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Coup dur électoral pour Matteo Renzi : des leçons à méditer pour son camarade en ligne politique Emmanuel Macron ?
©REUTERS/Remo Casilli

Déroute romaine

En pleine déconfiture actuellement en Italie, le président du Conseil, Matteo Renzi, se heurte à de sérieuses difficultés pour faire accepter sa politique et sa ligne social-libérale. Une ligne partagée en France par Emmanuel Macron, mais qui n'est pas forcément très porteuse aux yeux des Européens.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : A la tête du gouvernement italien depuis 2014, Matteo Renzi est aujourd'hui en grande difficulté, comme en témoignent les résultats des dernières élections municipales. Au-delà des personnalités des deux hommes, est-il possible d'associer les lignes politiques défendues par Emmanuel Macron et Matteo Renzi ? Emmanuel Macron s'expose-t-il aux mêmes problèmes rencontrés aujourd'hui par Matteo Renzi ?

Christophe Bouillaud : Dans une large mesure, on peut effectivement associer les deux hommes. Ils font partie de ces hommes politiques qui s’inscrivent politiquement à gauche, tout en tenant un discours de réformes économiques libérales tout à fait standardisées par ailleurs. Au-delà de leur emballage empreint de jeunisme, de mépris de leur propre parti (le PD et le PS respectivement), et donc moderne à souhait, ils n’offrent en fait aucune originalité dans leur stratégie économique. A la regarder de près, elle correspond à ce que les économistes standards, et l’Union européenne à leur suite, réclament depuis au moins 25 ans pour nos deux pays. Ils se situent par ailleurs chacun bien à droite de leur camp, au point d’être plus des libéraux à aspiration sociale que des sociaux-démocrates ou encore moins des socialistes à l’ancienne. Par ailleurs, tous les deux ont un rapport plutôt similaire à l’Union européenne. Ce sont de fervents européens : ils sont à 100% pour mettre en œuvre les réformes libérales des structures économiques de leur pays respectif, réformes qui sont considérées comme l’one best way européen, mais ils trouvent toutefois que l’Union européenne devrait changer radicalement sa politique économique pour l’orienter plus vers l’investissement et la croissance. Ni l’un ni l’autre ne sont donc des "Merkel-boys". Ils voient bien en effet le danger qu’il y a à enfermer l’Union européenne dans une vision malthusienne et apolitique de l’Europe à la Merkel.

Or, il se trouve que Matteo Renzi avait promis aux Italiens lors des élections européennes de 2014 d’aller porter ce message de l’arrêt de l’austérité à qui de droit. C’est là le secret de son magnifique score de 40% des voix en mai 2014. Or, pour l’instant, si M. Renzi a pu un tout petit peu desserrer l’étau de l’austérité en Italie même, il a totalement échoué à changer vraiment la donne à l’échelle européenne, et du coup, l’économie italienne repart très lentement, d’où l’insatisfaction croissante des Italiens à son égard. Il faut dire que M. Renzi n’a pas été beaucoup aidé par François Hollande. Sans allié véritable, M. Renzi est resté un acteur isolé à la table du Conseil européen. Dans son rôle de ministre de l’Economie, Emmanuel Macron se heurte au même mur d’intransigeance de la part des dirigeants allemands. Il n’est toujours pas question pour l’Allemagne de relancer son économie pour permettre aux autres pays de l’Eurozone de sortir franchement de l’ornière.

Alors que les deux hommes incarnent une certaine rupture avec la gauche traditionnelle de la deuxième moitié du 20e siècle, les difficultés actuelles de la gauche de gouvernement dans plusieurs pays d'Europe (Labour, PSOE, SPD, etc.) n'illustrent-elles pas le fait que les électeurs ne sont peut-être pas encore prêts à adhérer à ce discours ?

