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Comment le général Piquemal, soupçonné d’être l’organisateur "de fait" d’une manifestation interdite à Calais, a finalement été le seul relaxé sur 4 personnes interpellées
©Reuters

L’honneur est sauf

Alors que le général Piquemal, ancien patron de la Légion étrangère, avait défrayé la chronique en février dernier pour avoir participé à une manifestation interdite contre l'accueil de migrants à Calais, celui-ci a finalement été relaxé. Son avocat explique pourquoi.

Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Ce jeudi, le tribunal de Boulogne-sur-mer rendait sa décision dans l'affaire concernant la participation du général Piquemal, ancien patron de la Légion étrangère, à une manifestation hostile à la présence de migrants et interdite par la préfecture qui avait eu lieu à Calais le 6 février dernier et dont il était soupçonné d'être l'organisateur "de fait". Les juges n'ont-ils donc finalement pas retenu cet élément ? Sur quelles bases l'ont-ils écarté ?

Gérald Pandelon : Tout d'abord, je souhaiterais faire observer que si cette manifestation a été déclarée illégale par Madame le Préfet, il ne s'ensuit pas que cet arrêté n'ait pas été entaché d'irrégularités. En effet, la seule insertion d'un arrêté préfectoral au recueil des actes administratifs du département n'établit pas que cet acte a été régulièrement porté à la connaissance des manifestants. En l’espèce, les officiers de police judiciaire ont cru pouvoir se prévaloir d’un procès-verbal d’affichage de cet arrêté concocté manifestement pour les besoins de la procédure. De surcroît, cet acte administratif aurait dû être affiché dans trois endroits différents et notifié aux signataires de la déclaration, ce qui n'est pas ressorti de l’enquête. L’autorité administrative n’a donc, à mon sens, pas respecté les règles de forme s’agissant de la publication, même si cet arrêté préfectoral a servi de fondement aux poursuites pénales qui ont été diligentées par le parquet. 

En toutes hypothèses, il n'a pas été démontré par le ministère public sur ce premier point que M. Piquemal aurait nécessairement eu connaissance du caractère illégal attaché à cet acte.

Ensuite, sur le fond, il résulte d’une jurisprudence constante de la Chambre criminelle de la Cour de cassation que l'organisation d'une manifestation au sens du décret du 23 octobre 1935 découle du rôle prépondérant de l'auteur, tant dans le déroulement de la réunion, que dans son organisation et sa participation (Cass crim, 23 février 1954 Bull crim n°85 ). Or, la jurisprudence a pu dégager trois critères cumulatifs afin de définir le rôle d'organisateur, d'abord, dans le déroulement, ensuite, dans la participation, enfin. 

En l'espèce, le tribunal correctionnel de Boulogne a estimé que si effectivement M. Piquemal avait bel et bien participé à la manifestation illicite, les services de police n'avaient toutefois pas réussi à en démontrer le rôle prépondérant ni dans le déroulement ni dans l'organisation. Je rajoute, par ailleurs, que la déclaration de manifestation de l'association Pegida France du 23 janvier 2016 reçue en sous-préfecture de Calais le 28 janvier 2016 ne mentionnait à aucun moment le dénommé Christian Piquemal, contrairement aux trois autres co-organisateurs de la manifestation. 

Au plus fort, et d'une façon assez surprenante, aucune confrontation n'a eu lieu entre lesdits protagonistes afin d'établir le rôle exact qu'aurait pu avoir l'intéressé dans les faits qui lui étaient reprochés ; ce faisant, il a été logiquement renvoyé des fins de la poursuite. 

Le fait que le procureur lui-même ait affirmé le 12 mai tenir compte du "glorieux passé" du général et du fait qu'il "ne voulait pas de violences ni de débordements" a-t-il joué en sa faveur ? Qu'ont pesé ces éléments dans la décision du tribunal ?

C'est ce qui peut expliquer en partie le caractère relativement modéré des réquisitions de M. le procureur de la République, même si, à mon humble avis, des réquisitions du ministère public apparaissent toujours sévères et injustes pour des personnes effectivement innocentes des faits qui leur sont reprochés.

En réalité, M. Piquemal a tout simplement été relaxé car, sur un plan strictement juridique, rien ne pouvait lui être reproché, sauf à admettre, ce qui serait dommage car seule la France serait concernée, que l'attachement immodéré à son pays constitue en soi une infraction pénale. En effet, le 6 février 2016, date des faits, trois sommations ont été ordonnées par les forces de l'ordre pour faire cesser la manifestation ; or, ce n'est qu'à la troisième (et dernière) que M. Piquemal sera interpelé. Pourtant, il a été démontré que l'intéressé n'avait pas pu entendre les deux premières sommations car il se trouvait à l'intérieur d'une brasserie. Il s'ensuit que lorsque l'intéressé entendra la dernière sommation (pour lui la première), il quittera immédiatement les lieux. Je rajoute que l'article R.211-11 al.2 du code de la sécurité intérieure dispose : "si l'utilisation du haut-parleur est impossible ou manifestement inopérante, chaque annonce ou sommation peut être remplacée ou complétée par le lancement d'une fusée rouge".

En l'espèce, cet article n'a pas été mis en œuvre par les services de police bien que les première et seconde sommations n'aient pas été suivies d'effet. On ne saurait alors reprocher à M. Piquemal d'avoir entendu des sommations auxquelles il ne se serait pas soumises puisque tous les moyens n'ont pas été mis en œuvre par la suite par les forces de l'ordre afin que les sommations suivantes soient clairement perçues. D'ailleurs, les textes prévoient qu'il faille continuer volontairement à participer à l'attroupement pour que l'élément intentionnel de l'infraction soit caractérisé et le délit réuni. Or, M. Piquemal s'y est immédiatement soumis puisque l'intéressé quittait le rassemblement quand il fut interpellé. Il n'avait par conséquent aucunement l'intention de demeurer dans le cortège. 

Enfin, je déplore que mon client, âgé de 75 ans, ait été interpelé manu militari alors que le recours à la force n'était ni nécessaire, ni proportionné.

Pourquoi, contrairement au général Piquemal, trois autres manifestants interpellés comme lui le 6 février à Calais ont-ils été condamnés à des amendes de 400 euros chacun ? N'y a-t-il pas là une forme d'injustice, même au regard des faits d'armes passés de votre client ?

Il existerait une injustice si les faits reprochés à ces trois manifestants étaient strictement et en tous points identiques à ceux qui ont motivé les poursuites à l'encontre de mon client. En effet, il est assez fréquent que des dossiers assez similaires en apparence révèlent une hiérarchie des responsabilités et des implications fort différentes. Et à une échelle de responsabilités correspond une échelle de sanctions pénales. Mais je ne me prononcerai pas concernant ces trois personnes condamnées car je n'ai pas eu accès à leurs dossiers.

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