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Sécurité des Fan Zones : le pari risqué du gouvernement après des promesses de créations de postes de policiers supplémentaires non tenues
©Reuters

Et ils sont où les policiers ?

Dans le contexte actuel d'état d'urgence et de menace terroriste extrême, les Fan Zones constituent un véritable danger, tant les moyens policiers et sécuritaires alloués à ces espèces sont insuffisants.

Guillaume Jeanson

Guillaume Jeanson

Maître Guillaume Jeanson est avocat au Barreau de Paris. 

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Atlantico : Depuis l'Euro 2008 sont apparues dans les villes ce qu'on appelle les Fan Zones. En quoi consistent-elles exactement ? Comment la sécurité de ces espaces a-t-elle été envisagée initialement ?

Guillaume Jeanson : Les fans zones sont des lieux de retransmission des matchs sur écrans géants qui ont vocation à ouvrir dans chaque ville hôte de la compétition (Paris, St-Denis, Marseille, Lyon, Bordeaux, Nice, Lille, Lens, Toulouse et Saint-Étienne) pour permettre aux spectateurs dépourvus de billets de se réunir afin de suivre l’Euro 2016. Ouvertes les jours de matches, l’entrée y est gratuite, leur accessibilité prévue trois heures avant le début de la première rencontre de la journée et des animations ainsi que des stands de restauration y sont prévus. Ces animations, de même que leur organisation, leur taille et l’importance de leur sécurité, diffèrent d’une fan zone à l’autre. Celle de Paris, positionnée sur le Champ de Mars, attend 92 000 personnes, compte 16 points de pré-filtrages et 6 entrées, mais seulement 400 agents de sécurité.  Elle diffusera ses matches sur le plus grand écran géant jamais conçu : un écran d’une taille de 420 m².  Celle de Marseille attend sur les plages du Prado près de 80 000 personnes, sera scindée en deux parties, comprenant chacune son écran géant, afin de séparer les supporters d’équipes adverses. Celle de Nice, qui attend 10 000 personnes au Jardin Albert 1er, est d’ores et déjà présentée comme celle assurant la sécurité la plus renforcée. Avec 124 agents sécurité, elle présente en effet un taux d’encadrement de 1,2 % - soit un taux supérieur aux recommandations de l’Etat qui s’élèvent à 1%. C’est en outre la seule fan zone de France à installer des portiques de détection des métaux.  Elle en comptera 17.  Cette municipalité, qui souhaitait encore davantage renforcer sa sécurité, s’est cependant vue refuser par l’Etat l’expérimentation d’un système novateur de reconnaissance faciale qui aurait pu reposer sur les photos de personnes recherchées issues des différents fichiers. En dépit de ces nombreuses disparités, certaines mesures de sécurité demeurent néanmoins communes à l’ensemble des fans zones : palpation systématique du public à l’entrée, interdiction des sacs de voyage, vidéo-protection, création d’une cellule d’analyse des risques regroupant des représentants de toutes les directions de la police nationale fonctionnant 24/24h pour fournir un état des menaces et produisant, chaque jour, ville par ville et match par match, un état des risques. La menace terroriste prégnante que fait peser Daech sur notre pays a conduit à un renforcement de la protection de ces fan-zones. Le coût de leur protection a donc doublé en passant de 12 à 24 millions d’euros, notamment pour rémunérer les agents de sécurité privée.

Lors du Congrès de Versailles après les attentats de novembre 2015, François Hollande affirmait avoir créé au cours de son mandant près de 9 000 postes supplémentaires de gendarmes et policiers, tandis que le gouvernement annonçait dans la foulée la création de postes supplémentaires (plan anti-terroriste). Où en est-on précisément ? Le dispositif policier existant est-il suffisant pour garantir la sécurité de l'ensemble des Fan Zones ?

