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Comme les autres, mais pas pareil : et si la seule chose qui différenciait le programme économique d’Alain Juppé de celui de ses concurrents de droite était… Alain Juppé ?
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#5anspourlemploi

En tête des intentions de vote à la primaire de la droite et du centre, Alain Juppé présente les détails de son programme économique au travers d'un livre "cinq ans pour l'emploi". Un programme libéral dont la philosophie générale rejoint celle de ses concurrents, mais qui, comme ces derniers, fait l'impasse sur les causes profondes de la crise de 2008.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Suppression de l'ISF, allocations chômages dégressives, réduction de la fiscalité des entreprises, retraite à 65 ans, forte baisse de la dépense publique (entre 85 et 100 milliards d'euros sur 5 ans) : telles sont les principales mesures constitutives du programme politique d'Alain Juppé. Que peut-on attendre de telles mesures ?

Nicolas Goetzmann : Le programme économique d’Alain Juppé, tel qu’il est présenté pour le moment, repose totalement sur ce que l’on qualifie habituellement de "réformes structurelles". Il s’agit de permettre au pays d’accroître son potentiel de croissance en proposant, par exemple, la suppression des 35 heures, ou un recul de l’âge de la retraite à 65 ans. Dans les deux cas, on accroît l’offre de travail. Il s’agit également de baisser la fiscalité, celle des entreprises avec une baisse de l’IS, une baisse des charges patronales sur les salaires, mais également une suppression de l’ISF.

Afin de financer ces mesures, Alain Juppé propose la mise en place d’une hausse de la TVA ainsi qu’une réduction des dépenses publiques pour un montant de 85 à 100 milliards d’euros sur l’ensemble du quinquennat. En prenant un peu de recul, on s’aperçoit que les efforts consentis sont portés par la consommation (hausse de la TVA) et les dépenses publiques, et visent à offrir de meilleures conditions aux entreprises. Il s’agit donc d’un pari à sens unique qui repose sur la certitude que LA cause de la crise que traverse le pays découle du fait que les entreprises sont entravées en France, et que la suppression de ces barrières permettra un retour de la croissance. Mais si ce diagnostic est faux, alors un tel programme aura un effet récessif, notamment en raison de la hausse de la TVA et de la baisse des dépenses publiques.

Et c’est le point le plus troublant, qui est d’ailleurs partagé par l’ensemble des candidats à la primaire de la droite. En effet, pour que de telles réformes puissent produire les effets attendus, il est impératif d’être en présence d’un contexte macroéconomique stabilisé. C’est à dire que la demande doit être à son niveau optimal. Or, si la demande française (c’est à dire la somme de la croissance et de l’inflation) progressait de plus de 4% par an entre 1997 et 2007, celle-ci se contente d’augmenter de 1% par an depuis 2008, soit une chute en tendance de plus de 70%. Ainsi, et sans un rétablissement vigoureux de la demande, notamment au travers d’une politique de relance de la part de la BCE, le programme économique proposé ne pourra produire les résultats escomptés. Cela revient à plonger la tête la première dans une piscine vide. Pour équilibrer ce programme, il est donc nécessaire de passer par une offensive européenne de grande ampleur, afin de convaincre nos différents partenaires de mettre en place un cadre économique européen tourné vers la croissance et le plein emploi, au travers la relance de la demande par la voie monétaire.

Ces mesures diffèrent-elles vraiment de ce que proposent économiquement les autres candidats déclarés de la primaire de la droite et du centre ?

Pas réellement. Les autres candidats, comme Bruno Le Maire ou François Fillon, sont clairement sur le même créneau. Ce qui diffère, sans aucun doute, c’est la méthode. François Fillon veut marquer sa différence par la radicalité alors qu’Alain Juppé compte sur son autorité, sa rapidité d’exécution, et une certaine stabilité. En réalité, le programme économique de la droite semble être à sens unique, il ne s’agit donc que d’une question de méthode, ou de personnalité.   

