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Areva et mise en examen d'Anne Lauvergeon : les points clés de ce scandale d'Etat à plusieurs milliards d'euros
©Capture écran BFM Business

Négligence ?

Avec la mise en examen d’Anne Lauvergeon, l’affaire Areva connait un coup d’accélérateur. Au centre des investigations de la justice : l’OPA, en 2007, d’Areva sur Uramin qui aurait fait perdre 3 milliards d’euros au groupe nucléaire. Y aurait-il eu imprudence puis présentation de comptes inexacts ? Quel rôle a joué Anne Lauvergeon dans ce désastre ? Certains, au sein d’Areva, ont-ils chargé la barque contre l’ancienne présidente ?

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • L’ancienne présidente d’Areva (2001-2011) vient d’être mise en examen pour présentation et publications de comptes inexacts et diffusion de fausses informations

  • Pour son avocat, Me Jean-Pierre Versini-Campinchi, les juges ne lui reprochent qu’un délit formel. En tout cas, il n’y a pas le moindre soupçon d’enrichissement personnel, a-t-il précisé

  • Le mari d’Anne Lauvergeon, Olivier Fric, a été lui aussi mis en examen pour délit d’initié et blanchiment. Il aurait perçu indûment 300 000 euros, ce qu’il conteste catégoriquement.

  • Un rapport parlementaire sur la situation financière d’Areva, qui date du 7 mars 2012, signé de deux députés, un PS et un UMP, estimait, à l’inverse du constat dressé plus tard par la Cour des comptes, que la "pertinence de l’opération Uramin était indiscutable"

Elle a été l’une des patronnes les plus puissantes de France. Proche de François Mitterrand qui en avait fait sa sherpa. A plusieurs reprises, on citait son nom pour un poste de ministre. Elle était réputée pour son caractère cinglant. On la redoutait. Mais elle avait beaucoup d’ennemis. Ce n’est pas Nicolas Sarkozy qui dira le contraire. Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelait "Atomic Anne". Mais ce 13 mai, Anne Lauvergeon, présidente d’Areva de 2001 à 2011, qui pourtant en a vu d’autres, a pris un coup sur la tête : les juges Renaud Van Ruymbeke, Claire Thépaut et Charlotte Bilger l’ont mise en examen pour présentation et publication de comptes inexacts, ainsi que diffusion de fausses informations. Une décision qui est la conséquence de l’ouverture d’une information judiciaire il y a tout juste un an par le Parquet national financier.

Très mauvaise nouvelle donc pour "Atomic Anne", d’autant qu’il y a quelques jours, son époux Olivier Fric a lui aussi été mis en examen mais pour délit d’initié et blanchiment. Une infraction qu’il aurait commise lors du rachat d’Uramin par le groupe nucléaire. Ce qu’il nie catégoriquement. C’est dire que l’affaire Areva - ou affaire Lauvergeon - démarre. L’instruction risque d’être longue car elle conduit dans plusieurs pays d’Afrique ou Uramin était présente (Namibie, République centrafricaine, Afrique du Sud, Niger). Mais surtout, lors de leurs investigations, les magistrats devraient mettre à jour un monde interlope, où coups tordus, espionnage, méthodes musclées sont monnaie courante… Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les locaux professionnels d’Anne Lauvergeon, qui anime une start-up, ont été visités par quelques "costauds" dont les visages, grâce aux caméras de surveillance, semblent bien avoir été identifiés. Quand on saura aussi qu’à l’époque où elle présidait Areva, l’ancienne collaboratrice de Mitterrand avait été espionnée par ses propres troupes, on se dit que cette instruction risque à tout moment de se transformer en volcan. Mais le juge Van Ruymbeke, le plus expérimenté des trois juges, qui a l’habitude des affaires ultrasensibles – du financement du PS à l’affaire Clearstream en passant par l’affaire Elf - sait qu’il faut s’attendre dans cette histoire à pléthore de pièges et de chausse-trappes

Au commencement, il y a la volonté d’Areva de prendre une participation dans Uramin, une entreprise d’exploration minière fondée en 2005 et cotée à la Bourse de Toronto. Le prix d’achat est fixé à 1,8 milliard d’euros. Un prix qui va être en réalité supérieur de 685 millions d’euros. Soit plus de 2,4 milliards. Uramin est implantée en Namibie entre autres, notamment sur le site de Trekkopje et en République Centrafricaine à Bakouma. Après tout, pourquoi ne pas y aller ? Sauf que cet achat, finalisé en 2007, s’avère un fiasco. Pour au moins deux raisons : le cours de la tonne l’uranium passe en 2007 de de 235 dollars à 50, et pour couronner le tout intervient la catastrophe de Fukushima. Au siège d’Areva on fait vite les comptes : l’aventure Uramin plombe le groupe Areva de 3 milliards d’euros. En interne, cette déroute ne surprend pas. A plusieurs reprises, des cadres ont tiré la sonnette d’alarme sur l’absurdité d’une telle opération. Du côté des services de l’Etat, on a très vite eu la certitude que cette implantation en Namibie risquait de mettre en péril Areva. Telle sera l’analyse faite par Bercy, le Quai d’Orsay, le Commissariat à l’Energie Atomique (premier actionnaire d’Areva) et la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). Comme le révèlera Mediapart dans sa livraison du 4 décembre 2014, les géologues du groupe savaient ce qu’il en était du site de Trekkopje en Namibie : dès 1960, les experts le qualifiaient de site inexploitable ! Qu’importe ! L’état-major de l’entreprise restera aussi sourd qu’aveugle. Enfin, quand on sait qu’en 2005, lors des négociations pour le rachat d’Uramin - situé dans cinq pays africains - aucun dirigeant d’Areva ne jugera utile de se déplacer, on ne peut s’empêcher de penser qu’il régnait un amateurisme inquiétant au sein du groupe nucléaire.

