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Comment les Américains ont injecté dans l’ADN de l’UE et de l’OTAN une méfiance tenace à l’égard de la Russie
©Pixabay

Pas de nouvelle Guerre froide ?

Dans une interview accordée au Spiegel Online, Jens Stoltenberg, le chef de l'OTAN, est revenu sur les principaux défis auxquels fait face l'organisation. Par ailleurs, il a longuement abordé la question de la relation à la Russie et a affirmé ne pas vouloir d'une nouvelle guerre froide.

Jean-Bernard Pinatel

Jean-Bernard Pinatel

Général (2S) et dirigeant d'entreprise, Jean-Bernard Pinatel est un expert reconnu des questions géopolitiques et d'intelligence économique.

Il est l'auteur de Carnet de Guerres et de crises, paru aux éditions Lavauzelle en 2014. En mai 2017, il a publié le livre Histoire de l'Islam radical et de ceux qui s'en servent, (éditions Lavauzelle). 

Il anime aussi le blog : www.geopolitique-géostratégie.fr

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Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : Dans une interview accordée du Spiegel Online (voir ici), Jens Stoltenberg, le chef de l'OTAN, a écarté toute remise en question ou modification de l'Acte fondateur sur les relations, la coopération et la sécurité mutuelles entre la Fédération de Russie et l'OTAN (signé en 1997). Que prévoit cet accord ? Au regard du stationnement  de troupes de l'OTAN dans les pays membres d'Europe de l'est, de l'installation d'un système de défense anti-missile en Roumanie et en Pologne et des élargissements successifs de l'organisation, l'esprit de cet accord a-t-il été respecté par l'OTAN ? Qu'en est-il du côté de la Russie ? 

Michael Lambert : En raison du processus de Guerre hybride lancé par la Russie en Ukraine ainsi que de l’annexion de la Crimée en 2014, les relations entre l’OTAN et Moscou sont plus que jamais d’actualité. Le risque principal pour l’Alliance n’est autre que de voir émerger la Russie comme étant officiellement perçue comme une ennemie dans un contexte ou l’Union européenne mène une guerre économique avec cette dernière. Le Secrétaire Général Jens Stoltenberg tente ainsi à tout prix de modérer ses propos et de faire comprendre au président russe que le choix de renforcer la présence de l’Alliance en Pologne et dans les pays Baltes est avant tout un acte préventif et n’a pas pour vocation à planifier une attaque.

La mise en place du système anti-missile en Pologne et en Roumanie, l’envoi de F-22 Raptor de 5ème génération en Allemagne et en Pologne et de drones Predator en Lituanie s’impose avant tout prévenir une attaque des russes. Mais ces actions de l’OTAN peuvent également s’interpréter du coté russe comme un souhait de préparer une confrontation, ce qui n’est pas le souhait d’une majorité des membres de l’Alliance. En conséquence, l’idée est de parvenir à démontrer la volonté des États membres d’intervenir en cas de violation de l’Article 5 du Traité de Washington, mais aussi d’éviter de renouer avec une situation aussi inquiétante que pendant la Guerre froide. Ces éléments expliquent les déclarations de Jens Stoltenberg qui lors de son discours à l’Université de Varsovie en mai 2015 a clairement montré son intention “d’éviter une nouvelle Guerre froide”, une situation qui ne profiterait à personne.

Sur le principe, les accords OTAN-Russie sont jusqu’a présent respectés par les deux protagonistes, et l’ensemble des provocations s’effectue sans violer les Traités bilatéraux. La Russie a adopté une attitude plus provocante en pénétrant l’espace aérien de l’OTAN à plusieurs reprises en Turquie, en France, en Grande-Bretagne et en Baltique, mais sans pour autant aller au point de créer un conflit ouvert.

L’OTAN est pour sa part restée dans la légalité et ne fait que renforcer sa présence en réponse aux provocations de la Russie. On est donc dans une situation de respect mutuel mais avec un souhait de la part de l’OTAN de montrer qu’elle est prête à répondre à une potentielle attaque.

