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Test de missile nucléaire à 120 millions d'euros en Bretagne : l’investissement en vaut-il la chandelle pour la crédibilité de la dissuasion française ?
©Pixabay

Cocorico

L'armée française procédera dans les prochains jours à un nouveau tir d'essai de son missile nucléaire M51, après le fiasco de 2013 qui avait vu ce dernier exploser en plein vol. Un test nécessaire si la France veut maintenir tant bien mal son rang dans la compétition mondiale de l'industrie de l'armement.

Etienne Copel

Etienne Copel

Étienne Copel est un général de brigade aérienne de l'armée de l'air française. Il fit une brillante carrière d'officier et a été en 1981 le plus jeune général français en exercice. Il fut l'un des trois pilotes d'avion de chasse qui ont effectué le largage d'une bombe atomique pour des essais à Moruroa en 1973. Il se rendit célèbre en 1984 en démissionnant de son poste de sous-chef d'état-major de l'armée de l'air afin de pouvoir exprimer librement sa conception de la politique de défense de la France et publier son premier livre.

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Atlantico : Selon toute vraisemblance, dans les prochains jours aura lieu en Bretagne un nouveau tir d'essai du missile nucléaire M51. A l'occasion du précédent essai, en 2013, un missile similaire avait explosé en plein vol suite à des problèmes de "qualité industrielle". En quoi consiste précisément un tel test et à quoi sert-il concrètement ?

Etienne Copel : Quand le prototype d’une voiture ou d’un avion sort d’usine, la première chose à faire est de l’essayer ; il en va de même pour les missiles de nos sous-marins nucléaires. Ils ont toutefois deux particularités. La première est qu’ils sont tellement chers qu’on ne peut pas faire de grandes séries d’essais ; en général, on se contente de moins de 5 tirs. La deuxième particularité est que ces missiles font leur premier test à partir d’une base terrestre - en l’occurrence à Biscarosse dans les Landes - avant de faire le premier essai "grandeur nature" à partir d’un sous-marin nucléaire en mer.

L’essai du M51 au large de la Bretagne est en fait un essai de rattrapage car il fait suite à un échec survenu en décembre 2013 lors du premier tir à partir d’un sous-marin. Les essais préalables à terre avaient pourtant été excellents mais lorsqu’il s’est agi de vérifier que ce nouveau missile plus gros, plus lourd, plus performant, fonctionnait aussi bien à partir d’un sous-marin en plongée que du sol, l’échec peu après le décollage a été flagrant… et donna lieu à de nombreuses critiques. Pourquoi avoir dépensé autant pour remplacer un missile qui fonctionnait fort bien (le M45) et dont la portée et la furtivité étaient déjà remarquables ? Heureusement, l’enquête a montré que l’échec n’a pas été dû à une inadaptation du missile au sous-marin mais tout simplement à la malfaçon d’une pièce banale. Tout porte à penser que ce tir imminent va prouver que le M51 tiré de son sous-marin est un missile, purement français, de hautes performances… et sûr.

La Fédération Antinucléaire de Bretagne affirme que ce test coûtera au moins 120 millions d'euros, sans compter le coût indirect de l'interdiction de survol aérien et de navigation maritime sur place pendant plusieurs jours. Est-ce une affirmation plausible ? Que coûtent réellement ces essais ? A l'inverse, combien nous "rapportent-ils" et de quelle manière ?

Le coût estimé par la fédération anti-nucléaire de Bretagne n’est pas aberrant. En fait, c’est l’ensemble du coût de la dissuasion nucléaire qui est considérable. Si l'on trouve justifié de dépenser des milliards d’euros pour mettre en service des missiles M51 portés par nos sous-marins nucléaires, le coût de l’essai qui va avoir lieu n’est pas exagéré. Comment notre dissuasion nucléaire pourrait-elle être crédible si on ne montrait pas au monde que nos missiles et nos sous-marins fonctionnent bien ?

Les essais ont un intérêt majeur : crédibiliser les matériels français. Sans les essais réussis de nos sous-marins, qui peut penser que l’Australie aurait confié à la France le soin de renouveler sa flotte sous-marine ? Sans les essais réussis de tous les missiles militaires lancés depuis 60 ans, qui peut penser que la série des lanceurs Ariane aurait le succès que l’on connaît ? La dissuasion nucléaire voulue par le général de Gaulle coûte cher, très cher, mais ses retombées économiques sont indiscutables et majeures. Ceci étant, le budget de la France n’étant pas extensible à l’infini, je continue de penser que l’on pourrait dissuader aussi bien - ou presque - en dépensant moins. Les sous-marins et les missiles sont exportables mais pas les têtes nucléaires. Alors pourquoi les renouveler sans cesse à très grands frais ? Pourquoi par exemple dépenser près de quatre milliards pour un laser mégajoule dont l’intérêt pour développer de nouvelles têtes nucléaires n’est, pour le moins, pas vraiment prouvé ?

Quel état des lieux peut-on faire de l'industrie de l'armement français, notamment par rapport à d'autres pays occidentaux ? Comment sa situation a-t-elle évolué ces dernières années ?

Que l’on s’en réjouisse ou non, l’industrie française d’armement va bien, très bien même. Avec 16 milliards de prises de commandes, les ventes d’armes françaises ont battu tous leurs records en 2015 ; en 2014 elles n’avaient presque pas dépassé 8 milliards ! La dérivée est impressionnante. Et tout porte à penser que 2016 va battre le record de 2015. Tous les secteurs de l’armement, ou presque, sont en pleine expansion. Les plus spectaculaires sont toutefois ceux des avions de combat, des frégates ,des hélicoptères et des satellites. Après son premier succès en Egypte, le Rafale devrait bientôt confirmer ses ventes en Inde et au Moyen-Orient. Les livraisons de frégates au Qatar et à l’Arabie Saoudite deviennent probables comme la commande d’hélicoptères en Pologne ou au Koweït, sans parler bien sûr du gigantesque contrat de sous-marins en partenariat avec l’Australie. Notons encore que le spatial militaire est en pleine expansion à l’exportation : des satellites de télécommunications et d’observation de très haute technologie sont sur le point d’être commandés par l’Arabie Saoudite et l’Egypte.

Comment expliquer de tels succès ? Les talents de négociateurs du président Hollande et de son ministre de la Défense jouent un rôle important. Le premier a une vertu cardinale à l’étranger : il la "joue modeste", il n’agace jamais, quant à Jean-Louis Le Drian c’est un travailleur forcené dont la connaissance profonde des dossiers fait merveille. Mais ces résultats spectaculaires ont aussi pour origine des données techniques favorables, la plus importante étant sans doute l’indépendance de l’armement français. Un système d’armes français est en général purement national. Un acheteur potentiel n’a qu’un vendeur en face de lui : il n’a pas à se demander comment il sera ravitaillé en pièces de rechanges si, par exemple, les Etats-Unis décident de ne plus exporter certains de leurs équipements.

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