L'alliance improbable d'Israël, du Hamas et de l'Egypte contre l'Etat islamique<!-- --> | Atlantico.fr
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Aujourd'hui, dans la bande de Gaza, il existe plusieurs groupes favorables à l’islam radical et aujourd’hui à Daech.
Aujourd'hui, dans la bande de Gaza, il existe plusieurs groupes favorables à l’islam radical et aujourd’hui à Daech.
©Reuters

Pas si étonnant

L'Egypte du maréchal al-Sisi et Israël mènent des opérations conjointes contre l'Etat islamique depuis un certain temps. Ils ont été rejoints récemment par le Hamas qui fait face à la menace d'une implantation du groupe terroriste dans la bande de Gaza,.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : D'après le Washington Post, une alliance improbable contre l'Etat islamique réunirait Israël, le Hamas et l'Egypte. En quoi l'Etat islamique menace-t-il chacun de ces trois acteurs ? Peut-on réellement parler d'alliance ?

Alain Rodier : Il convient de remonter dans le temps pour bien appréhender la menace que fait peser le Groupe Etat Islamique (GEI ou Daech) sur le Sinaï ainsi que dans toute la région. La zone a toujours été relativement instable, les tribus bédouines locales se sentant exclues par le pouvoir central du Caire. De plus, la grande pauvreté de la région les a poussé à se livrer à des activités criminelles dont la plus importantes était la contrebande de biens matériels mais aussi d’êtres humains. D’autre part, des attentats spectaculaires ont lieu dans les zones touristiques du sud : Charm el-Cheikh, au milieu des années 1990 puis Taba en 2004 et 2014. Ils ont été attribués à différents groupes palestiniens ou se revendiquant de l’islam radical très vivace en Egypte. Le "printemps" arabe de 2011 a donné un coup de fouet à l’insurrection, les forces gouvernementales se désengageant un peu plus du Sinaï jugé trop excentré. L'attentat qui a détruit l'Airbus A321 russe Metrojet KGL9268 le 31 octobre 2015 a enfin attiré l'attention internationale vers le Sinaï. Ce dernier a été revendiqué par le groupe armé "wilayat Sinaï" (Province du Sinaï) qui dépend de Daech.

A l’origine en 2011, il s’agit d’un groupe salafiste dénommé Ansar Bait al-Maqdis ou Ansar Jerusalem. Son objectif consiste à lutter contre les autorités égyptiennes et, dans une moindre mesure, contre Israël. Ce mouvement a alors des sympathisants dans la bande de Gaza qui bénéficient d’une neutralité bienveillante du Hamas.

A noter que dans la bande de Gaza, il existe plusieurs groupes favorables à l’islam radical et aujourd’hui à Daech : le Jaïch al-Islam (proche du Hamas), le Conseil de la Choura des Moudjahiddines des environs de Jérusalem, le Jund Ansar Allah, la brigade du Cheikh Omar Hadid, etc. Il est difficile de s’y retrouver dans la mesure où les nombreux groupuscules qui existent changent d’appellation au gré des évènements. Toutefois, tant qu’ils ne remettent pas en cause l’autorité du Hamas, ce dernier les tolère. Par contre, il rappelle de temps en temps qui gouverne l’enclave palestinienne en intervenant énergiquement pour neutraliser des éléments jugés trop entreprenants. C’est ainsi que le 14 août 2009, le Jund Ansar Allah a tenté de proclamer un "califat Islamique" à Gaza, soit bien avant l’apparition officielle de Daech. La réponse est venue le lendemain : 24 activistes du tout nouveau "califat" dont son émir, le Cheikh Abdel Latif Moussa, ont été tués. Il en été de même le 2 juin 2015 pour Yunis Hunnar, le chef de la brigade du Cheikh Omar Hadid, qui se présentait comme le représentant d’Al-Baghdadi à Gaza.

Le 10 novembre 2014, Ansar Bait al-Maqdis fait officiellement allégeance au GEI et, par là même, internationalise son action en participant au djihad global prôné par Abou Bakr al-Bagdadi. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre l’action terroriste dirigée contre l’avion de ligne russe. Elle a été revendiquée par Abou Oussama al-Masri (certainement un pseudonyme) qui s’est présenté comme le chef de la wilayat Sinaï. Il s’agit vraisemblablement d’un imam égyptien d’une bonne quarantaine d’années, ancien étudiant de l’université Al-Azhar du Caire qui se serait reconverti dans le commerce de vêtement. Il a été annoncé tué à plusieurs reprises mais rien n’est venu confirmer sa mort.

Mais la wilayat Sinaï mène essentiellement des opérations de guérilla qui ont principalement lieu dans les régions des villes de Rafah, de Cheikh Zaïd et même de la très quadrillée Al-Arish. Il s'agit généralement d'actions ponctuelles avec l'emploi d'engins explosifs improvisés (IED), d'embuscades et de coups de main. Même un navire de guerre a été sérieusement endommagé le 16 juillet 2015 par un tir de missile anti-chars mis en œuvre depuis la côte et au moins un hélicoptère a été abattu le 26 janvier 2014. La wilaya Sinaï a aussi mené quelques attaques terroristes dans la région du Caire.

