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46% des Français en faveur de l'accueil des migrants mais 62% s'il s'agit de Chrétiens d'Orient
©Reuters

Info Atlantico

Selon un sondage exclusif IFOP pour Atlantico, 62% des Français sont favorables à l'accueil de migrants chrétiens venus d'Irak ou de Syrie, alors qu'ils n'étaient que 46% en avril à se prononcer pour l'arrivée de migrants en général.

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Atlantico : Quel est selon vous le principal enseignement de ce sondage ?

Jérôme Fourquet : Nous constatons qu'une très large majorité de Français sont favorables à l'accueil de réfugiés chrétiens en provenance d'Irak ou de Syrie (62%). Ce chiffre est tout à fait significatif et diffère très sensiblement des scores que l'on obtient avec la même question quand on ne précise pas la confession des migrants à accueillir. D'après les dernières enquêtes dont on dispose quand on ne spécifie pas qu'il s'agit de chrétiens d'Orient, la propension à l'accueil de migrants tombe à 46% de nos concitoyens, ce qui représente un différentiel de 16 points. Ce distinguo est tout à fait significatif et renvoie à une série de conceptions ou représentations qui sont derrière cela. Nous pourrions par exemple nous référer ici à la réaction de certains élus de droite il y a quelques mois, lorsque le ministre de l'Intérieur, au moment de la négociation européenne sur la répartition des migrants, avait fait un appel aux bonnes volontés et aux maires de communes. Certains maires de droite avaient dit à l'époque être d'accord pour jouer le jeu, à la condition expresse qu'il s'agisse de migrants de confession chrétienne.

La réticence à accueillir peut être mue par des considérations économiques, pointant du doigt le fait que la France n'a pas les moyens financiers d'accueillir ces migrants et de créer les infrastructures d'hébergement nécessaires. On parle aussi du taux de chômage très important qui sévit dans notre pays. Mais nous voyons bien que ce n'est pas la seule explication. Quand on propose l'accueil de migrants de confession chrétienne, les réticences sont moins fortes alors qu'économiquement parlant, les difficultés seraient globalement de même nature. Il y a donc un autre facteur qui vient se greffer.

Ce facteur, c'est la méfiance ou la distance culturelle avec une population qui pratiquerait une religion différente de celle partagée par la majorité des Français. A cette distance culturelle viennent s'ajouter les tensions autour de la visibilité de l'islam en France (débat sur le voile) et l'inquiétude de possibles infiltrations terroristes, qui serait plus risquées, dans l'esprit des Français, en cas d'accueil de migrants musulmans que de migrants chrétiens.

Cette différence d'attitude démontre bien que nous ne sommes pas ici uniquement sur une réticence mue par un principe de réalisme économique.

Comment peut-on expliquer le fait que les catholiques français se disent moins favorables à l'accueil de ces chrétiens d'Orient que les Français se réclamant d'une autre confession ?

Avant de répondre à cela, il est intéressant de noter que ce différenciel entre l'attitude vis-à-vis des migrants en général puis des chrétiens d'Orient en particulier est de 16 points en faveur de l'accueil des chrétiens d'Orient. Toutefois, cette "prime" n'atteint pas la même intensité dans toutes les catégories de la population. On s'aperçoit que plus on est âgé, plus on sera favorable à accueillir les chrétiens d'Orient par rapport aux migrants. On atteint un écart de 20 points chez les 50-64 ans et 26 points chez les plus de 65 ans, alors que ce même écart n'est que de 11 points chez les plus jeunes. Ce regard différencié est particulièrement présent chez les seniors.

Il l'est également dans l'électorat de droite classique (30 points d'écart). Un tiers seulement des sympathisants Les Républicains sont favorables à l'accueil de migrants au sens large, alors que les deux tiers d'entre eux sont favorables à l'accueil de chrétiens. Nous avons donc une attitude radicalement différente dans l'électorat de droite, et moins différente dans l'électorat de gauche (même s'il y a une petite prime). Nous voyons bien que les convictions idéologiques jouent donc également sur ces questions, il n'y a pas que le volet économique.