Les électeurs sont prêts à adhérer à ce discours dans la mesure où c’est là essentiellement une promesse de retour à la croissance économique, telle qu’elle a pu exister lors des Trente Glorieuses. Cette promesse de salut de nos sociétés et de nos économies par la croissance avec un grand C est toujours bien accueillie par une majorité de nos concitoyens des deux côtés des Alpes, qui ne sont guère conscients pour la plupart des limites physiques de la planète, et s’ils le sont, préfèrent préserver leur mode de vie actuel au sort des générations futures. Les deux hommes expriment donc une idée très moderne d’un salut par la fuite en avant dans la croissance, et, en plus, ils insistent tous deux sur le rôle des entrepreneurs dans cette dernière. Ce discours est accepté par le grand public tant que les électeurs ne sont pas directement concernés négativement par les réformes mises en œuvre pour regagner cette croissance tant attendue.

Or, dans les deux pays, les réformes mises en œuvre visent essentiellement à rétablir la profitabilité des entreprises en s’aidant d’une flexibilité accrue du marché du travail. Dans le cadre de la zone Euro telle qu’elle est gérée actuellement, il n’y a pas en effet d’autre solution : il faut à tout prix baisser le coût du travail. C’est ce que sont en train de faire même les très éduqués et très productifs Finlandais pour sauver économiquement leur peau. Cette course au moins disant social dans tous les pays de l’Eurozone - à l’exception de l’Allemagne, qui a déjà beaucoup donné au début des années 2000 - ne peut évidemment pas rencontrer les faveurs de la masse des salariés. Du coup, ces forces sociales-libérales sont obligées de s’appuyer sur les suffrages des retraités pour espérer survivre électoralement. Par chance, les vieux vont plus voter que les jeunes…

La réforme du marché du travail mise en place en Italie a largement été vantée en Europe, ce qui n'a pas empêché de voir Matteo Renzi s'affaiblir. Comment expliquer un tel décalage entre "un modernisme" vanté et la réalité du terrain ? Le même phénomène n'est-il pas aujourd'hui à l'oeuvre en France, avec la subite érosion de la cote de popularité d'Emmanuel Macron ? 

L’érosion de la popularité de Matteo Renzi tient tout simplement au fait que l’économie italienne repart très mollement, et qu’en même temps, les dirigeants proches de lui font preuve de la même inconsistance morale que leurs prédécesseurs. Entre une économie peu allante et des affaires de corruption ou de négligence qui se multiplient, les Italiens doutent du "miracle" promis par Renzi. Cela ressemble de plus en plus au marasme italien habituel depuis 1970. Par ailleurs, la croyance néo-libérale selon laquelle il suffirait de flexibiliser le marché du travail pour créer massivement de l’emploi est peut-être tout simplement fausse. Cela aide peut-être à la marge, et avec des délais longs, mais cela comporte aussi des effets pervers, comme l’impossibilité pour des salariés devenus parfaitement flexibles de fonder une famille et donc de relancer la consommation par la production d’une descendance, fortement consommatrice de biens et services divers comme tout jeune parent le sait bien. De fait, l’Italie a connu en 2015 son plus bas démographique depuis 1861 en termes de nombre absolu de naissances ! En réalité, ce qui crée de l’emploi, c’est de la demande solvable adressée aux entreprises. Heureusement, l’euro a baissé, ce qui a permis d’aider les exportations italiennes vers le reste du monde. Mais même cela ne compense pas le fait que la demande intérieure, publique et privée, est atone en Italie, et le fait que les salaires et les coûts n’ont pas assez baissé en Italie pour regagner la compétitivité perdue depuis les années 1990.

Pour ce qui est d’Emmanuel Macron, il me semble qu’il est simplement rattrapé par le fait que les Français commencent à comprendre qu’il fait partie de l’équipe gouvernementale de François Hollande. Il n’est donc pas pour rien dans l’échec actuel, d’autant plus qu’il fut le conseiller économique de Hollande avant de devenir ministre. En particulier, les Français les plus opposés à la loi El Khomri voient bien le lien entre cette loi scélérate selon eux et le ministre de l’Economie. Par ailleurs, c’est le retour logique de bâton après l’engouement médiatique dont il a été l’objet. En cherchant à être au centre de l’attention avec son mouvement "En Marche!", en se politisant en quelque sorte, il a aussi réussi à réveiller de nombreuses critiques à son égard. Il a perdu l’aura de neutralité technocratique dont il pouvait se prévaloir. Il aurait mieux valu pour lui quitter le navire "hollandais" il y a quelques mois.

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