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L'affaire Baupin, grave pour les unes, moins pour les autres : pourquoi femmes et hommes réagissent souvent très différemment à ce type de révélations
©Reuters

C'est grave docteur ?

Accusé par huit femmes dans Mediapart et France Inter, le député Denis Baupin (ex-EELV) a été contraint de démissionner ce mardi 10 mai de son poste de vice-président de l'Assemblée nationale. Alors que les médias se déchaînent sur l'élu, les femmes semblent plus sensibles à cette affaire que les hommes.

Peggy Sastre

Peggy Sastre

Peggy Sastre est écrivaine et traductrice. Elle est l'auteure de "Ex Utero : pour en finir avec le féminisme" et de "La domination masculine n'existe pas".

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Atlantico : Le député Denis Baupin (ex-EELV) est accusé de harcèlement sexuel par huit femmes, qui ont témoigné sur France Inter et Mediapart, et le parquet a ouvert une enquête. De son côté, il a déposé une plainte pour diffamation. Alors que l'affaire fait scandale au point que l'élu a dû démissionner de son poste de vice-président de l'Assemblée nationale, les hommes et les femmes ne semblent pas réagir de la même manière. Comment réagissent-ils respectivement ?

Peggy Sastre :La question des différences entre hommes et femmes de ressenti et de perception des violences sexuelles relève en effet d'un phénomène connu, étudié et mesuré. En moyenne, les hommes "émetteurs" n'ont pas conscience que leurs agissements, qu'ils évaluent comme de la drague ou de l'humour, puissent être considérés comme hostiles, malsains ou encore oppressants par les femmes qui en sont "récipiendaires". Et réciproquement : les femmes harcelées ont beaucoup de mal à concevoir que leurs agresseurs n'avaient, sincèrement, pas l'impression d'être malveillants. Si je me fonde sur les études que j'ai pu consulter sur le sujet, ce fossé subjectif est un cas particulier du rapport tendanciellement différencié des deux sexes aux violences : en général, les hommes minimisent et les femmes dramatisent, mais ce sont les femmes qui sont, en termes absolus, bien plus proches de la réalité objective. Les choses se compliquent encore davantage quand on demande l'avis des gens "externes" au problème (ceux qui ne sont ni victimes, ni accusés de harcèlement). Pour certains, afin de réduire au maximum les risques, il faudrait tout simplement bannir les relations amoureuses et sexuelles consensuelles sur le lieu de travail. D'autres trouvent que ce genre de réglementation est trop extrême, d'autres encore l'estiment légitime seulement pour les relations hiérarchiquement dissymétriques – alors que la plupart des cas de harcèlement, contrairement aux idées reçues, concernent un harceleur de niveau hiérarchique équivalent, voire inférieur, à sa victime. Il y a aussi la question de l'ambiance de travail : doit-on s'interdire et interdire de faire des blagues que certaines sensibilités pourraient considérer comme salaces et/ou oppressives, alors qu'un nombre significatif de travailleurs, des deux sexes, ne les considèrent pas intrinsèquement et automatiquement nuisibles, voire peuvent les estimer utiles à détendre l'atmosphère de travail ?

Quelles raisons expliquent que les hommes et les femmes n'en aient pas la même perception ? On entend régulièrement que les femmes victimes de harcèlement ou d'agressions sexuelles n'osent pas parler de leur cas et porter plainte. Les femmes sont-elles pour autant plus sensibles à ce genre d'affaire ? 

En réalité, les victimes de harcèlement sexuel et même d'agressions (je ne parle pas du viol) n'ont pas envie de porter plainte, car dans la majorité des cas, les faits sont heureusement bénins (ou considérés comme tels par les victimes) et elles n'en voient pas l'intérêt. Ce qui ne veut pas dire que la peur de porter plainte, la honte, le traumatisme (comme Elen Debost qui vomit en repensant aux textos qu'elle aurait reçus de Baupin), etc. n'existent pas, juste qu'il ne s'agit pas de la réaction majoritaire de la majorité des concernées. Et il y a évidemment des tas de raisons à cela, la première étant que les femmes ont été sélectionnées par l'évolution pour leur résilience, vu que la coercition sexuelle est un phénomène on ne peut plus courant et universel dans notre espèce, comme dans beaucoup d'autres. Ce qui ne veut pas non plus dire qu'il faudrait s'en satisfaire : la modernité a créé des institutions, des gardes-fous, des réglementations, etc. pour que les individus aient d'autres recours qu'eux-mêmes pour se protéger et prospérer dans leur propre existence. Par contre, ce que je veux dire, c'est qu'il est problématique de se focaliser sur le portrait-robot d'une victime type, surtout quand l'esquisse n'est pas représentative de la réalité, car le risque, c'est de ne vouloir protéger que les "bonnes" victimes, et laisser les "mauvaises" de côté. Quant à la sensibilité féminine supérieure face à ce genre d'affaires, elle peut là aussi s'expliquer (entre autres facteurs, j'insiste) par la statistique : à peu près 80% des auteurs de harcèlement sont des hommes, plus de 90% des victimes sont des femmes. Elles sont donc logiquement plus habituées au phénomène, et donc plus à même de le détecter et de vouloir légitimement le combattre. 

Les réactions à l'affaire ont rapidement basculé de la dénonciation des agissements sexistes d'un député à ceux qui seraient le lot commun de toute la classe politique. Clémentine Autain, porte-parole du parti Ensemble, a déclaré à propos de l'affaire que "tout le monde savait" et a ajouté "le monde politique est une sorte de terrain de chasse viril". Quelle est la réalité du harcèlement en politique ? Ne risquons-nous pas d'assister à une récupération politique de cette affaire par certains groupes féministes ?

Le harcèlement sexuel, notamment sur le lieu de travail, est un problème social, il est donc logique que la politique veuille s'en mêler, vu que l'une de ses premières missions est de gérer et d'organiser la société. Le souci, comme je le disais plus haut, peut venir d'une mauvaise évaluation du phénomène : on ne soigne bien une maladie que si on en fait un bon diagnostic au départ. Là où beaucoup de féministes se trompent, par exemple, c'est en excluant totalement le sexe du harcèlement, en disant qu'il s'agit avant tout d'un problème de pouvoir, de domination, d'humiliation, etc. A la base de la base, le harcèlement sexuel survient quand une envie de copuler n'est pas réciproque, quand elle se heurte à un refus. Le pouvoir, l'humiliation, la domination surviennent ensuite, comme des moyens de contourner le consentement et d'obtenir quand même la copulation. Le sexe est toujours la fin première des violences sexuelles, qu'on parle de harcèlement, d'agression ou de viol. Et le dire, ce n'est évidemment pas décharger les auteurs de violences sexuelles de leur responsabilité et encore moins nier la nocivité de leurs actes.

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