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Ces questions éthiques brûlantes que pose l'euthanasie d’une jeune Néerlandaise souffrant de troubles psychiques jugés “incurables” après avoir été abusée sexuellement
©Reuters

Ligne rouge

Aussi bien aux Pays-Bas qu'en Belgique, un certain nombre de jeunes filles ont eu recours à l'euthanasie pour faire face à une souffrance psychique jugée incurable. Un diagnostic dont l'objectivation pose un vrai problème quant à l'éthique de cette pratique.

Carine Brochier

Carine Brochier

Carine Brochier est économiste de formation, mais s'est très vite positionnée sur les questions de bioéthique. Depuis dix ans, elle travaille au sein de l'Institut Européen de Bioéthique basé à Bruxelles. Elle anime débats, conférences et est l'auteur de nombreux rapports, dont Euthanasie : 10 ans d'application de la loi en Belgique.

Elle anime également quelques émissions dans les médias belges.

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Atlantico : Une jeune Néerlandaise d'une vingtaine d'années a été autorisée à se faire administrer une injection mortelle pour mettre fin aux terribles souffrances, jugées incurables, qu'elle endurait depuis des années, après avoir subi des sévices sexuels. Comment peut-on décréter qu'une souffrance psychique est incurable ? 

Carine Brochier : Il faut se rendre compte que les souffrances psychique et physique sont réelles. Le dilemme réside dans l’objectivation de cette souffrance. C’est le patient qui déclare lui-même que la souffrance est insupportable, sans qu’il y ait, dans le cas d’une dépression ou d’un évènement qui a traumatisé la personne, une détérioration des tissus ; cela ne se diagnostique pas au microscope. Une personne qui souffre profondément vous dira qu’il n’y a rien à faire, que la situation est désespérée et qu’elle veut mourir. C’est à cet endroit que les côtés inapaisable et incurable posent question. La souffrance ne pouvant pas être mesurée, le médecin se base uniquement sur les dires du patient dont l’état dépressif doit être soigné. Lorsque le médecin reconnaît le caractère inapaisable, il renonce, abandonnant le patient.

En Belgique, 65 professeurs d’université, psychiatres et psychologues ont réaffirmé leur inquiétude face à cette banalisation de l’euthanasie pour ceux qui souffrent psychiquement. Autant qu’il y a un autre thérapeute et une autre thérapie, il est toujours possible de croire qu’un évènement, ou cette thérapie, pourrait être déclencheur d’un mieux. Si l’on abandonne cette foi en la thérapie et dans le thérapeute pour cette souffrance psychique, il n’y a plus qu’à fermer boutique. Il faut garder à l’esprit que les choses s’accomplissent dans la durée, et que tout ne repose pas que sur la thérapie et le psychologue : il y a des évènements impondérables dans la vie qui vont faire que la personne va avoir tout un coup le déclic qui lui permettra de se relever. C’est la surveillance de ce déclic qui est du ressort de toute la société, du thérapeute au médecin, afin de soutenir ces personnes plutôt que de les aider à mourir. Ce n’est surtout pas le rôle d’un psychologue ou d’un médecin de provoquer la mort d’un patient. De même, est-ce à la société d’avaliser la "mise à mort" de personnes malades, même si elles le demandent étant écrasées par leurs souffrances ?

Sur quels éléments se fondent la législation néerlandaise pour rendre réalisable ce type d'euthanasie (sur des personnes souffrant de fragilité psychique sans être en fin de vie) ? 

Tout comme la législation belge, la législation néerlandaise permet l’euthanasie d’une personne dont la souffrance est qualifiée d’inapaisable et où l’on peut dire que la maladie est incurable. Dans le cas de la souffrance psychique, à un instant t, effectivement, elle peut être inapaisable, mais tant que toutes les thérapies possibles n’ont pas été mises en place, on ne peut pas qualifier cela d’incurable. C’est ce dernier terme qui pose problème : l’incurabilité n’est jamais acquise dans le cas des maladies psychiatriques et psychiques lorsqu’il n’y a pas de détérioration des tissus.

Depuis que l’euthanasie a été dépénalisée dans ces deux pays, et également au Luxembourg, la porte a été ouverte pour des cas exceptionnels, et l’exception a fini par devenir la norme, et même plus que cela : c’est devenu banal de demander l’euthanasie dans certaines situations où le patient, fort de son autonomie, affirme souffrir à tel point qu’il souhaite mourir. On ne peut pas nier cette souffrance, mais cette souffrance et cette autonomie constituent le parfait cocktail molotov pour faire exploser la pratique de l’euthanasie. Il y a la liberté de demander l’euthanasie, mais pas le droit automatique d’être euthanasié, ce que veut faire croire l’autonomie du patient.

Le traitement des maladies psychiatriques prend du temps. Il est difficile pour le médecin d’accompagner dans la durée le patient : on constate combien cela peut être difficile pour lui, mais également pour la famille. C’est pour cela sans doute que ne pouvant plus résister eux-mêmes, certains psychiatres ou psychologues provoquent la mort d’un patient ou donnent leur aval à cette injection mortelle.