Jean-Bernard Pinatel : L’Acte fondateur sur les Relations, la Coopération et la Sécurité Mutuelles indique que l'OTAN et la Fédération de Russie "construiront ensemble une paix durable et ouverte à tous dans la région euro-atlantique, reposant sur les principes de la démocratie et de la sécurité coopérative…. qu’ils ne se considèrent pas comme des adversaires et ont pour objectif commun d'éliminer les vestiges de l'époque de la confrontation et de la rivalité, et d'accroître la confiance mutuelle et la coopération". 

Or les Etats-Unis depuis la chute du mur en 1989 n’ont qu’une seule crainte : la création d’un grand ensemble européen incluant la Russie, l’Eurasie, qui leur contesterait le leadership mondial. Ainsi, alors que Georges Bush avait promis à Gorbatchev de dissoudre l’OTAN s’il liquidait de son côté le Pacte de Varsovie, il a trahi sa parole. Le pacte de Varsovie dissout, les Etats-Unis ont maintenu l’OTAN et, depuis lors, ils n’ont cessé d’œuvrer pour faire coïncider l’Union européenne et l’Otan (1). Jean de Glinasty, ancien ambassadeur français en Russie déclarait récemment : "les Américains ont injecté dans l'ADN de l'UE et dans l'OTAN une méfiance vis à vis de la Russie." (2)

Les Russes au contraire n’ont aucun intérêt à une confrontation avec l’Europe qui est leur premier client. En effet, la Russie est le premier fournisseur de gaz naturel des vingt-sept avec 40 % des importations, ce qui représente 19 % de la consommation totale de gaz de l'Union européenne et le deuxième fournisseur de pétrole avec 20 % des importations et 16 % de la consommation totale. La Commission européenne estime que, d'ici 2040, 70 % des besoins énergétiques de l’UE devront être assurés par les importations, contre 50 % aujourd'hui. Selon le ministère russe de l'Energie, la Russie pourrait fournir 70 % du gaz importé par les pays européens contre 40 % aujourd'hui.

1- Une autre histoire de l’Amérique, Olivier Stone, TV Planète

2- AA IHEDN 10 MARS 2016

Jens Stoltenberg a par ailleurs déclaré "nous ne voulons pas d'une nouvelle Guerre froide". Mais n'est-ce pas la forme que prend l'actuelle relation Russie-OTAN ? L'OTAN ne considère-t-il pas la Russie comme une menace ? Quant à la Russie, à quelles manœuvres d'intimidation se livre-t-elle ?  

Michael Lambert : Le contexte de Guerre froide incluait une potentielle Guerre nucléaire, alors que la situation actuelle prévoit plutôt un conflit de type similaire à celui en Ukraine mais qui se déroulerait en Estonie-Lettonie. Qui plus est, la guerre au XXIe siècle est celle de l’information avec la manipulation des minorités ethniques pour la mise en place de la Guerre hybride et la cyber-guerre, qui vient elle même d’être considéré comme pouvant engendrer une réponse dans le cadre de l’Article 5. On est dès lors dans un schéma qui oppose la Russie et l’OTAN mais sur un modèle radicalement différent et autrement plus complexe que celui d’avant 1991.

L’OTAN considère effectivement la Russie comme la principale menace dans son espace direct et indirect, le terrorisme international reposant sur les connections avec la Russie pour s’approvisionner en équipements militaires. Les attentats de Paris et Bruxelles ont tous été menés avec l’aide de matériel militaire soviétique et russe, ce qui incite à se pencher sur les relations entre Russie et État Islamique pour le trafic d’armes légères. Officiellement la Russie n’est pas une menace, elle l’est cependant  officieusement pour de nombreux membres de l’Alliance.

La Russie se livre à des provocations qui sont indéniables avec de nombreux incidents : l’espace aérien violé en France et Grande-Bretagne par des bombardiers nucléaires russes, les Su-24 qui ont frôlé les navires Américains en mer Baltique, et le renforcement des infrastructures militaires en Abkhazie et Ossétie du Sud sont les exemples les plus frappants.

