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Et pendant le conflit sur la loi travail et autres points de fixations micro-économiques, les candidats à la présidentielle ont-ils compris l'enjeu macro européen sur lequel ils pourraient peser après 2017 ?
©Reuters

Puissance 4

Les programmes politiques dévoilés à l'occasion de la présidentielle de 2017 semblent largement occulter la question économique européenne, et ce, alors même que la France aurait les moyens de changer la donne sur un continent en perte de vitesse par rapport aux autres grandes puissances.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Le débat actuel entre différents candidats à la présidentielle, notamment au travers des différentes primaires, semble s'affranchir des questions économiques européennes. En quoi cette absence est-elle réellement problématique ?

Nicolas Goetzmann : Sur le plan économique, la question est le plus souvent évacuée des programmes qui ont été présentés pour le moment. Il n’est jamais fait mention d’une quelconque réorientation de la stratégie européenne, c’est-à-dire, en réalité, que la question macroéconomique n’est simplement pas abordée. Les candidats se contentent des outils relevant de la souveraineté nationale pour bâtir une offre, alors même que ces outils sont restreints par nature de par leurs effets.

Les deux leviers macroéconomiques sont la politique monétaire, dont personne ne parle, et la politique budgétaire européenne qui n’est jamais abordée sous sa forme agrégée, c’est-à-dire en se rapportant à l’ensemble de la zone euro. Et ces deux aspects sont bien plus puissants que toutes les propositions relevant du coût du travail, des charges sociales, ou de la durée d’indemnisation du chômage. En réalité, les candidats présentent de programmes de 1er ministre alors qu’ils se placent dans une optique présidentielle.

L’échelon européen permet de prendre une hauteur de vue, et permet surtout d’acter une réalité ; la France est la deuxième puissance européenne et ni l’UE, ni la zone euro, ne peuvent avancer sans son concours. Or, le fonctionnement de l’Union, au travers du Conseil européen, est avant tout un jeu de pouvoir et d’influence que la France a lourdement désinvesti au cours des dernières années. Ce qui est d’autant plus absurde que la France a les moyens de peser très fortement sur le destin d’une Union qui a une dimension mondiale. C’est bien le rôle d’un Président que de penser au destin économique de la zone euro, de se poser la question du retard pris par rapport aux Etats Unis depuis la crise de 2008, avec un taux de chômage qui y reste deux fois plus élevé.

Il s’agit de raisonner en deux temps. D’une part, la présidentielle française conduit à la prise d'une portion importante du pouvoir européen, qui a le potentiel pour être décisif au plan mondial. D’autre part, le pouvoir national. Le second ne pourra rien donner de correct si le premier n’est pas assumé pleinement.

Ne pas assumer ce rôle-là dans les programmes et dans les discours, c’est cantonner la France et les Français à un rôle de région européenne ne disposant que de quelques ficelles pour "changer la vie". Cela ne reflète ni la réalité de ce que peut la France, ni l’ambition nécessaire à un Président.

Quels sont les leviers disponibles offerts par l'échelon européen ? Quel poids ont-ils sur la réalité économique française, notamment sur le chômage ?

Une politique budgétaire coordonnée permet d’équilibrer des stratégies différentes menées entre 19 pays, si l’on considère la zone euro, ou 28 si l’on considère l’Union. Lorsque l’Espagne ou l’Italie se serrent la vis pour retrouver un niveau de déficit satisfaisant, l’Allemagne pourrait appuyer sur l’accélérateur de la dépense. Le tout permettant d’obtenir un résultat global qui soit "dans les clous" des traités, soit 3% de déficits, mais en tenant compte de la situation de chacun. A l’inverse, ce qui est fait aujourd’hui, ou , pour être plus juste, ce qui a été fait au cœur de la crise, a consisté à ce que chaque pays mette les deux pieds sur les freins au même moment, ce qui a précipité le continent dans une crise bien plus violente qu’elle ne l’aurait été sans ces politiques. Cela suppose de prendre en compte un intérêt général européen qui a été abandonné depuis longtemps. Pour cela, il faut penser la zone euro dans sa globalité.

La politique monétaire permet de contrôler le niveau d’activité au sein de la zone euro,  et ce, de façon non différenciée. Il s’agit là du juge de paix de ce que les économistes appellent la "demande", qui est définie comme la somme de la croissance et de l’inflation. Or, cette politique monétaire européenne a, depuis 2008, été bien plus timide que celle des Etats Unis. Il s’agit dès lors de proposer un débat européen ayant pour objet de donner à la Banque centrale européenne les moyens d’agir sur les mêmes bases que la Réserve fédérale des Etats Unis. Techniquement parlant, il serait souhaitable, voire indispensable, de donner mandat à la BCE de se fixer un objectif de plein emploi. Un tel ajout obligerait la BCE à être beaucoup plus agressive, ce qui aurait pour résultat de voir la croissance européenne décoller et rattraper une partie du retard pris depuis 2008. Et ce retard correspond à plus de 20 points de croissance nominale (croissance + inflation). Nous sommes ici très loin des mesurettes que l’on peut découvrir dans les différents programmes avancés pour le moment.

Dès lors, quelles devraient être les priorités à traiter pour les différents candidats, notamment pour François Hollande ?

Il serait peut-être plus enthousiasmant pour la population d’entendre des discours prenant en compte la réalité du pouvoir de la France au sein de l’Union, plutôt que de devoir écouter des discours contraints par des institutions, des traités, des règles, qui ne paraissent plus avoir grand sens aujourd’hui. L’exemple le plus frappant est la règle des 3% de déficits, et des 60% d’endettement, héritée du traité de Maastricht. Cette règle a été élaborée selon un schéma macroéconomique simple à une époque où l’on imaginait que la croissance nominale du continent serait de 5%. En partant de ce chiffre de 5% (qui se décomposait en X% de croissance et Y% d’inflation selon les années), il a été décidé que les déficits publics ne devraient pas dépasser les 3%, soit 60% de la croissance nominale. Ce qui devait logiquement permettre une stabilisation de l’endettement à 60% du PIB. En effet, si tous les ans, la croissance nominale est de 5%, et le déficit de 3%, alors l’endettement régresse vers ce seuil fatidique de 60%. Or, la croissance nominale de 5% n’est plus qu’une illusion depuis 2008, ce qui aurait dû invalider les autres critères, puisqu’ils devenaient intenables. 

Ainsi, au lieu de se préoccuper d’atteindre les 3% de déficits, les dirigeants feraient mieux de s’intéresser au fait que la croissance soit si faible aujourd’hui. En rétablissant une croissance nominale plus forte, le retour à des déficits plus mesurés sera bien plus aisé. Il s’agit de la différence entre agir sur les causes du mal et ses conséquences. Et c’est bien la première des priorités d’un nouveau dirigeant français. Rétablir la croissance en Europe. L’intendance suivra.

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