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Pas la Corée du nord, mais presque : pour les investisseurs étrangers, la France c’est le pays des 35 heures, des impôts à 75% et maintenant du blocage des hauts salaires…
©Reuters

L'Edito de Jean-Marc Sylvestre

François Hollande et Manuel Valls veulent une loi pour règlementer et plafonner le salaire des PDG français.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Ça promet. Dans la chaleur d'une campagne présidentielle qui n'a pourtant pas encore démarré François Hollande et Manuel Valls se déclarent favorables à une loi qui rendrait les recommandations faites en assemblée générale d'actionnaires, contraignantes (c'est à dire obligatoires) sur la question des salaires des PDG.

Cet amendement est né sur le Front de gauche, les députés socialistes se sont rangés derrière, le Président et son Premier ministre ont enfourché ce cheval, flairant le bon moyen de raccommoder une majorité fracassée. 

Opération purement politique. On ne manquera pas de remarquer la sollicitude dont fait preuve l'extrême gauche à l'égard des actionnaires. Entendre Jean-Luc Mélenchon défendre ainsi le cœur du pouvoir capitaliste, on rêve, mais passons, tout arrive. 

Dans la foulée et comme la démagogique n'a pas de limites en période pré-électorale, une quarantaine de personnalités et d'experts viennent de signer une pétition pour demander de plafonner le salaire des PDG du Cac 40 à 100 fois le Smic soit environ 1,4 millions d'euros. Les signataires sont donc de gauche. Puisque la critique des salaires est un marqueur de gauche. 

Faut être au "Front de gauche" pour se payer le luxe de réclamer une protection des actionnaires du grand capital. 

Ce débat est complétement surréaliste, il est aussi ravageur pour l'image internationale de la France dont les facteurs d'attractivité ne sont pas si nombreux. 

D'ailleurs, le ministre qui a lancé ce débat le premier fait désormais machine arrière. Emmanuel Macron a ouvert cette boite de pandore (pour qui, pour quoi, sinon faire le malin dans sa famille) en critiquant le salaire de Carlos Tavares, le président de Peugeot. Puis il a allumé une querelle avec le président de Renault, Carlos Ghosn, pour reconnaitre en fin de compte qu'il ne pouvait pas faire grand-chose. 

Maintenant qu'il a mis le feu à la plaine du Cac 40, il s'oppose à titre personnel à un projet de loi réglementant le système et s'oppose encore plus à la mise en place d'un plafond. Il se retrouve en désaccord avec le Président de la République et le Premier ministre. Quel désordre ! 

Macron pyromane cherche désormais des pompiers pour étouffer le débat. 

Alors, le Medef et l'Afep ont bien reconnu hier qu'il y avait parfois des situations difficiles à expliquer, des montants de rémunérations qui créent une certaine émotion, ils ont durci leur recommandation de surveillance en insistant sur la capacité des actionnaires à émettre un avis, ils ont précisé que les conseils d'administration devaient tenir compte de cet avis, mais ils ont laissé la décision finale au conseil. 

Quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, la classe politique s'est emparée du projet et la loi sera discutée la semaine prochaine.

Sans préjugé du résultat, ce débat et la discussion parlementaires vont avoir des effets désastreux. 

1e point : une législation sur les hauts salaires ne serait sans doute pas inutile mais tout dépend de son contenu. Il est vrai que la morale des affaires ne recoupe pas toujours la morale de l'opinion publique. Or l'entreprise a besoin de faire accepter par l'écosystème sa réalité, ses produits, ses projets et ses rémunérations. Donc une surveillance des hauts salaires n'est pas inutile si les hauts salaires sont mal acceptés par l'opinion. 

Ce type de surveillance existe d'ailleurs dans tous les pays capitalistes. Aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne mais pas de façon coercitive. 

S'il s'agit de rendre contraignantes les décisions d'assemblées d'actionnaires, on va enlever au conseil d'administration une partie de son pouvoir stratégique. Comment embaucher un talent international dont le prix s'explique par sa capacité à générer une performance ? Comment développer une stratégie de conquête qui doit rester secrète ? Comment s'assurer que l'assemblée d'actionnaire n'aura pas été manipulée, par des éléments extérieurs ou même par l'interne ? La démagogie chez les actionnaires, ça existe aussi comme sur le marché des électeurs. 

On est là, au cœur de la gouvernance de l'entreprise. Les actionnaires sont propriétaires de l'entreprise, ils donnent un mandat aux dirigeants, lesquels ont une obligation de résultats.