Vous avez raison, François Hollande revendiquait à Versailles la création, au cours de son mandat, de près de 9000 postes supplémentaires de gendarmes et de policiers. Comme j’ai eu l’occasion de l’écrire récemment, il est cependant permis d’en douter très sérieusement. Vos confrères du Figaro ont à cet égard souligné qu’il ressortait du Rapport annuel annexé au projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes pour 2015 ainsi que de la note d’analyse sur l’exécution budgétaire 2015 de la Cour des Comptes, que seuls 390 emplois supplémentaires ont été créés au total pour les missions police et gendarmerie du ministère de l’Intérieur depuis 2012. Le député LR Olivier Marleix n’a d’ailleurs pas hésité à parler de "milliers d’emplois fantômes", tout en reconnaissant une accélération des recrutements depuis les attentats. Le problème étant ici en partie imputable à une pyramide des âges défavorables pour les effectifs. Car là où il était question dans le plan anti-terroriste "de créer 400 emplois dans la police et 100 dans la gendarmerie dès 2015 (…), cet effort a été annihilé par près de 400 départs à la retraite non prévus dans la seule gendarmerie."  Si face à cette difficulté, l’adoption d’une loi de finance pourrait tenter, même de manière incertaine, de corriger le tir, la problématique reste toutefois entière pour la sécurité de l’Euro 2016. Pour cet événement, 45 000 policiers et 30 000 gendarmes ont été mobilisés pour assurer la sécurité des millions de supporters sur l’ensemble du territoire. Mais, il est difficile d’oublier les propos récents tenus par le préfet de police de Paris, Michel Cadot, quant à l’importance de la menace terroriste et "l’état d’épuisement" actuel des forces de l’ordre, que les derniers soubresauts sociaux enflammant notre pays n’ont guère épargnés. La sécurité privée va donc hélas servir de "variable d’ajustement" : les policiers et les gendarmes assureront la sécurité autours des fans-zones, alors que les agents de sécurité l’assureront à l’intérieur. Cette solution en laisse pantois plus d’un. Entendons-nous bien, il est incontestable que certaines personnes ont honoré cette profession d’actes de bravoures en aidant, parfois au péril de leur vie, des centaines d’otages du Bataclan à prendre la fuite et en interdisant à certains djihadistes l’accès du stade de France, le soir d’un certain 13 novembre... Il n’est pas, toutefois, non plus contestable qu’un agent de sécurité ne bénéficie nie de la formation, ni de l’armement, ni même des prérogatives d’un gendarme ou d’un policier. La réglementation actuelle lui interdit notamment de plonger les mains dans les sacs qu’il doit inspecter, de disposer d’une arme ou même d’emmener une personne suspecte dans un local de sécurité, le temps que la police arrive. Sa formation ne comprend, quant à elle, aucun module spécifique de sensibilisation au risque terroriste. Olivier Duran, porte-parole du Snes, le syndicat national des entreprises de sécurité, a d’ailleurs déclaré avec lucidité dans les médias qu’ils "ne remplace(ront) jamais les forces de l’ordre (…)". Le criminologue Alain Bauer, président du Conseil national des activités privées de sécurité, a quant à lui souligné que la mission des agents de sécurité privée est avant tout celle de "casque bleu sportif" destiné à "faire un travail d’interposition" mais "pas de contre-terrorisme". Plus inquiétant encore, les sessions de formation de ces professionnels se terminant fin mai, certains agents effectueront avec l’Euro leurs débuts dans cette profession. Or, ce sont justement ces agents là que l’on retrouvera en priorité dans les fans-zones, car c’est là que les entreprises ont du mal à recruter. Elvis Azuelos, le secrétaire général adjoint de Sud sécurité, l’annonce on ne peut plus clairement : "la plupart des agents ne veulent pas y mettre les pieds, ils les jugent trop dangereuses. Du coup, on recrute des gens sans expérience."

Face au niveau de menace terroriste extrême qui pèse sur l'Euro 2016 - et sur ces Fan Zones en particulier - et alors que nous sommes toujours sous le régime de l'état d'urgence, ne devrait-on pas remettre en question l'existence même de ces Fan Zones ? Pourquoi le gouvernement a-t-il pris un tel risque politique au regard de la situation (sous-effectifs policiers pour garantir la sécurité et menace terroriste extrême) ?

A l’étranger, le ministère britannique des affaires étrangères a mis en garde ses ressortissants contre le risque d’attaque terroriste pendant la compétition. L’ancien patron du contre-terrorisme de Scotland Yard a aussi estimé que "la menace terroriste qui pèse sur l’Euro 2016 de football est plus aigüe qu’elle ne fut pour n’importe quel événement sportif de l’histoire". Le département d’État américain a fait également part de son inquiétude en déclarant que "les fans zones et les sites non officiels qui retransmettent le tournoi en France (…) représentent des cibles potentielles pour les terroristes." En France, François Hollande a lui-même admis sur France Inter l’existence d’une menace contre la sécurité de l’Euro 2016. La DGSI a découvert près de 82 personnes fichées S parmi les intervenants dans l’organisation de l’Euro et Bernard Cazeneuve a indiqué que 5000 personnes avaient été signalées par leur entourage sur la plate-forme de prévention de la radicalisation du ministère de l’intérieur depuis son ouverture. La menace terroriste est donc difficilement contestable sur notre territoire. Elle n’exclut pas cependant le jeu politique. Les fans zones constituent des lieux de rassemblement qui posent légitimement la question de la sécurité des gens qui s’y retrouvent. Il est déjà communément admis que, hors périodes d'attentats, les grands rassemblements sont accidentogènes et imposent des conditions de sécurité élevées afin de prévenir les mouvements de foules et autres débordements. La menace d'attentats actuelle augmente donc encore considérablement ces craintes. Vous évoquez à juste titre l’état d’urgence, mais force est de constater que ce dernier n’a pas empêché la France de connaître ces dernières semaines de nombreux rassemblements contestataires avec son lot d’échauffourées et de blessés. Est donc ici en cause peut-être moins la question de l’état d’urgence que celle de la pratique qui en est faite par le pouvoir en place. Sans nier la menace terroriste actuelle, il semble parfois que, de part et d’autre de l’échiquier, la question de l’état d’urgence, comme celle de la fermeture des fans-zones d’ailleurs, réponde davantage au souci de disposer d’une tribune politique là où l’accent devrait en priorité être mis sur ce qui favorise réellement la sécurité des français. La question est toutefois loin d’être évidente. Il était, rappelez-vous, tout aussi irresponsable de maintenir la COP 21 et de célébrer les fêtes des Noël selon certains observateurs. Certes, l'Euro et les Fan Zones constituerait un symbole de poids pour les terroristes, mais il ne faut pas oublier que ces derniers peuvent tout aussi bien choisir d’autres cibles, telles que des centres commerciaux, des hôpitaux, des transports, des lieux de culte, des salles de spectacles, et autant d'autres endroits où la vigilance sera moindre pendant un mois. Se pose alors, en miroir à la nécessaire sécurisation des fans-zones, la question de la non-affectation des forces de sécurité concentrées sur ces zones, sur d’autres points sensibles du territoire. Avec ou sans ces fans-zones, une chose est certaine : à l’heure actuelle, avec une telle pénurie, nous ne pouvons pas nous estimer en sécurité dans notre pays.

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