Il y a aussi le piège qui relève du chantage, à savoir le recours au suicide dans le cas où le médecin refuserait l’euthanasie. C’est un faux chantage. Le Centre de prévention du suicide avec lequel nous sommes en contact nous dit que des médecins leur adressent des patients en demande d’euthanasie parce que dépressifs, et pour lesquels le Centre dispose d’outils afin de faire sauter cette demande d’euthanasie. L’euthanasie ne peut pas être un remède au suicide. Provoquer la mort d’une personne malade et souffrante n’est pas thérapeutique. 

Peut-on considérer que le consentement de la patiente est caractérisé alors que celle-ci a été diagnostiquée comme gravement malade, dépressive, et dans un état de faiblesse psychique extrême ? 

Personne n’ayant eu accès au dossier médical de la jeune fille, il faut être très prudent. Lorsque l’équilibre et la santé psychique sont mis à mal, peut-on prendre une décision claire et en toute liberté ? La réponse semble nous inviter à dire non. Lorsqu’on souffre d’une douleur physique, est-on également libre de prendre une décision telle que celle de la mort ? La réponse est non là encore. La souffrance nous empêche d’être libres. Le patient, par sa souffrance, n’a plus la tête à demander autre chose que l’euthanasie croyant que c’est la seule façon de juguler la douleur. Et c’est là où d’autres doivent aider la personne à traverser cette souffrance comme le disait Viktor Frankl. Sa logothérapie constitue une nouvelle voie à mettre en avant pour tous ceux qui sont confrontés à une souffrance écrasante.

Quelle différence y-a-t-il entre un suicide assisté et une euthanasie ? Comment doit-être vraiment caractérisé le cas de cette jeune Néerlandaise ?

Aussi bien l’un ou l’autre vise à donner la mort. Le suicide assisté consiste dans le fait que c’est un médecin qui donne produit létal au patient afin qu’il se l’injecte lui-même ou l’ingurgite; par contre, dans le cas de l’euthanasie, l’injection est pratiquée par le médecin lui-même. On dit souvent qu’il vaut mieux une euthanasie bien propre plutôt qu’un suicide par la fenêtre sanglant : c’est un piège de penser cela. Ce n’est pas l’un ou l’autre, mais la 3ème voie, à savoir accompagner encore, et encore la personne. Il faut absolument se réinvestir dans cet accompagnement. Actuellement, lorsque les moyens budgétaires font défaut et que le personnel médical est sous pression, certaines personnes font la promotion de la mort donnée. Mettre de côté l’accompagnement est très dangereux pour l’ensemble de notre société et du lien solidaire qui fonde notre vivre ensemble.

Une étude réalisée par des experts belges et publiée dans le Journal du Médecin en juillet 2015 portant sur 100 demandes d'euthanasie pour souffrance mentale entre 2007 et 2011 révèle que 48% des demandes d'euthanasie pour raison psychique ont été acceptées par les médecins. Assiste-t-on à une banalisation de l'euthanasie pour seul motif de souffrance psychique ? Quels sont les risques à terme ? 

A partir du moment où ce qui fait la loi réside dans l’autonomie du patient et la souffrance qu’il exprime, il sera alors tout puissant pour faire accepter sa souffrance psychique ou physique. La banalisation de la souffrance psychique est un phénomène que les chiffres semblent attester : au Pays-Bas, 56 patients ont été euthanasiés pour cette raison l’année dernière contre 41 l’année précédente. Ca augmente doucement, mais ça augmente. 

Certains médecins se spécialisent de plus en plus pour accéder à ces demandes d’euthanasie. Certaines cliniques se sont également spécialisées aux Pays-Bas comme la Clinique de fin de vie. Ils prennent en charge tous les cas que les autres médecins refusent. Dans cette clinique, on dénombre près de 366 interventions sur une année alors que le total des euthanasies pour les Pays-Bas tourne autour de 5 000. On voit donc bien qu’il y a un groupe de soignants - si on peut encore les appeler ainsi – qui se croit autorisé idéologiquement à donner la mort à des personnes qui de par leur souffrances physiques ou psychiques sont fragilisées. 

Quelles alternatives existent, ou devraient selon vous exister, pour éviter d'en arriver à de telles extrémités ? Quels sont les recours notamment à la disposition de la famille ? 

Dans un premier temps, c’est l’individu qui doit adopter une certaine façon de vivre et de penser. Tout ce qui touche à la sexualité et qui a blessé cette jeune Néerlandaise que vous évoquiez est inadmissible dans notre société. Mais quelles mesures sont réellement prises pour que cette sexualité soit respectée et non pas utilisée comme arme offensive ou simplement de plaisir ? La société doit faire des choix pour prendre soin des plus fragiles. 

Propos recueillis par Thomas Sila

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