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Le glas des écoles privées hors contrat a-t-il sonné ?
©Reuters

Tribune

Devant le risque de radicalisation des écoles islamistes, le ministère de l'Education nationale envisage de modifier les règles afin de ne plus valider un dossier de "déclaration d’un établissement d’enseignement privé" qui lui arrive avec toutes les pièces, mais de passer à un régime "d’autorisation d’ouverture". Là est le danger, c’est le cœur de l’école libre qui est attaqué, car le ministère sortirait de son rôle de contrôle, pour entrer dans un rôle de validation qui apparaît bien moins objectif et neutre.

Grégoire  Van Steenbrugghe

Grégoire Van Steenbrugghe

Grégoire Van Steenbrugghe est le fondateur du Cours du Pont de Pierre, destiné aux décrocheurs scolaires, auteur de L’aide aux devoirs jusqu’à l’entrée au collège, aux éditions Hachette Education.

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Lorsque j’ai créé une école privée hors contrat pour les élèves en décrochage scolaire, il y a 4 ans, je me suis plongé dans les textes de lois pour bien comprendre ce qu’il était permis de faire. J’ai été agréablement surpris par le bon sens qu’on pouvait y trouver, et de constater que les risques de dérive communautaire avaient été anticipés. Mon âme de citoyen était fière de voir qu’il existait un espace de liberté concernant l’éducation, bien encadré par la loi. 

En effet, ce n’est pas l’école qui est obligatoire jusqu’à 16 ans, mais l’instruction. Et cette instruction obligatoire ne doit pas se conformer aux programmes de l’Education Nationale, mais au "Socle commun de connaissances, de compétence et de culture", défini par décret. Du coup, la loi permet à chacun de créer une école hors contrat en respectant une procédure, ou d’instruire ses enfants à domicile s’il peut démontrer qu’il respecte ce socle. Dans tous les cas, chaque enfant de moins de 16 ans est suivi par l’Académie de son département, qui s’assure qu’il reçoit bien une instruction conforme à la loi.

"Il y a un vrai mouvement de création d’écoles ces dernières années, avec des pédagogies alternatives ou répondant à des attentes spécifiques : plus de 60 écoles ont vu le jour lors de la dernière rentrée scolaire"

Rappelons les modes d’instruction disponibles en France pour le primaire et le secondaire. Tout d’abord l’école publique, gérée par le Ministère de l’Education Nationale. Elle est laïque, gratuite et financée à 100% par l’Etat. Ensuite il existe les écoles dites "privées sous contrat d’association avec l’Etat", qui peuvent être confessionnelles. On les appelle les écoles privées. Elles doivent respecter les programmes de l’Education Nationale, et sont financées en partie par les frais de scolarité (environ 20% du coût réel) et par l’Etat qui prend en charge le salaire des enseignants (qu’ils inspectent régulièrement). Enfin, il existe de manière très minoritaire les écoles privées hors contrat d’association avec l’Etat, qui ont une plus grande liberté pédagogique, qui doivent respecter le "socle commun de connaissances, de compétence et de culture", mais qui n’ont aucun financement du Ministère de tutelle. Elles sont financées par les frais de scolarité, donc par les familles. Parmi les plus connues pour le primaire et le secondaire, on trouve les Ecoles Montessori ou Steiner, des écoles confessionnelles, ou bien des écoles de niche qui répondent à des besoins spécifiques (difficultés d’apprentissage, décrochage scolaire, enseignement en petit groupe, troubles en "dys"…). 

La Fondation pour l’Ecole accompagne la création de nouvelles écoles sous l’impulsion d’Anne Coffinier, et plus d’une soixantaine d’écoles ont vu le jour à la rentrée dernière. Il y a un vrai mouvement de création d’écoles ces dernières années, avec des pédagogies alternatives ou répondant à des attentes spécifiques. 

Toutes ces écoles sont supervisées par le Ministère de l’Education Nationale, qui a l’autorité pour contrôler ces établissements afin de s’assurer qu’ils respectent bien leur mission. Lors de la demande de création, il valide que les locaux sont conformes aux normes (sécurité, accessibilité…) et que le directeur a bien passé 5 années au sein d’un établissement scolaire (stage quinquennal validé par une commission). Ces mesures de contrôle sont justes et permettent d’éviter les dérives, remarque que je m’étais faite lors de l’instruction du dossier.

"C’est le cœur de l’école libre qui est attaqué"

Que se passe-t-il aujourd’hui ? Devant le risque de radicalisation des écoles islamistes, le Ministère envisage de modifier les règles afin de ne plus valider un dossier de "déclaration d’un établissement d’enseignement privé" qui lui arrive avec toutes les pièces, mais de passer à un régime "d’autorisation d’ouverture". Cela veut dire que, dans les faits, le Ministère de l’Education Nationale se donnerait l’autorité d’accepter ou de refuser la création d’une école, alors qu’elle respecterait le cadre législatif prévu. Gare aux dérives ! Là est le danger, c’est le cœur de l’école libre qui est attaqué, car le Ministère sortirait de son rôle de contrôle, pour entrer dans un rôle de validation qui apparaît bien moins objectif et neutre. 

Et cela ne changerait absolument rien à la problématique de radicalisation, car le Ministère a déjà l’autorité pour contrôler les établissements hors contrat. Rien ne sert de changer quoi que ce soit, mais bien de faire ce qu’il est prévu de faire en cas de doute, c’est-à-dire d’aller dans chacune des écoles opérer les contrôles nécessaires, et de sanctionner ce qui doit l’être, et non pas de s’octroyer le droit d’empêcher la création de nouvelles écoles. 

"Un contrôle sur le financement des écoles serait pertinent, ainsi que sur l’origine des fonds"

Il ne faut pas tout mélanger. Sous la raison légitime de sécurité, il faut appliquer les lois actuelles qui sont adaptées, voire si on veut aller plus loin, investiguer sur le financement de l’école.  En effet, les principaux postes de dépense d’une école sont de deux types : les locaux (les loyers et les coûts de mise aux normes sont élevés) et les salaires. S’ils sont imputés uniquement sur les frais de scolarité, cela se chiffre en plusieurs milliers d’euros par an et par enfant (un enfant scolarisé dans le public coûte autour de 10.000€ chaque année à la société). Toutes les familles ne peuvent se permettre de financer de tels frais de scolarité. Donc un contrôle sur le financement des écoles serait pertinent, ainsi que sur l’origine des fonds. Si une école privée hors contrat est quasiment gratuite avec des fonds étrangers, il est légitime de creuser et d’opérer des contrôles poussés sur la provenance de ces fonds.

Il est à noter qu’aucun des terroristes responsables des derniers attentats n’est issu de ces écoles hors contrat. 

On peut donc légitimement s’interroger sur l’intention derrière ce projet de loi. Effet d’annonce pour répondre aux préoccupations du moment sur la montée de l’intégrisme, même si elle n’y répondra pas en pratique, ou prétexte de ces préoccupations sécuritaires pour freiner l’essor de ces écoles privées hors contrat, qui pourrait déranger ? 

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