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Si, un autre droit du travail est possible, et voilà comment
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Solutions

Dans leur livre "Un autre droit du travail est possible", Franck Morel et Bertrand Martinot formulent 72 propositions pour réformer le droit du travail. Parmi elles, l'instauration d'un CDI conventionnel, une meilleure répartition des domaines entre la négociation collective et la loi, une hausse du temps de travail de 35h à 39h, et la modernisation de la représentation du personnel.

Franck Morel

Franck Morel

Expert reconnu du droit du travail depuis plus de vingt ans, Franck Morel est avocat associé chez Flichy Grangé Avocats. Franck Morel est expert auprès de l’Institut Montaigne. Il avait déjà auparavant été plusieurs années avocat associé en droit du Travail chez Barthélémy avocats. Conseiller du Premier ministre Edouard Philippe sur les questions de relations sociales, de travail et d’emploi de 2017 à 2020 et de quatre ministres du travail de 2007 à 2012 (Xavier Bertrand, Brice Hortefeux, Xavier Darcos et Eric Woerth), il a contribué à l’élaboration d’une quinzaine de réformes dans le champ du travail et de l’emploi (ordonnances Macron de septembre 2017, réformes de la formation professionnelle de 2011 et 2018, de la santé au travail, du temps de travail, du dialogue social, création de la rupture conventionnelle…).

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Atlantico.fr : Dans votre livre "Un autre droit du travail est possible", vous faites le constat d'une France incapable de se réformer. Pour vous, nous vivons avec des "normes désuètes et décalées" issues d'un lointain passé (comme l'interdiction de travailler le dimanche). Pour quelles raisons avons-nous tant de mal à réformer le droit du travail ?

Franck Morel : Les raisons sont multiples et sont liées pour beaucoup d'entre elles aux processus d'élaboration des normes et au jeu des différents acteurs. Le processus de création de la norme aboutit trop souvent à ce que chaque acteur apporte, après l'intervention des autres, son lot de complexité et sa strate supplémentaire de règles qui ne sont pas en pleine cohérence avec les autres. L'exemple le plus abouti de ce processus tient à la place croissante du juge et de la jurisprudence dans le droit du travail. 20% du code du travail est consacré à la jurisprudence. Or, la manière dont la jurisprudence intervient ne participe pas à la réduction d'une caractéristique essentielle du droit du travail  : son incertitude.

Dans une logique de pouvoir, chacun veut montrer sa présence. Le juge veut montrer qu'il apporte un plus par rapport au législateur et aux partenaires sociaux (et cela nous donne par exemple la jurisprudence sur les forfaits jours qui aboutit à un ensemble complexe). Le législateur veut montrer qu'il apporte un plus par rapport à la négociation collective (et cela nous donne par exemple des clauses obligatoires dans tous les sens, notamment dans les accords collectifs, qui en limitent la liberté d'action ou des obligations de négocier). Puis, les partenaires sociaux qui peuvent être conduits à négocier des clauses complexes dont on a beaucoup de mal ensuite à se défaire. Ce jeu d'acteurs a entretenu une machine à créer de la complexité qui s'est emballée.

Nous ne remettons pas en cause l'interdiction de travailler le dimanche en elle-même ; ce qu'on remet en cause c'est l'absence de révision d'une liste des dérogations qui est parfois incohérente. Par exemple, un salarié du culte de l'église catholique ne seraient pas dans la liste des dérogataires de plein droit, et donc serait interdit de travail le dimanche !

Vous proposez d'instaurer "une représentation des salariés élue en un seul tour au conseil d'administration de toutes les entreprises de plus de 50 salariés". Serait-ce une manière de contourner l'influence des syndicats auprès des entreprises ? (notamment d'alléger le code du travail sur la négociation collective qui infantilise, selon vous, le dialogue social).

Oui sans doute en partie, mais pas uniquement. Il faut replacer cette proposition dans un contexte plus large. La suppression du monopole de candidature des organisations syndicales au premier tour des élections de représentation du personnel serait une mauvaise idée, car elle favoriserait les syndicats les plus contestataires, en évinçant les syndicats les plus réformistes (que sont la CFTC et la CGC). Donc nous proposons au contraire de consolider la réforme de 2008 sur la représentativité, de moderniser les règles de représentation du personnel avec une instance unique. A côté de cela, il doit y avoir une véritable représentation des salariés au conseil d'administration qui elle, en revanche, peut être élue en un seul tour et pèserait au sein des instances de concertation.

Il faut pousser plus loin la logique de la loi du  20 août 2008, qui a réformé les règles de représentativité des organisations syndicales, en fondant celle-ci sur l'élection, pour effectivement favoriser le dialogue social. Nous ne sommes pas encore allés au bout de cette logique. Par exemple, nous préconisons de mesurer la représentativité de syndicats sur les suffrages inscrits et pas uniquement sur les suffrages exprimées. Nous proposons de limiter le cumul des mandats dans le temps de la part des représentants du personnel pour favoriser le va et vient entre la vie professionnelle et l'exercice de mandats.  Puis, nous proposons aussi de permettre à titre expérimental que des accords collectifs puissent réserver des avantages conventionnels aux seuls membres des organisations syndicales signataires, en favorisant ainsi le syndicalisme de service.