Cependant, s’il semble bien exister un consensus à droite pour une ligne économique qualifiée de “libérale”, celle-ci est orpheline d’une jambe pour pouvoir marcher. Car si le Royaume Uni ou les Etats Unis, sont parvenus à réaliser des efforts en termes de dépenses publiques au cours des dernières années, cela est en raison de l’existence de cette seconde jambe, qui est la politique monétaire. Celle-ci avait pour objectif de compenser les effets récessifs causés par les réformes, en soutenant massivement la croissance. Un véritable libéralisme à l’anglo-saxonne pourrait proposer les mêmes mesures présentées ici, mais en intégrant une énorme dose de relance monétaire de l’autre côté. Sans cela, c’est le bâton sans la carotte. Il est d’ailleurs assez surprenant de constater que le modèle absolu reste les réformes Hartz, menées en Allemagne au début des années 2000. Or, ces réformes ont mis plus de deux ans à produire des effets, et ce, malgré une demande européenne plus de trois fois supérieure en moyenne à ce que l’on peut connaître aujourd’hui, et les Allemands étaient alors seuls sur ce terrain.

Au regard des principales mesures annoncées dans le programme économique d'Alain Juppé, on peut constater que les classes moyennes ne semblent pas prises en compte. N'est-ce pas un risque, sur le plan politique, de détourner cet électorat vers les concurrents politiques, FN notamment ?

La question des classes moyennes est centrale. De nombreuses études économiques démontrent les défis majeurs qui frappent les classes moyennes, en raison de la mondialisation, de la robotisation, et de l’automatisation. Ce sont des questions essentielles car elles concernent une grande partie de la France désindustrialisée, dont l’électorat s’est effectivement tourné vers Marine Le Pen. Pour répondre à ces questions, il ne s’agit donc pas de taper sur les mesures proposées par le FN, mais de démontrer que les problèmes vécus sont pris en compte, analysés, et de proposer des remèdes efficaces. La suppression de l’ISF et la hausse de la TVA ne devraient pas beaucoup aider sur ce terrain-là, aussi bien d’un point de vue politique qu’économique.

Encore une fois, un tel programme repose plus sur des certitudes construites depuis des décennies sur le mal français; c’est à dire les problèmes d’offre; des dépenses publiques trop élevés, des entraves trop importantes pour les entreprises etc...Il ne s’agit pas de nier totalement ce diagnostic, mais de le mettre en perspective la crise qui a frappé le monde entier en 2008. La France a été touchée, comme les autres, alors que lors du premier trimestre 2008, le chômage français avait atteint son plus bas niveau depuis 1983, à 7.1%. Cela n’allait donc pas si mal que ça, et ce, malgré les problèmes existants du côté de l’offre. Ce qui a changé entre-temps, c’est l’écroulement de la demande. Il y a donc bien un décalage entre le diagnostic posé sur l’économie française par la droite et ce que le pays traverse sur le plan macroéconomique.

François Fillon, principal adversaire déclaré d'Alain Juppé, a critiqué à plusieurs reprises l'imprécision du programme économique d'Alain Juppé, affirmant : "Il y a des hommes politiques qui font des discours, qui présentent de grandes orientations. Moi je propose un programme prêt à être mis en place." Est-ce effectivement la critique que l'on pourrait formuler au programme économique d'Alain Juppé, en comparaison notamment avec celui des autres candidats à la primaire de la droite et du centre, dont François Fillon ?

Il ne semble pas exister de différences majeures dans les différents programmes. L’observation des mesures proposées suffit à en conclure que le diagnostic réalisé est identique. "Tout le monde sait ce qu’il faut faire pour réformer le pays", mais ce discours existe depuis bien longtemps, mais sans les résultats. Il y a donc peut être une anomalie, qui mérite de se poser quelques questions. Le choix proposé aux électeurs repose donc avant tout sur la méthode ; un aspect plus apaisant de la candidature Juppé, ou le "casser la baraque" de François Fillon. Reste une inconnue majeure, celle du programme du candidat encore non déclaré ; Nicolas Sarkozy. Ce qui est intéressant à ce titre, c’est de constater les différences sociologiques existantes entre les différents candidats. Alain Juppé, Bruno Le Maire, et François Fillon recueillent les suffrages d’un électorat plus âgé et plus aisé que celui de Nicolas Sarkozy. Ce qui signifie qu’une offre politique économique différente peut être choisie par l’ancien chef de l’Etat, et ainsi venir “enrichir” cette offre à droite, notamment en prenant en compte les questions relatives aux classes moyennes.  

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