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Désigner le monde de la finance comme adversaire ? 
Moins idiot que ne le pense Baroin !
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Tourner sa langue sept fois

François Hollande a désigné son principal adversaire ce dimanche : le monde de la finance. Réaction de François Baroin : c’est "aussi idiot que de dire "je suis contre la pluie"". Une sentence pas forcément très inspirée de la part du ministre de l'Économie...

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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En reprochant à François Hollande de tenir un discours sur la finance "hors du temps", François Baroin risque de regretter longtemps de n’avoir pas tourné sept fois sa langue dans sa bouche avant d’avoir parlé.

D’abord, il prouve avec une franchise touchante son ignorance profonde du ras-le-bol des Français ordinaires vis-à-vis de cette finance-spectacle qui les emmène dans des montagnes russes anxiogènes. Entre les ouvriers qui voient leurs usines s’exiler en Tunisie, en Turquie ou en Chine pour satisfaire des actionnaires avides, et les épargnants qui ont perdu en bourse des sommes colossales ces derniers mois, le mécontentement est profond. Et soutenir que l’exprimer est ringard relève d’une vraie maladresse.

À moins que la subordination de Bercy à la sphère financière ne rende les ministres de l’économie aveugles, ou muets, ou inconscients des risques que notre modèle de civilisation encourt en lâchant la bride aux financiers ?

En réalité, les financiers sont des gens de leur temps, et le rejet de la finance, de son irrationalité, sont des constantes de l’histoire. John Law, ce banquier écossais qui ruina les épargnants par une intense spéculation financière dans les années 1715 - 1720 en est probablement le plus ancien symbole. À l’époque, déjà, le royaume était au bord de la banqueroute, endetté par la politique dépensière de Louis XIV, et c’est en jouant sur l’or et les billets de banque que Law prétendit le sauver. Le krach qu’il causa se termina par son exil à Venise. Le début d’un éternel recommencement.

La finance et la crise de 1929

La crise des années 1930 a donné l’occasion à la haine de la finance de s’exprimer à plein, et François Baroin devrait relire ses classiques.

Par exemple, le discours inaugural de Roosevelt en 1933 ne disait-il pas : «Les financiers ont déserté leurs fauteuils dans le temple de notre civilisation. Nous pouvons maintenant rendre ce temple à ses anciennes vertus.» (The money changers have fled from their high seats in the temple of our civilization. We may now restore that temple to the ancient truths.) ? Il imposa alors des vacances bancaires, le temps de modifier, par son Emergency Banking Act du 9 mars 1933, l’organisation entière de la finance américaine.

Mais, de toutes les citations de cette époque, préférons celle-ci : «UN TROP GRAND PATRON. C’est un homme qui ne travaille pas lui-même, qui ne connaît pas ses ouvriers. C’est celui qui achète et vend une usine comme un paquet d’actions; ce n’est qu’un capitaliste qui prétend être un chef d’entreprise.» Où trouve-t-on ce portrait de l’actionnaire demeuré d’une si étonnante fraîcheur? Dans le premier numéro de l’Action patronale, en décembre 1936, une revue lancée par le MEDEF de l’époque pour contrer l’action du Front Populaire.

Ce petit détail mérite d’être rappelé, car la haine du financier n’a jamais été le propre de la gauche. Elle a toujours concerné une grande partie de la droite et du patronat lui-même.

Le gaullisme et la finance

Pas la peine de rappeler ici la célèbre phrase du général De Gaulle, sur la politique de la France qui ne se fait pas à la corbeille de la bourse, ni ses considérations sur la réforme du système monétaire international (conférence de presse de février 1965), dont François Baroin ferait bien de s’inspirer. Elles nous rappellent en quelle piètre estime le gaullisme historique tenait les inepties de la finance. Il est vrai, qu’à cette époque, la sphère financière n’était pas une grenouille plus grosse que le boeuf du travail.

François Baroin pourrait plus simplement relire les discours de son protecteur, qui a permis sa carrière : Jacques Chirac. Ne déclarait-il pas, en 1978 (le fameux discours de Cochin): «Il est de fait que cette Communauté - en dehors d'une politique agricole commune, d'ailleurs menacée - tend à n'être, aujourd'hui, guère plus qu'une zone de libre-échange favorable peut-être aux intérêts étrangers les plus puissants, mais qui voue au démantèlement des pans entiers de notre industrie laissée sans protection contre des concurrences inégales, sauvages ou qui se gardent de nous accorder la réciprocité»? Cette apologie du protectionnisme se ponctuait par : «Nous disons non à une France vassale dans un empire de marchands, non à une France qui démissionne aujourd'hui pour s'effacer demain.»

Cette inspiration fondamentalement hostile au libéralisme économique, à la finance, au libre-échange, ne guidait-elle pas aussi Nicolas Sarkozy, lorsqu’il déclarait, en septembre 2008 à Toulon : « Le capitalisme ce n'est pas la primauté donnée au spéculateur. C'est la primauté donnée à l'entrepreneur, le capitalisme c'est la récompense du travail, de l'effort et de l'initiative.» On regrettera d’ailleurs que le site de l’Élysée ne donne plus l’intégrale de ce texte.

Toutefois, le 1er décembre 2011, le même Sarkozy dans la même salle de Toulon a redit : «La croissance extravagante du secteur financier qui a disséminé d'invraisemblables quantités de dettes a eu pour conséquence la financiarisation de l'économie. Elle l'a mise sous la domination exclusive de la logique spéculative et l'obsession du court-terme. On en connaît les conséquences dramatiques sur l'industrie, sur l'environnement, sur les inégalités et sur la dégradation de la valeur du travail.»

Ces quelques mots méritaient d’être rappelés, histoire de bien redire que l’hostilité à la sphère financière et à la financiarisation globalisée de l’économie, n’est pas une propriété, loin de là, du parti socialiste des années 70.

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