Vous préconisez de passer progressivement à une semaine de travail de 39 heures. Quel serait l'impact de cette mesure sur l'économie française, les entreprises et le pouvoir d'achat des salariés ?

Nous partons d'un constat objectif simple. Les salariés français à temps plein sont parmi ceux ayant une durée réelle de travail annuelle parmi les plus faibles d'Europe. Pour nous, cette situation n'est pas satisfaisante, car elle marque une distanciation par rapport à la valeur travail. Cela donne un impact culturel et sociétal négatif de la place du travail dans notre société. L'enjeu des politiques publiques est donc de favoriser un relèvement de la durée réellement travaillée par les salariés français à temps plein. Pour ce faire il est nécessaire de remonter la durée de référence au-delà de 35h, par exemple à 39h.

En revanche, il faut garantir que cela se traduise par un effet bénéfique en termes de pouvoir d'achat (et ne se traduise pas par une perte de revenu). L'impact d'une telle évolution serait positif, car en accroissant la quantité travaillée par les salariés français à temps plein cela renforcerait lien avec la valeur travail. Cela augmenterait la quantité de pouvoir d'achat et de distribution, et permettrait de mettre plus de carburant dans l'économie française.

Dans votre livre, vous formulez 72 propositions destinées à rénover le droit du travail. Selon vous, quelles devraient être les 4 transformations prioritaires à réaliser pour réformer le marché du travail ?

Instaurer un CDI conventionnel (proposition 11). C'est la proposition la plus importante de notre livre. Le constat c'est que notre marché du travail souffre de deux mots principaux : les freins à l'embauche qui se traduisent par une peur de s'engager durablement, nourrie par les incertitudes des règles sur la rupture du contrat de travail. Puis, le dualisme du marché du travail entre les CDD et les CDI.

Le constat est paradoxal. D'un côté, nous avons un cadre réglementaire sur les CDD parmi les plus rigides d'Europe et pourtant, 9 embauches sur 10 se font en CDD. Cela signifie que les entreprises préfèrent un contrat de travail très rigide et encadré, par peur de s'engager durablement sur une autre forme de contrat de travail qu'elles ne sont pas sûres de pouvoir rompre de manière sécurisée.

Ces maux dont souffre notre marché du travail appellent une réponse adaptée. Cette réponse doit s’inspirer de deux précédents qui ont bien fonctionné ces dernière années dans le marché du travail. D'une part, la rupture conventionnelle (300 000 par an), qui connaît un taux de contestation très faible (inférieur à 1%). Elle fonctionne bien car elle est simple : elle repose sur un accord contractuel entre les partis mais aussi sur un tiers garant qui apporte son homologation sur la base de critères de forme. D'autre part, les nouvelles règles sur les procédures de licenciements collectifs (PSE). Elles reposent sur des garanties de formes attestées par une homologation de l'administration, ce qui a permis de réduire le recours au contentieux en divisant par trois les contestations judiciaires…

Notre proposition est donc de permettre à l'employeur et au salarié, dans le cadre d'un CDI, de définir contractuellement des situations permettant la rupture du contrat de travail. Par exemple, le retour d'une personne malade, la fin d'un pic d'activité, d'un projet, la baisse quantitative du chiffre d'affaires etc. Avec cette proposition, l'employeur et le salarié se mettent d'accord sur une ou plusieurs situations qui pourraient justifier une rupture du contrat de travail. Les parties concernées auraient ensuite la possibilité de faire homologuer la clause par l'administration. Cette administration ne vérifierait pas le contenu de la clause mais le respect d'un formalisme (temps de réflexion suffisant, minimum de documentation sur la clause en question etc.) comme pour la rupture conventionnelle.

Un licenciement doit être fondé sur une cause réelle et sérieuse. Le juge vérifiera toujours la réalité des événements mis en avant. En revanche, le caractère sérieux de la rupture fondée sur une telle clause serait présumé (il faudrait donc que le demandeur établisse que la rupture ne repose pas sur une cause sérieuse). On ne propose pas un contrat de travail unique qui se heurterait à d’autres obstacles notamment plusieurs textes internationaux, mais un CDI qui permettrait de pourvoir à des besoins auxquels ne peuvent répondre aujourd'hui que les CDD. Notre idée est d'apporter de la sécurité et de réduire le dualisme du marché du travail réduisant ainsi le recours au CDD.

La deuxième proposition consiste à transformer la répartition des domaines entre la négociation collective et la loi (Proposition 1 de notre livre). L'idée est d'accroître substantiellement la place, l'espace de la négociation collective, qui dans un nombre beaucoup plus important de situations deviendrait le moyen privilégié de fixer la règle, la loi ne venant qu'en dernier ressort (si la négociation collective n'a pas fixé les règles).

La troisième proposition concerne le temps de travail (que je vous ai citée plus haut).

Enfin la quatrième proposition est la modernisation de la représentation du personnel, en proposant la fusion des instances de représentation du personnel. Notre idée, c'est de remplacer le comité d'entreprise, les délégués du personnel, les CHSCT, par une instance unique dans toute entreprise quelle que soit sa taille au-dessus de 50 salariés. On pourrait aussi rehausser le seuil de 11 pour les élections de délégués du personnel et le porter à 20.

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