lui reproche, c'est qu'il y a beaucoup de communication autour de lui, un peu trop. Il a aussi donné des gages à la Bundesbank et à la BRI pour s'entendre avec tout le monde. Il a trahi quelques-unes de ses convictions pour pouvoir arriver là où il est…

Une fois dit cela, il est certain que je suis plus rassuré par un Mark Carney aux manettes que par les décideurs de la zone euro. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la bourse anglaise (Footsie) a très peu baissé. La livre sterling a joué son rôle d'ajustement, Carney va probablement baisser cet été son taux à un niveau qu'on n'a jamais vu depuis 1694. Globalement, les Anglais ont la chance d'avoir une banque centrale plutôt réactive, imparfaite mais quand même bien meilleure que la nôtre, et c'est lié au fait qu'elle n'est pas complètement indépendante. Elle est autonome, mais a encore beaucoup plus de comptes à rendre au Parlement que la BCE vis-à-vis du pseudo-Parlement européen.

On voit donc l'utilité d'un casting par ailleurs mondialisé – Mark Carney est canadien –, du pragmatisme anglo-saxon et de parlementaires qui jouent leur rôle.

En quoi l'expérience acquise au cours des différentes crises a-t-elle permis, ou non, d'éviter une répétition de l'histoire ? Existent-ils des moyens efficaces de se prémunir contre des crises de ce type ?

Il faut déjà mettre des gens à peu près compétents sur les questions monétaires à la tête des autorités monétaires. Milton Friedmann a écrit pendant 50 ans sur le sujet, et on n'a toujours pas résolu ce problème. Si l'on donne trop d'indépendance aux banquiers centraux, ils deviennent autistes et nous avons les années 1930 en guise de résultat. D'un autre côté, on ne peut pas non plus revenir à la situation des années 1970 avec des banquiers centraux trop inflationnistes parce que trop inféodés aux cycles politiques. Il faut donc trouver le bon équilibre, et c'est loin d'être facile.

Je note avec perfidie qu'aujourd'hui, si je devais désigner le meilleur banquier central du monde, il serait argentin. Ce qui est quand même assez hallucinant lorsqu'on connaît l'histoire de l'économie argentine. Federico Sturzenegger est quelqu'un d'académique. Il n'a donc pas besoin de fonder sa crédibilité en montant les taux comme Paul Volcker. Il est pragmatique, il a le goût de la communication. Il connaît les banques sans être complètement inféodé au milieu bancaire… Voilà le type de parcours qu'il faut. Cela reste la meilleure protection contre les crises.

On pourrait aussi mettre en place des politiques budgétaires plus contra-cycliques et une meilleure supervision du secteur bancaire en amont qui ne se ferait pas par les banquiers centraux pour éviter les conflits d'intérêts. On peut aussi imaginer tout un tas de mécanismes de lissage du cycle.

Si en plus, nous pouvions avoir des changes flexibles, ce serait parfait. Le problème, c'est qu'en zone euro nous n'avons ni changes flexibles à l'intérieur, ni banquiers compétents (on préfère mettre des bureaucrates que des économistes à la tête de la BCE). De surcroît, une fois ces gens installés à Francfort, on ne les monitore pas beaucoup.

On a l'impression que, quelque part, Mario Draghi est le représentant des banques. On voit bien d'ailleurs que les banquiers sont très déçus par les taux négatifs, mais ils continuent de le soutenir. Avec Trichet, nous étions à la limite de la rupture, avec un banquier central qui renforçait la déflation en pleine déflation. Cela s'est donc amélioré, mais nous n'avons pas l'impression que Mario Draghi aille vers une vraie reflation ou un soutien véritable à l'activité. On sent plus qu'il est là pour colmater les brèches.

Au-delà des déclarations d'intentions institutionnelles, la vérité est donnée par les taux de changes, les taux d'intérêts et l'évolution d'un certain nombre d'autres indicateurs. Et la vérité, c'est que les banques centrales ont été trop restrictives en 2008, un peu moins aujourd'hui, et en même temps nous ne sommes pas encore sortis de l'ornière. Au fond, une banque centrale indépendante ne donnera jamais d'autres résultats que "trop peu, et trop tard".

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