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Si le mouvement Nuit Debout veut avoir un avenir, il lui faudra éviter deux écueils : la liquéfaction et la déviation
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Bonnes feuilles

Refusant icônes et caricatures, croisant ses études sur les combats culturels avec ses carnets des nuits passées place de la République, Gaël Brustier décrypte ici la genèse et le développement, les acteurs et les perspectives d’un mouvement qui interpelle les Français, interroge les médias et inquiète les élites. Extrait de "Nuit debout", de Gaël Brustier, aux éditions du Cerf 1/2

Gaël Brustier

Gaël Brustier

Gaël Brustier est chercheur en sciences humaines (sociologie, science politique, histoire).

Avec son camarade Jean-Philippe Huelin, il s’emploie à saisir et à décrire les transformations politiques actuelles. Tous deux développent depuis plusieurs années des outils conceptuels (gramsciens) qui leur permettent d’analyser le phénomène de droitisation, aujourd’hui majeur en Europe et en France.

Ils sont les auteurs de Recherche le peuple désespérément (Bourrin, 2010) et ont publié Voyage au bout de la droite (Mille et une nuits, 2011).

Gaël Brustier vient de publier Le désordre idéologique, aux Editions du Cerf (2017).

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Gauche contre droite ?

L’habituel clivage régentant la vie politique française en deux camps étanches ne s’applique que partiellement à Nuit Debout. Ne seraitce parce qu’il n’est pas si simple de catégoriser ce mouvement absolument à gauche. Certes, les organisateurs initiaux, ceux sans qui l’impulsion aurait été nulle et non avenue, sont issus de la radicalité traditionnelle, si l’on peut dire au titre de son ancienneté. Il suffit de penser à des associations telles que Droits Devant ! !, fer de lance de la lutte contre les exclusions, née en 1994. Ou encore Acrimed, créée en 1996, et consacrée à la critique des médias. Dans ce dernier domaine, il faut évoquer ces fanzines que furent Pour lire pas lu (PLPL), fondé en l’an 2000, ou son successeur, Le Plan B, apparu en 2005. Ils ont également joué un rôle majeur. L’un et l’autre s’attaquaient principalement à la presse qu’ils jugeaient corrompue, à la classe politique également corrompue, au monde de l’argent tout autant corrompu. Or, si les Français ignorent jusqu’à l’existence de ces périodiques, les militants historiques de la gauche radicale ont, eux, grandi avec. Enfin, on ne saurait oublier l’apport d’un certain syndicalisme dans la façon dont le mouvement se structure. Outre des figures de SUD, union par définition rebelle, on y retrouve des compagnons de route d’ATTAC, à la pointe militante de l’altermondialisme, des proches de l’association Jeudi noir, qui, à partir de 2006, a occupé de façon tumultueuse des logements parisiens inhabités, afin de dénoncer le marché des loyers à Paris. Ce maximalisme, qui a indéniablement inspiré toute une génération politique au tournant années 2000, Nuit Debout en hérite, mais ne s’y ordonne pas. La différence de générations, entre l’amont et l’aval de la chute du communisme, prévient une totale fusion.

Par ailleurs, si la déception à l’égard du pouvoir socialiste est réelle, elle n’est pas pour autant l’alpha et l’oméga du mouvement. Pour être déçu, il faut avoir, un jour, cru. Or, beaucoup de participants de Nuit Debout n’avaient pas l’âge de voter en 2012, d’autres n’ont tout simplement pas voté PS, d’autres encore ont voté François Hollande par défaut. La politique du gouvernement socialiste a participé au mécontentement mais ne saurait être tenue pour l’unique responsable et, en conséquence, la seule cible du rassemblement. Plus encore que les deux décennies d’activisme radical, un autre legs se pro- file, peut-être guère plus conscient, mais certainement plus dynamique. C’est celui qui relie la campagne victorieuse pour le « non » au référendum sur le traité établissant une constitution pour l’Europe, en 2005, et la violente confrontation, en 2015, entre les gauches radicales européennes et les institutions de l’Union européenne. Cette question-là, continentale, à la fois nationale et transnationale, d’avenir, est sans doute plus mobilisatrice que les combats passés de la gauche contre la gauche au sein de l’hexagone.

Les participants de Nuit Debout ne sont donc pas des frondeurs, au sens où leur contestation, pour désordonnée qu’elle paraisse, vise bien au-delà les seuls appareils partisans. Ils ne rejouent pas pour l’énième fois la tragédie du socialisme français, passé du « Projet pour la France » de 1981 au tournant de la rigueur de 1983. Pas plus qu’ils ne souhaitent un « coup de barre » à gauche au sein de l’appareil du PS. Ils ne se résument pas non plus à la gauche radicale ni à l’extrême gauche qui, bien que présente, représente une minorité. Le déclin de l’une et de l’autre, en termes d’organisations, les empêche d’agir au sein des mouvements sociaux avec l’intensité qui fut la leur par le passé. En tout cas, au sein de celui-ci.

Cela n’empêche pas certes les incidents et cette relative impuissance structurelle tend même à les précipiter. L’extrême gauche reste discrète sauf lorsque déboulent les Autonomes ou lorsqu’Alain Finkielkraut se rend sur la place de la République. Que dit cependant la scène plus que regrettable de son départ forcé et les échanges d’insultes avec quelques-uns, et sous l’escorte d’autres ? Le rejet fracassant de cet intellectuel médiatique qui continue à se revendiquer de la République, la gauche, de Péguy, et dont certaines positions ne sauraient amener néanmoins à une caricature aussi excessive que vaine, a été naturellement médiatisé. Faut-il pour autant y voir un tournant dans la brève histoire de Nuit Debout ? Considérer avec Élisabeth Lévy dans Causeur que cette affaire dévoile le sectarisme d’un faux démocratisme, avec Caroline de Haas dans Le Monde que l’Académicien a été justement désigné comme un ennemi ? Ou mieux vaut-il s’attarder sur la tribune en forme d’essai d’explication qu’a signée Romain Goupil, dans la même page « Débats » du quotidien du soir ? L’ancien soixantehuitard rappelle l’injustice inhérente à sa propre jeunesse découlant du mythe de la violence révolutionnaire, mais il pointe également la responsabilité, tout aussi inévitable dans de telles vagues contestataires, de « la direction » qui, souligne-t-il, est d’autant plus existante qu’elle prétend ne pas exister et qui a devoir d’imprimer « la bonne direction ». Ce qui revient à pointer la genèse complexe et le projet compliqué de Nuit Debout. L’appel à la participation générale pour faire masse peut se traduire par la liquéfaction ou la déviation de tout mouvement. Si Nuit Debout entend perdurer, il lui faudra se prémunir contre ces deux dangers en acceptant le débat non pas seulement sous forme de convergence mais aussi de divergence, et en se résolvant à un certain effort de doctrine, aussi ouvert doit-il être. De même qu’il lui sera nécessaire de se garantir contre les casseurs qui multiplient leurs opérations au point de discréditer l’intention originelle qui, rappelons-le, n’était pas émeutière mais politique. Cette épreuve de maturité constitue l’horizon immédiat de Nuit Debout qui ne peut s’en tenir à une ligne de flottaison diffuse, laquelle ignorerait la forte exigence de la conformité entre les paroles et les actes que le mouvement est censé renouveler.

Extrait de "Nuit debout", de Gaël Brustier, publié aux éditions du Cerf, mai 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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