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Comment Volkswagen essaie de nous faire croire à sa conversion aux véhicules propres
©Reuters

Double jeu

Bien que le marché de la voiture électrique soit appelé à se développer dans les années à venir, celui-ci ne pourra pas répondre à tous les besoins, notamment en ce qui concerne les trajets interurbains, voire continentaux, ainsi que pour le fret. D'où la nécessité de continuer à recourir, pendant plusieurs décennies, aux carburants, qu'ils soient bios ou non, comme le réclame Volkswagen dans un récent rapport.

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre est ingénieur en optique physique et docteur en sciences économiques. Il est professeur à la Paris School of Business, membre de la chaire des risques énergétiques.

Il est le co-auteur de Perspectives énergétiques (2013, Ellipses) et de Gaz naturel : la nouvelle donne ?(2016, PUF).

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Atlantico : Ce mercredi, Volkswagen et Shell ont publié un rapport dans lequel les deux entreprises plaident pour une plus grande utilisation des biocarburants et une labellisation des véhicules en fonction de leurs émissions de CO2. Elles défendent également le système communautaire des quotas d'émission de CO2. Plusieurs officiels européens craignent que ces mesures nuisent à la mise en place de nouvelles réglementations visant à tenir les objectifs d'émissions de CO2 fixés lors de la COP 21. Dans quelle mesure ces craintes sont-elles fondées ? 

Stephan Silvestre : Bien sûr, les groupes Volkswagen et Shell défendent leurs stratégies respectives dans le cadre des objectifs européens de baisse des émissions de CO2. Le premier souhaite développer une gamme de véhicules avec différents modes de propulsion moins émetteurs que les motorisations actuelles ; il s’agit pour lui de placer ses œufs dans plusieurs paniers pour se prémunir d’une trop grande prise de risque sur la propulsion électrique. Quant à Shell, il a investi massivement dans le bioéthanol, qu’il voit comme substitut crédible au pétrole. En face, certains responsables européens défendent un modèle beaucoup plus basé sur les véhicules électriques. Ce que craignent Volkswagen et Shell, c’est la mise en place d’une réglementation trop brutale qui mettrait en péril leurs investissements. D’autant plus que plusieurs pays européens peinent à atteindre les objectifs actuels, ce qui pourrait conduire l’UE à durcir sa réglementation. Quant au système des droits d’émission de CO2, les deux groupent y voient un outil souple pour atteindre leurs objectifs. Mais ils ne cherchent pas à remettre en cause le plan stratégique européen de baisse des émissions, et surtout pas Volkswagen, qui s’efforce toujours de redresser son image après le scandale des moteurs truqués.

Comment interpréter ce qui pourrait passer pour un double jeu de la part de Volskswagen, puisque le constructeur lance des modèles de voitures électriques tout en appelant à une plus grande utilisation des biocarburants ? Quelle est sa stratégie et où est son véritable intérêt ?

Il ne s’agit pas d’un double jeu, mais d’une stratégie de gamme élargie. Les véhicules électriques montent certes en puissance, mais ils ne pourront capter qu’une partie du marché automobile, celle des centres-villes. Toutefois, pour les déplacements interurbains, voire continentaux, ainsi que pour le fret, les carburants liquides resteront nécessaires pendant encore plusieurs décennies (jusqu’au développement d’une alternative crédible, comme l’hydrogène). Durant cette phase, les agrocarburants constitueront une bonne alternative aux hydrocarbures. Cela n’empêche pas Volkswagen de miser sur d’autres technologies, comme les moteurs hybrides rechargeables, les moteurs basse consommation ou encore les moteurs au gaz naturel. D’ailleurs, la propulsion tout-électrique n’est pas nécessairement la plus sobre en émissions de gaz à effet de serre. Tout dépend du mode de production de l’électricité : si elle a été produite à partir de nucléaire, les émissions sont infimes ; mais si elle l’a été à partir de charbon, alors son bilan carbone est très mauvais.

Comment se porte actuellement le marché de la voiture électrique, aussi bien au niveau de la demande que de l'offre ? Dans quelle mesure l'attitude de Volkswagen participe-t-elle à maintenir cette demande à un niveau relativement faible ?

Ce marché est dynamique si l’on considère la progression des ventes en volume. Il est porté, aux États-Unis, par le phénomène Tesla, qui dope, pour le moment, la demande, en Europe par le volontarisme politique, et en Chine par l’urgence sanitaire de la déplorable qualité de l’air dans les grandes villes. Volkswagen n’a pas le pouvoir de bloquer le marché. La concurrence est très rude dans la construction automobile et, si la demande émane, la concurrence ne manquera pas d’y répondre, à commencer par les constructeurs chinois. Néanmoins, ce marché reste encore faible au niveau mondial, à moins de 1% des ventes. Volkswagen ne peut donc pas prendre le risque industriel de négliger 99% du marché mondial.

Une récente étude européenne a mis en évidence le fait que certains biocarburants seraient trois fois plus polluants que le diesel. Comment s'explique ce phénomène et qu'en déduire concernant les véritables motivations écologiques du constructeur automobile allemand ?

Le principe d’un agrocarburant est la neutralité en termes d’émissions de CO2 car les émissions lors de la combustion sont compensées par l’absorption des plantes durant leur croissance. Cependant, le lieu et le mode de production des plantes peuvent dégrader le bilan carbone : en Europe, une forte mécanisation et un recours important aux engrais contribuent à détériorer le bilan carbone, au point que le gain en émissions soit presque nul par rapport aux hydrocarbures. En revanche, au Brésil (où Shell a investi massivement), les rendements du bioéthanol sont très bons grâce aux conditions climatiques favorables et à la faible mécanisation. Le rapport en question arrive à ce chiffre sur un certain type d’agrocarburant, le diesel issu d’huile de palme, en intégrant dans le bilan carbone le changement d’usage du sol, c’est-à-dire la déforestation associée à cette culture. Mais il faut prendre ce chiffre avec beaucoup de réserves car il ne s’agit pas d’une étude académique, mais émanant d’un cabinet qui n’est pas impartial (Ecofys). Enfin, ajoutons que les agrocarburants présentent d’autres avantages comme la contribution à l’indépendance énergétique ou le soutien au développement économique local (emplois agricoles). C’est pourquoi Volkswagen et Shell prônent un meilleur soutien européen à cette filière.

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