2e point :  La loi peut améliorer l'information aux actionnaires, obliger les conseils d'administrations à produire toutes les explications, les chiffres et les faits pour justifier leurs décisions, mais le CA comme les dirigeants ont une obligation de résultats et d'explications. C'est à dire qu'ils doivent délivrer ce qu'ils ont promis. C'est la raison pour laquelle le Medef et surtout l'AFEP laissent au conseil d'administration le droit exceptionnel de ne pas suivre les actionnaires. 

3e point : Dans la réalité, le fonctionnement du capitalisme donne la décision finale aux actionnaires.  Il y a très peu d'exemple de conseil d'administration ou de présidents d'entreprise qui ont bravé une décision des actionnaires. Un PDG ne peut pas se maintenir très longtemps à la tête d'une entreprise contre l'avis de ses actionnaires. Ça n'existe pas. 

Ce qui existe, en revanche, ce sont des PDG qui prennent des décisions pour satisfaire des intérêts à court terme de leurs actionnaires et de cette façon rester en poste. Alors que la décision de court terme est préjudiciable au long terme.  

Si les actionnaires, les fonds de retraites par exemple, demandent avec insistance une augmentation des dividendes par action, les PDG obtempèrent. Ils font en sorte d'augmenter les dividendes par actions et du coup ils limitent leur capacité de financement, leurs investissements. Ils sacrifient l'intérêt à moyen terme à l'exigence de retour à court terme.

Par ailleurs, ils peuvent aussi, si le dividende est trop mince, faire racheter des actions par l'entreprise. Une façon efficace de majorer le ratio. On connaît même des entreprises du CAC 40 qui, par les temps qui courent s'endettent pour racheter leurs actions et augmenter le ratio. Les actionnaires sont contents. Mais l'entreprise perd de sa valeur à terme. 

Les propos du Front de gauche en viennent à favoriser ce capitalisme brutal. Alors qu'au bout du compte, les victimes se sont les salariés. 

Les cas qui ont mis le feu au débat sont, certes, parfois extravagants. Mais chez les deux industriels de l'automobile, il est évident que les managements n'ont pas assez expliqué le contexte et les conditions de leur rémunération. 

Ajoutons que dans le cas de Renault, les actionnaires français ne paient que le tiers du salaire de Ghosn. Les 2/3 sont payés par Nissan et par les actionnaires japonais qui commencent à se plaindre de subventionner Renault. A- t- on dit cela aux actionnaires français de Renault ?  Jamais !
L'Etat le sait bien, mais évite d'en parler.  

4e point : Une loi fixant des obligations et des maximums à ne pas dépasser auraient deux conséquences : La première c'est qu'elle dissuaderait des cadres internationaux à venir travailler dans l'hexagone. La seconde aurait sans doute pour effet, d'accélérer l'expatriation des sièges sociaux à l'étranger. Il y en a déjà pas mal.

5e point : L'aspect le plus cocasse de ce débat. Quand les députés de gauche votent une règle limitant le salaire des présidents d'entreprise, ils vont gêner les habitudes des 50 patrons français qui sont payés plus de 1 millions d'euros ? ils vont les obliger à trouver des combines avec les filiales étrangères ou à partir aux Pays-Bas. 

Mais les députés de gauche vont devoir aussi traiter de toutes les autres professions stars qui gagnent de l'argent : les sportifs dont les footballeurs, les artistes de la chanson ou de l'opéra, les grands acteurs de cinéma, etc… Ce débat-là est ingérable. 

6e point : Plutôt que de s'épuiser à critiquer les hauts salaires, les dirigeants politiques devraient plutôt dépenser leur énergie pour trouver des solutions afin de relever les bas salaires. Le scandale et le problème en France ce ne sont pas les gros salaires, c'est la multitude de petits revenus. 

Conclusion : L'intérêt de la France n'est évidemment pas de renforcer son arsenal juridique qui ne sera pas plus facilement applicable que l'imposition des hauts salaires à 75% qu'il a fallu abandonner. 

De l'étranger, et vu de loin, la France est un curieux pays. Le pays des 35 heures, celui des impôts à 75% et désormais le pays où on va interdire les riches. 

La caricature des 35 heures illustre, aux yeux des investisseurs étrangers, la lourdeur administrative française et la complexité de son droit du travail. Les impôts à 75% illustrent la lourdeur fiscale et le caractère dissuasif de la fiscalité française pour ceux qui veulent travailler ou investir. 

La chasse aux hauts salaires va couronner l'ensemble pour indiquer qu'en période électorale, la gauche transforme l'hexagone en terrain de chasse des plus riches. Et on voudrait qu'ils rentrent de Suisse ou de Bruxelles, mais on rêve ! Pour l'étranger la France est un curieux pays, où il ferait si bon vivre si on pouvait y travailler.

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