Etant une entreprise détenue majoritairement par l’Etat, Areva ne pouvait échapper à un contrôle sur pièces de la Cour des Comptes, comme cela a lieu périodiquement. Le précédent portait sur les années 2001-2005. Nous sommes dans les années 2013. Depuis plusieurs mois, on évoque ici et là, dans les ministères concernés, au sein même de la nouvelle équipe de direction d’Areva - Lauvergeon est partie - le désastre Uramin. Cette fois, les limiers de la rue Cambon se penchaient sur les années 2006-2012, celles de l’aventure Uramin. Leur constat va être accablant. En premier lieu, sur la rémunération d’Anne Lauvergeon, qui dépassera pour la première fois en 2009 le million d’euros, voici ce qu’ils écrivent : "La rémunération de l’ancienne présidente du directoire a connu une progression très rapide au cours de son second mandat. Une telle évolution se fondait sur une revendication affirmée du rattrapage par comparaison avec les chefs d’entreprise du CAC 40. La découverte tardive de dossiers dont la mauvaise gestion coûte aujourd’hui très cher au groupe amène à critiquer une telle progression fondée sur des taux de réussite faussement précis". Il est vrai que le taux de réussite pour l’exercice 2009 était de 26,56% pour Anne Lauvergeon. Un taux contestable, soulignaient les magistrats de la rue Cambon, alors même que  l’Agence des participations de l’Etat (APE) soulignait, en février 2010, une forte dégradation de la marge nette d’Areva sur le cœur de métier nucléaire, une consommation croissante de trésorerie pour financer son activité et un ratio FFO (funds from operation) sur dette nette ajustée en baisse.

Puis, suivait l’évocation de deux affaires sur lesquelles l’ancienne collaboratrice de François Mitterrand va devoir s’expliquer. D’abord l’aventure Uramin. La conclusion des magistrats financiers est sans appel : "Si obscures que soient certaines péripéties de l’affaire Uramin dont les tribunaux ont encore à connaître, celle-ci laisse apparaître des fautes individuelles ou des manquements, ne serait-ce que des défauts de surveillance, voire de la dissimulation, certes difficile à apprécier, mais que le groupe, selon les documents disponibles, n’a pas chercher à élucider". Suit alors le coup de grâce : "La direction a invoqué un dysfonctionnement de la gouvernance du groupe, formule trop vague pour clore une affaire si grave". Dissimulation. Faute. Défaut de surveillance. Trois mots qui ne laissent aucun doute : si l’affaire Areva entre dans la zone de la compétence des tribunaux, il est clair également qu’Anne Lauvergeon n’est la seule à être ciblée... Ensuite, le coût de l’EPR finlandais d’Olikiluoto. Là aussi une catastrophe. La centrale devait être livrée en 2009. En 2016, elle ne l’est toujours pas. Et la Cour des comptes de dresser ce constat : "Au 30 juin 2013, le coût de l’EPR d’Olikiluoto était estimé par Areva à 5,3 milliards d’euros. Rapporté à un chiffre d’affaires de 1,8 milliards, cela représente une perte à terminaison de 3,5 milliards. La dégradation progressive de l’équilibre financier du projet a donné lieu à onze augmentations des provisions pour pertes à terminaison depuis décembre 2005, traduisant les difficultés de pilotage du projet". 

Ce constat qui met en cause la gouvernance d’Areva, avec des mots souvent peu amènes – faute, défaut de surveillance, dissimulation – seront repris dans le rapport définitif de la Cour. Il ne pouvait avoir qu’une issue : un signalement au Parquet national financier. Ce qui a débouché sur l’ouverture d’une information judiciaire dont le premier acte vient d’avoir lieu avec la mise en examen d’Anne Lauvergeon, précédée de celle de son mari. Aujourd’hui, Me Jean-Pierre Versini-Campinchi déclare que sa cliente n’est mise en examen que pour un délit formel et qu’elle n’est en aucun cas épinglée pour enrichissement personnel. L’avocat aura beau jeu aussi de rappeler aux trois magistrats, lors d’une prochaine audition d’Anne Lauvergeon qu’une mission d’information parlementaire de mars 2012, sur la situation financière d’Areva, avait conclu que "la pertinence de l’opération Uramin était indiscutable". Cette mission avait pour auteurs un député socialiste, Marc Goua, et un député UMP, Camille de Rocca-Serra. Aujourd’hui, l’instruction commence vraiment. En un an, le dossier s’est épaissi et, grâce à la saisie de nombreux mails, documents confidentiels et comptes-rendus de négociations sur cette OPA lancée sur Uramin, la Brigade financière a beaucoup avancé dans ses investigations. Aussi, dans un avenir proche devrait-elle convoquer pour démêler l’écheveau de ce scandale des intermédiaires, des hauts fonctionnaires de Bercy, du Commissariat à l’Energie atomique et sans doute du Quai d’Orsay. Avant que les juges n’organisent des confrontations entre les proches de Lauvergeon et ceux qui, au sein du groupe Areva, ne se sont pas privés de lui faire de jolis croche-pieds.

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