On pourrait ajouter que Moscou n’hésite pas à espionner le comportement des armées en Syrie ou le Kremlin dispose d’une occasion unique de voir en action les membres de l’Alliance sur un même théâtre ou se retrouve du matériel militaire qu’il connait assez peu. La Syrie étant le seul exemple de conflit ou se retrouvent les Rafales, Eurofighter et F-16 qui frappent simultanément. La Russie vise naturellement à analyser le comportement des Occidentaux pour se préparer en cas d’attaque et évaluer les faiblesses de ces derniers si un conflit devait émerger en Pologne et mer Baltique.

La Russie n’est donc pas une menace pour l’OTAN, mais apparaît comme objectivement la seule puissance apte à menacer la Paix sur le continent Européen. 

Jean-Bernard Pinatel : Pour l’Europe c’est vrai. Un exemple : les accords Minsk2 sur l’Ukraine ont pu être signés entre l’Europe et la Russie parce que Francois Hollande et Angela Merkel n’ont pas invité les Etats-Unis à la table de négociation.  

En revanche, les parlementaires américains au Congrès, qu’ils soient démocrates ou républicains, n’ont cessé d’exprimer leurs réserves sur cet accord (3). 

Pour l’administration américaine et le lobby militaro-industriel une guerre froide en Europe est conforme à leurs intérêts stratégiques. Pourquoi ? Pour deux raisons. La première est géopolitique. Les Etats-Unis depuis la chute du mur en 1989 n’ont qu’une seule crainte : la création d’un grand ensemble européen incluant la Russie qui leur contesterait le leadership mondial. L'ancien conseiller national à la sécurité des Etats-Unis, Zbigniew Brzezinski, publia en 1997 sous le titre "Le grand échiquier " un livre où il écrivait : "Pour l’Amérique l’enjeu géopolitique principal est l’Eurasie ". Il explicitait ainsi sa pensée (4) "Si l'Ukraine tombait cela réduirait fortement les options géopolitiques de la Russie. Même sans les Etats de la Baltique et la Pologne, une Russie qui garderait le contrôle de l'Ukraine pouvait toujours aspirer à la direction d'un empire eurasien.  Mais, sans l'Ukraine et ses 52 millions de frères et sœurs slaves, toute tentative de Moscou de reconstruire l'empire eurasien menace d'entraîner la Russie dans de longs conflits avec des non slaves aux motivations nationales et religieuses."

La seconde est beaucoup moins acceptable. Le lobby militaro-industriel dont, à la fin de ses 2 mandats de Président des Etats-Unis, le Général Eisenhower (5) avait dénoncé le risque pour la démocratie américaine a besoin de menaces pour pouvoir obtenir du Congrès un budget très supérieur à celui des autres puissances (6). 

3- Nous espérons qu'une solution pacifique sortira de cet accord, mais nous devons garder à l'esprit l'habitude historique de la Russie de violer les cessez-le-feu", a déclaré à Foreign Policy la représentante démocrate de l'Ohio Marcy Kaptur, qui fait partie des trente membres du Congrès qui ont récemment écrit à Obama pour réclamer un accroissement de l'aide militaire à l'Ukraine

4- Traduit de : Zbigniew Brzezinski: "Die einzige Weltmacht - Amerikas Strategie der Vorherrschaft", Fischer Taschenbuch Verlag, pp.15/16

5- https://www.les-crises.fr/eisenhower-1961/

Selon Jens Stoltenberg, la réponse de l'OTAN à la propagande russe repose sur la "vérité". Pour autant, les deux parties ne se livrent-elles pas une "guerre de l'information" ? Sous quelles formes ? 

Michael Lambert : Objectivement, les deux parties défendent leurs intérêts et il apparaît comme réaliste de dire si la vision des membres de l’OTAN, plus “Européenne”, est pour autant dans le “vrai”. A titre d’exemple, l’OTAN nie toujours l’existence du peuple Abkhaze et ce alors même que celui-ci lutte au quotidien pour sa reconnaissance. Le cas de l’Abkhazie incarne l’ensemble des problèmes de l’Alliance ou d’une part il est nécéssaire de ne pas froisser les Géorgiens qui sont les seuls à défendre les intérêts de l’OTAN et de l’UE dans le Caucase Sud, et ce au détriment du Droit du peuple abkhaze à disposer de lui même.

