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La Roumanie et la Pologne à la portée d’une attaque russe : ce bluff de Vladimir Poutine qui vise davantage Washington que l’Europe de l’Est
©Reuters

Pression russe

En réponse au déploiement de nouveaux matériels en Europe, le chef du Kremlin a déclaré que cela mettrait les dits pays dans la ligne de mire de Moscou... Mais ceux qu'il vise peuvent compter sur de puissants alliés.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Atlantico : En déplacement vendredi dernier en Grèce, Vladimir Poutine a réaffirmé son opposition à l'installation de composants du bouclier antimissiles en Pologne et en Roumanie. Si ces derniers venaient à les abriter, ils se mettraient automatiquement dans la "ligne de mire" de Moscou. Comment évaluer la réponse du chef du Kremlin ? De quelle nature la menace est-elle ?

Cyrille Bret : Le bouclier anti-missile de l’OTAN est considéré par Moscou comme une brèche dans les capacités de dissuasion russe depuis une décennie. Lancé dès les années 1990, il est entériné par l’OTAN en 2004 lors du sommet d’Istanbul. Pour l’administration Bush, il s’agit de compléter en Europe le dispositif de défense anti-missile du territoire national. A l’époque, les menaces les plus pressantes sont au Moyen-Orient (au premier chef l'Iran en cours de nucléarisation), en Afpak récemment occupé pour lutter contre Al-Qaida  et en Asie du Nord (Corée du Nord et Chine). Le projet prospère et, en 2007, les Etats-Unis annoncent qu’ils mènent une série de discussions avec la Pologne et la République chèque pour implanter des systèmes de détections et d’interception en Europe orientale. Même si la menace russe n’est pas mentionnée, les pouvoirs publics de Russie protestent depuis le début du projet : ce bouclier anti-missile accompagne l’élargissement de l’Alliance atlantique sur les terres anciennement du Pacte de Varsovie. Les deux grandes vagues d’élargissement de 1999 et 2004 font en effet basculer l’immense majorité des Républiques populaires (Pologne, Hongrie, Tchékhie) et même d’anciennes républiques soviétiques (Etats baltes) du système d’alliance russe au système d’alliance américain. Après avoir annoncé qu’il mettait un point d’arrêt à ce projet, le président Obama poursuit ce projet. La Russie se considère aujourd’hui comme faisant l’objet d’un encerclement par l’OTAN en Europe mais aussi en Asie centrale.

La réaction russe est à la mesure de cette fièvre obsidionale : l’inauguration de la base américaine du système anti-missiles AEGIS en Roumanie, à Deveselu est le signe, pour les autorités russes que la neutralisation de ses capacités de frappe en Europe est toujours en cours. La réaction russe prendra des formes assez aisément identifiables : la stratégie nationale russe comprendra les pays abritant les éléments de ce systèmes dans son doctrine, la Russie prendra des mesures diplomatiques de rétorsion, etc. Mais surtout elle fera monter en puissance ses équipements en Europe, comme les missiles Iskander à Kaliningrad ainsi que ses moyens de guerre électronique. Au début du processus, Vladimir Poutine avait mis en garde : ce système poussera à une nouvelle course aux armements en Europe.

On se souvient de l'attaque de l'Ukraine et de la Géorgie en 2014 et 2008... Que risquent concrètement la Pologne et la Roumanie ? Ces derniers peuvent-ils bénéficier de défenses militaires et diplomatiques suffisantes ?

La Pologne et la Roumanie sont placées sous la protection du Traité fondateur de l’OTAN, le traité de Washington, et de la clause d’assurance mutuelle de l’article 5 : toute attaque contre un allié est une attaque contre toute l’alliance. Elles ont surtout reçu ces troupes américaines et des forces de la part des alliés. La comparaison avec la guerre en Géorgie et en Ukraine n’est pas raison. Ces pays ne sont (plus) limitrophes de la Russie; de plus elles n’abritent pas de populations russophones ou de minorités revendiquant la protection de Moscou de sorte que les opérations au sol n’auraient pas de sens. En revanche, la Russie déploie depuis 2009 et le plan de modernisation des forces armées, de nouvelles capacités pour observer, brouiller, gêner ou encore contrer les capacités militaires dans l’OTAN en Baltique, en Europe centrale et orientale ainsi que dans la Mer Noire. En un mot, ces pays se trouvent aujourd’hui dans une situation plutôt comparable à celle de l’Allemagne fédérale durant la Guerre Froide : la menace est proche mais les alliés sont puissants.

Les Européens doivent aujourd’hui, face aux tensions avec la Russie, moins rechercher l’appui américain que de développer leurs propres mécanismes de sécurité et de soutien politico-militaire. Les intérêts américains en Europe peuvent ne pas toujours être alignés avec ceux des Etats européens comme le souligne la question des sanctions : celles-ci sont bien plus légères à l’économie américaine qu’à l’économie européenne. De plus, le souci de cohésion européenne est secondaire pour les Américains.

Rapprochement entre la Suède et l'OTAN, contexte international tendu... Dans quel contexte géopolitique, agendas diplomatiques le bouclier anti-missile se trouve-t-il aujourd'hui ?

Le Parlement suédois vient en effet de ratifier l’accord de Pays Hote pour l’OTAN, facilitant ainsi le transits des troupes de l’Alliance ou encore les exercices communs. En revanche, la Finlande, elle, au contact direct de la Russie avec laquelle est partage plus de 1000 km de frontière, est plus modérée. La Russie est aujourd’hui en Europe dans une position peu favorable : crainte dans la Baltique, épaulée mais redoutée en Europe centrale, elle est considérée à l’Ouest comme une véritable rivale potentiellement dangereuse pour la cohésion de l’Union européenne. Le déploiement du système anti-missile en Roumanie et, dans quelque temps, en Pologne ne peut que durcir encore les relations.

Le début de l’été sera sans doute une source de tension renouvelée entre la Russie et l’OTAN : les exercices annuels de l’OTAN dans la Baltique (BALLOTS) auront lieu mi-juin. Ils donnent traditionnellement lieu à des incidents (survols intempestifs, attaques cyber, etc.) entre la Russie et l’OTAN. De plus, le somme de l’OTAN aura lieu le 8 juillet à Varsovie : le choix du lieu est à lui seul son programme : il s’agit de manifester aux alliés le soutien américain en Europe. Enfin, l’Union européenne examinera en juillet la reconduction ou le démantèlement des sanctions économiques contre la Russie. Cela donnera lieu à d’intenses discussion sur les responsabilités des Ukrainiens et des Russes dans les lacunes de la réalisation de l’Accord de Minsk. Le contexte géopolitique en Europe n’est sans doute pas orienté favorablement.

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