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100 ans après, le très décrié accord Sykes-Picot est-il le bouc-émissaire facile du nationalisme arabe ?
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Il y a 100 ans, la France, la Grande-Bretagne et la Russie se sont partagés le Moyen-Orient. Et si tout venait de là ?

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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Le 16 mai 1916, la France et la Grande-Bretagne, avec l'aval de la Russie, ont signé un accord, par l'entremise de leurs représentants Sir Mark Sykes et François Georges-Picot, se répartissant des zones de contrôle et d'influence au Moyen-Orient. L'Empire ottoman venait de rejoindre la Première Guerre Mondiale du côté de l'Allemagne ; en cas de défaite de la Triple Alliance, les deux plus grands empires coloniaux de la planète avaient prévu de se répartir ces territoires.

A entendre certains, Sykes-Picot est la source de presque tous les problèmes actuels du Moyen-Orient. L'impérialisme des puissances occidentales aurait empêché l'émergence d'entités politiques saines et durables. Le tracé des frontières à la serpe aurait mélangé les peuples, les ethnies et les cultures, et aurait favorisé l'émergence de dictateurs. Selon Rami Khouri, de l'Université américaine de Beyrouth, "pour les Arabes, Sykes-Picot est un symbole d'une doléance beaucoup plus large contre la tradition coloniale ; symbole de tout un siècle pendant lequel les puissances occidentales ont joué avec nous et étaient impliquées militairement dans la région". La réalité derrière le symbole est sans doute plus complexe... 

Un accord rattrapé par l'Histoire

Comme le rappelle The Economist, la première chose à retenir est que le Moyen-Orient actuel ne ressemble que vaguement au tracé déterminé par MM. Sykes et Picot. Beaucoup de choses se sont passées entre temps. Les Turcs, sous la direction de Mustafa Kemal Atatürk, ont expulsé les troupes étrangères de l'Anatolie. Mossoul, d'abord donnée aux Français, fut prise par la Turquie, puis par les Britanniques, et agrégée à ce qui deviendrait l'Irak. La dynastie hashémite fut expulsée de ses fiefs à la Mecque et Médine, promise par les Britanniques, par une famille d'obédience musulmane wahhabite, les al-Saoud, soutenus par le Royaume-Uni, puis d'Irak en 1956, ne leur laissant plus que la petite Transjordanie - aujourd'hui tout simplement la Jordanie.

La Palestine devait être gérée sous mandat international. Malgré les efforts des Britanniques d'en exclure les juifs, ceux-ci ont réussi à y prendre un petit Etat, et à l'agrandir, malgré la volonté d'extermination de tous leurs voisins.

La logique impérialiste de sphères d'influence des deux empires européens fut vite remplacée par une autre logique d'ingérence, celle de la Guerre froide. Le Moyen-Orient s'est vite divisé entre Etats clients de l'Union soviétique, et ceux clients des Etats-Unis.

Si le Moyen-Orient a été victime de manipulation, ce n'est pas tant de l'accord Sykes-Picot en tant que tel que des promesses contradictoires faites par les Britanniques à la France, aux Arabes et aux Juifs. La Grande-Bretagne n'avait jamais voulu respecter les sphères d'influences françaises ; elle avait promis aux Arabes un grand royaume hashémite dirigé depuis Damas et a préféré diviser pour mieux régner ; si elle a promis aux Juifs de favoriser l'établissement d'une nation juive en Palestine par la déclaration Balfour de 1917, elle a empêché par la suite l'émigration juive en Palestine - y compris celle de Juifs fuyant la Shoah.

Une logique impérialiste millénaire

Comme le rappelle Tony Badran, chercheur à la Fondation pour la défense des démocraties (LIEN), l'impérialisme au Moyen-Orient n'est pas arrivé avec l'accord Sykes-Picot. La tradition impérialiste dans la région date presque des débuts de l'histoire - déjà Babylone et l'Egypte des pharaons jouaient aux empires il y a plus de 2000 ans dans la région, et on voit dans la Bible comment le royaume de Judas était déjà un pion dans des jeux impérialistes d'influence. Les Français et les Britanniques n'ont voulu que remplacer les Ottomans.

L'Occident, bouc-émissaire facile du nationalisme arabe

Démoniser l'étranger et son ingérence est toujours une stratégie politique facile. La mouvance du nationalisme arabe qui a émergé après la décolonisation et a visé à créer un Etat arabe uni et moderne a aujourd'hui échoué, pour de nombreuses raisons. On peut citer les querelles de personnes - qui de Kadhafi, Nasser, Saddam Hussein ou du roi d'Arabie saoudite serait le dirigeant de cette Arabie unie ? On peut citer l'incapacité de dictatures militaires à mobiliser les forces du peuple. On peut citer, surtout, comme on le voit en Syrie et en Irak, l'existence de myriades de peuples, d'ethnies, d'obédiences religieuses et culturelles fractieuses qui, depuis des siècles, ne s'accordent pas ensemble.

Selon le Weekly Standard, le nationalisme arabe a cherché à unifier ces peuples avec l'idée d'une langue et d'une histoire commune (pas d'une religion, puisque le nationalisme arabe d'après-guerre était socialiste et laïc), et a préféré faire poser la responsabilité de l'échec à réaliser cette vision sur l'ingérence étrangère et l'impérialisme européen, américain ou soviétique (ou israélien, c'est-à-dire juif), plutôt que sur les causes internes.

Si l'ingérence des puissances occidentales au Moyen-Orient est une réalité, c'est également une réalité à deux sens. Si Nasser, dirigeant de l'Egypte, a cherché à devenir un Etat-client de l'Union soviétique, c'était également pour obtenir une puissance militaire - des armes et un entraînement modernes pour ses troupes - qu'il ne pouvait pas acquérir par ses propres moyens, au service d'un pan-arabisme qui n'aurait que Nasser comme leader.

100 ans après, Sykes-Picot apparaît donc, non comme le déclencheur ou la cause principale, mais comme un élément parmi d'autres de ce qu'il faut appeler la terrible tragédie du Moyen-Orient.  

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