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Expatriation ou émigration ? L’angle mort du débat national français
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Grosse fuite

Alors que la question migratoire se focalise souvent sur l'immigration dans le débat public français, un autre phénomène est tout aussi préoccupant pour la société française : l'émigration de ses travailleurs, qui partent en nombre pour voir si l'herbe n'est pas plus verte ailleurs.

Julien Gonzalez

Julien Gonzalez

Julien Gonzalez est l'auteur pour le think tank Fondapol de "Trop d’émigrés ? Regards sur ceux qui partent de France" où il s'intéresse aux raisons et aux coûts de l'émigration des Français.

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Joëlle Garriaud-Maylam

Joëlle Garriaud-Maylam

Sénatrice des Français établis hors de France, Joëlle Garriaud-Maylam est également secrétaire de la Commission des Affaires étrangères et de la Défense et vice-présidente de la Délégation aux Droits des Femmes et à l'égalité des chances entre femmes et hommes.

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Environ 2,5 millions de nos compatriotes vivent actuellement à l’étranger, effectif en augmentation nette et constante depuis le début des années 2000. Annuellement, près de 300 000 personnes quittent le territoire national, soit plus que la population de la ville de Nantes, ce qui est considérable. Mais une simple lecture statistique ne permet pas de prendre toute la mesure des enjeux en présence. Comment, dès lors, les interpréter ?

En premier lieu, la mondialisation et la construction européenne apparaissent naturellement comme des facteurs explicatifs, l’intensification des échanges économiques et culturels entre les nations offrant des opportunités évidentes pour nos concitoyens. 80% des personnes nées en France et partant à l’étranger ont entre 18 et 29 ans ; on les a surnommées la "génération Erasmus". Cette mobilité est à encourager ; nous parlons ici d’expatriation "heureuse" reflétant une réalité rassurante, peu sujette aux débats, bien qu’elle tende à s’enraciner dans la terre d’accueil, par le biais d’unions binationales et biculturelles. Une réalité, certes, mais partielle.

Partielle, car elle occulte un autre aspect, absent des radars médiatiques jusqu’alors : l’émigration, c'est-à-dire le choix d’individus se "déplaçant vers un autre pays […] aux fins d’améliorer leurs conditions matérielles et sociales, leurs perspectives d’avenir ou celles de leur famille", selon la définition de l’Organisation internationale pour les migrations. L’OCDE parle de pays "qui pourraient devoir gérer l'émigration tout autant que l'immigration" ; aux traditionnels flux migratoires des pays du sud en développement vers les pays industrialisés du nord s'ajoutent ainsi des mouvements au sein même des pays de l'OCDE, voire à destination des pays émergents. La France est en la matière éminemment concernée, même si beaucoup d’analystes refusent encore ce terme entaché de connotations sociales négatives, l’Hexagone s’étant toujours considéré comme un pays de cocagne et une terre d’immigration.

L’on pourrait se réjouir de voir ainsi autant d’ambassadeurs de notre politique d’influence porter haut les couleurs de la France hors de nos frontières. Mais une analyse plus fine de cette population laisse apparaître quelques sujets d’inquiétudes ; l’époque des expatriés quittant temporairement le pays avec un contrat de détachement en or est bel et bien révolue. De plus en plus de Français partent à l’étranger davantage par contrainte – ou par la perception d’une contrainte – que par choix, faute d’opportunités professionnelles en France. Il s’agit là d’une émigration "désabusée", celle de ces jeunes diplômés quittant notre pays pour voir si l’herbe n’est pas plus verte ailleurs, et sans grande envie de retour ; ils étaient ainsi 29% à déclarer vouloir partir pour toute la durée de leur carrière dans le dernier baromètre IFOP-Deloitte.

Parallèlement, on observe une émigration patrimoniale liée à la pression fiscale sur les hauts revenus. Le nombre de départs de contribuables déclarant plus de 300 000 euros annuels a ainsi augmenté de 46% entre 2012 et 2013. Sur les quinze dernières années, la France est le pays qui a perdu le plus de millionnaires au monde au regard de sa population, entraînant ainsi une perte sèche de précieuses ressources.

Comment ne pas s’alarmer également d’avoir un solde migratoire négatif sur les déposants de brevets avec l’Allemagne, la Belgique, le Canada, les États-Unis, le Japon, le Royaume-Uni et la Suisse depuis les années 1990, comme nous l’apprend l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle ? Non, cette émigration économique n’est certainement pas une chance pour la France. La perte d’un million d’emplois en vingt ans du fait de l’exode de nos entrepreneurs, comme l’indique la Fondation Concorde, en atteste. Un exemple frappant est aussi la mutation des expatriations réciproques entre la France et la Grande-Bretagne, les Britanniques venant souvent s’installer en France au moment de la retraite, pour y acheter des résidences secondaires bon marché et profiter d’un système généreux de protection sociale, l’expatriation française vers le Royaume-Uni étant devenue, elle, une expatriation de travailleurs très jeunes et très diplômés.

Jeune, diplômé, avec un bon niveau de salaire : le portrait-robot du Français émigré colle avec celui du "travailleur du savoir" qu’évoque l’OCDE. Face à des enjeux pourtant majeurs, les débats actuels ne nous offrent qu’un stérile affrontement entre l’optimisme béat de la gauche – "l’expatriation est une chance pour la France", axiome vrai il y a quelques décennies, quand nous souffrions d’une présence insuffisante à l’étranger face à celle de nos principaux concurrents et que nous nous appliquions à la développer – et un certain catastrophisme à droite qui dénonce un nouveau "brain drain".

Difficile, dans ces conditions, de prendre pleinement la mesure de l’émigration française et de ses effets à moyen et long termes sur l’économie et l’architecture sociale de notre pays. Se priver de s’en inquiéter serait pourtant un luxe que la situation actuelle ne permet pas.

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