L’Alliance est ainsi prête à risquer un génocide ethnique et culturel dans le pays/région afin de préserver ses intérêts géostratégiques. Les membres de l’Alliance n’envisagent pas de repenser leur approche sur la question Abkhaze, alors même qu’ils auraient tout à y gagner. L’OTAN joue également avec le feu en n’affirmant pas clairement l’idée selon laquelle la Russie est la cible prioritaire du projet de bouclier anti-missiles, ce qui laisse entendre aux russes que l’Alliance se joue d’eux et dissimule ses véritables intentions.

La guerre de propagande et de médias est essentielle au XXIème siècle dans la mesure ou elle constitue la base du processus de Guerre hybride, permettant de créer des mouvements populaires séparatistes, ce qui constitue la deuxième phase du processus. Un exemple frappant est encore une fois celui de l’Abkhazie ou l’agence russe Spoutnik dispose d’une trentaine de journalistes sur place, alors même qu’un seul correspondant suffirait amplement vu la taille du pays/région (240 000 habitants).

L’OTAN et la Russie disposent également d’une vision discordante sur la Seconde Guerre mondiale, avec un déni constant de Moscou sur les viols perpétrés en Europe de l’Est et en Allemagne sur plus de deux millions de femmes et enfants. L’opposition des représentations historiques mènent au problème des tensions entre les communautés avec d’une part les pro-russes qui romancent la Grande Guerre patriotique avec la vision d’une Union soviétique libératrice, et de l’autre les Européens qui considèrent la libération soviétique comme une justification pour les occuper pendant plus de quatre décennies. Ces visions mènent naturellement à un problème croissant pour établir un dialogue commun.

Jean-Bernard Pinatel : Il serait trop long de montrer que cette guerre de l’information est pratiquement à sens unique. Certes, il faut reconnaître que l’annexion de la Crimée par la Russie fournit un argument de poids aux responsables de l’OTAN pour dénoncer la menace russe. Mais ils oublient de rappeler que les Russes n’ont annexé la Crimée qu’en réponse au coup d’Etat de la place de Maïdan. 

En revanche, l’OTAN ne cesse de maintenir en Europe, et spécialement dans les pays de l’est, une crainte de la Russie par la diffusion de faux renseignements sur la réalité de la menace russe. Un exemple parmi tant d’autres. La déclaration du  général Christophe Gomart, directeur du renseignement militaire devant la commission de la défense nationale et des forces armées : "La vraie difficulté avec l’OTAN, c’est que le renseignement américain y est prépondérant, tandis que le renseignement français y est plus ou moins pris en compte. L’OTAN avait annoncé que les Russes allaient envahir l’Ukraine alors que, selon les renseignements de la DRM, rien ne venait étayer cette hypothèse – nous avions en effet constaté que les Russes n’avaient pas déployé de commandement ni de moyens logistiques, notamment d’hôpitaux de campagne, permettant d’envisager une invasion militaire et les unités de deuxième échelon n’avaient effectué aucun mouvement. La suite a montré que nous avions raison " (7).

6- 1. Etats-Unis 596 milliards de dollars global ; 2. Chine 215 Md$ 3. Arabie saoudite 87,2 Md$  4. Russie 66,4 Md$ 5. Royaume-Uni 55,5 Md$ ; 6. Inde 51,3 Md$ ; 7. France 50,9 Md$ ; 8. Japon 40,9 Md ; 9. Allemagne 39,4 Md$ ; 10. Corée du Sud 36,4 Md$ (+ 37 % 2006-2015) ; http://defense.blogs.lavoixdunord.fr/archive/2016/04/05/les-depenses-militaires-mondiales-en-hausse-en-2015-14586.html

7- Audition du général Christophe Gomart, directeur du renseignement militaire, sur le projet de loi relatif au renseignement ; Commission de la défense nationale et des forces armées, mercredi 25 mars 2015, séance de 9 heures; compte rendu n° 49

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