>>>> A lire aussi : Migrants et intégration des étrangers : où en est la France après 9 mois de crise aiguë ?

Pour ce qui est des confessions religieuses maintenant, on s'aperçoit qu'il y a une prime sur les cathos pratiquants (13 points). Le réflexe de bienveillance et de proximité religieuse joue mécaniquement. On rappellera néanmoins dans l'enquête précédente fin avril, on était à 54% chez les pratiquants : ce niveau avait déjà fortement progressé suite à la visite du Pape à Lesbos, qui avait ramené dans son avion 12 migrants de confession musulmane. C'était un geste très fort d'œcuménisme et de charité chrétienne qui ne devait pas s'appliquer uniquement en direction des chrétiens. Cela avait déjà joué à l'époque, permettant d'augmenter le niveau d'adhésion chez les catholiques pratiquants. Ces derniers, en partie convaincus par le geste du Pape, le seraient encore davantage si on leur demandait d'accueillir des chrétiens plutôt que des musulmans.

Au niveau des catholiques non pratiquants, l'écart est plus fort, donc on voit bien que la dimension religieuse n'est pas la seule à jouer. Pour ces derniers, c'est d'abord la dimension culturelle qui va jouer, plus que la dimension philosophique ou religieuse. Seulement un tiers des cathos non pratiquants seraient prêts à accueillir des migrants au sens large, alors que deux tiers seraient prêts à accueillir des chrétiens.

Pourquoi y a-t-il cet écart ? Honnêtement, il n'est pas très important (73% contre 67%). Deuxièmement, que regroupe le panel "Autres religions" ? Dans nos échantillons, la moitié de ce groupe environ est constituée de musulmans (qui sont, eux, aux trois quarts favorables à l'accueil). Il y a aussi une petite minorité de Juifs et de protestants. Dans des enquêtes précédentes, nous constations que ces derniers étaient souvent un peu plus favorables à l'accueil en général que les catholiques. Cela renvoie ici à la longue tradition d'accueil et la culture d'asile très forte chez une partie du monde protestant (je pense à la vieille association de la Cimade, qui vient en aide aux étrangers). Il y a toujours eu une partie de la population protestante très impliquée sur ces thèmes-là.

Les musulmans, eux, sont beaucoup plus favorables que les catholiques à l'accueil de migrants au sens large, en partie grâce à une certaine proximité religieuse et culturelle avec ces populations. Mais ce prisme religieux ne les empêche pas, visiblement, d'être autant favorables à l'accueil de chrétiens qui viendraient de ces pays. La variable religieuse fonctionne un peu moins dans ce groupe-là.

Si des représentants de la plupart des formations politiques françaises ont déjà pointé du doigt la situation humanitaire alarmante des communautés de chrétiens d'Orient, on remarque que les sympathisants du Front national se distinguent nettement du reste de la population, avec seulement 23% d'entre eux se disant favorables à leur accueil. Comment expliquer cela selon vous ?

Le point intéressant ici, c'est que l'électorat frontiste est massivement opposé à l'accueil des chrétiens d'Orient, mais était encore plus opposé à l'accueil des migrants tout court (9% seulement). La tendance au Front national est d'être isolationniste et d'être opposé à l'accueil de migrants, quel que soit le groupe ethnique ou culturel. Cet électorat estime qu'il y a déjà beaucoup de misère et d'immigrés en France, et qu'on a déjà atteint les limites de ce qu'il était possible de faire. Il ne faudrait donc surtout pas accueillir d'autres personnes venues de l'étranger.

On constate que le fait qu'ils soient chrétiens ou musulmans fait assez peu varier les choses aux yeux des électeurs du Front national. Ils sont 9% à être favorables à l'accueil de migrants en général (et quand on suit un peu ce qu'il se passe en ce moment, on pense surtout à des musulmans). Cette réticence est à peine moins massive pour l'accueil de migrants de confession chrétienne, puisqu'ils sont en effet 23% seulement à y être favorables. La chrétienté de ces individus ne permet pas de lever le verrou, l'hostilité ou l'opposition à l'accueil de migrants dans cet électorat, alors que cela joue au sein de l'électorat de droite (+30 points).

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