Environ tous les six mois, une importante opération - dite "méga opération" - engageant plusieurs groupes est déclenchée causant des pertes significatives (à chaque fois, des dizaines de morts sont à déplorer) au sein des forces de sécurité. Il s'agit le plus souvent d'attaques coordonnées contre plusieurs infrastructures étatiques.

Enfin, les activistes islamiques n'hésitent à parader dans les lieux non contrôlés par l'armée égyptienne en érigeant leurs propres points de contrôle et haranguant les populations. Ces dernières lui sont relativement favorables car elles sont irritées par la violence de la répression et les bombardements aveugles. C’est en particulier le cas pour la principale tribu du Nord-Sinaï, la Al-Swarka. Résultat, les renseignements se font rares et les rebelles se déplacent comme des poissons dans l'eau dans toute la zone et y établissent même des camps d'entraînement à l'image du camp Abou Hajar Al-Misri, du nom d'un martyr tombé au combat.

Si l'Etat islamique réussit à s'implanter et à déstabiliser durablement le Sinaï égyptien, quelles en seront les répercussions sur Israël ? Et sur le Hamas ? 

Comme je l’ai expliqué plus avant, le GEI est déjà solidement implanté au Sinaï et bénéficie de l’aide d’une partie de la population. Les conséquences sont catastrophiques pour les forces égyptiennes qui sont harcelées en permanence, mais aussi pour les pays voisins. Ainsi, le gazoduc égyptien qui approvisionne Israël et la Jordanie depuis le port d’Al-Arish a été saboté à une trentaine de reprises depuis le début 2011!

Le 6 août 2012, un coup de main audacieux tue 16 gardes égyptiens au niveau du poste frontière de Kerem Shalom. Deux blindés volés par les terroristes tentent de passer en Israël mais sont neutralisés. Cette opération est attribuée à Al-Qaida "canal historique", vraisemblablement via sa filiale Jahafil Al-Tawhid Wal-Jihad fi Filastin également présente à Gaza. Il ne faut pas faire la même erreur qu’en Syrie où les observateurs ont tendance à "oublier" Al-Qaida "canal historique". Même si la nébuleuse se fait volontairement plus discrète, elle est bien présente. Ainsi, un groupe appelé "Mourabitoune" (ancien nom de celui de Mokhar Belmokhtar au Sahel et ce n’est peut-être pas un hasard) dirigé par Hisham Ali Ashmawi, un ancien officier des forces spéciales égyptiennes, est actif dans la région du Caire mais aussi dans le Sinaï. Il est également issu d’Ansar Bait al-Maqdis mais son émir a renouvelé son allégeance au docteur Ayman al-Zawahiri. Ce groupe aurait des connexions en Libye, peut-être même avec Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI).

Encore plus inquiétant, Washington désigne un certain Husayn Juaythini, membre du Conseil de la Choura des Moudjahiddines des environs de Jérusalem (voir les groupes présents à Gaza dans ma réponse à la première question), comme un "facilitateur" de Daech. Il se serait rendu en Syrie en septembre 2014 pour faire allégeance à Al-Baghdadi. Il aurait alors été renvoyé dans la bande de Gaza avec pour mission de prendre en charge les acheminements d’activistes entre le continent africain et d’autres théâtres d’opérations comme le berceau syro-irakien du califat. Si cette information est vraie, cela signifierait que le Sinaï et la bande de Gaza seraient devenus un carrefour pour djihadistes de Daech.

De quelles façons coopèrent-ils dans la lutte contre l'Etat islamique ? Quels résultats ces coopérations ont-elles donnés jusqu'à présent ? 

Depuis la chute du président Morsi le 3 juillet 2013, les relations se sont considérablement améliorées entre le Caire et Israël. L’Etat hébreu coopère avec le gouvernement du président Sissi. Il semble même qu’il échange directement avec le Caire des renseignements concernant les salafistes djihadistes et des Frères musulmans. Cette coopération est loin d’être nouvelle car elle avait déjà lieu du temps du président Moubarak mais elle avait connu un creux après le printemps arabe et, surtout, après l’arrivée des Frères musulmans au pouvoir au Caire.

De manière à tenter d’endiguer la menace, les Egyptiens ont été autorisés par Israël à déployer dans le Sinaï plus de forces que prévues dans les accords de paix de 1979. Une zone tampon a été établie en octobre 2014 à la frontière entre l’Egypte et la bande de Gaza. L'Egypte aurait même noyé les sous-sols avec une canalisation reliée à la mer !

De son côté depuis 2010, Israël a renforcé le mur le long de ses 245 kilomètres de frontières qui longent le Sinaï de Gaza à Eilat.

Avec le Hamas, c’est une autre histoire. Ce mouvement palestinien qui reste fondamentalement hostile à l’Etat hébreu (il se félicite de tous les attentats qui peuvent survenir en Israël) est considéré comme un adversaire prioritaire par Israël. D’ailleurs, des échanges de tirs ont régulièrement lieu, les derniers ayant eu lieu entre le 3 et le 5 mai. Mais il est parfois préférable d’avoir un ennemi que l’on connaît bien qu’un plus mystérieux. Ce qu’il ne faudrait pas, c’est que le Hamas soit phagocyté par Daech.

Aujourd’hui, la wilayat Sinaï est une des provinces extérieures du GEI les plus actives avec la Libye, l'Afghanistan, le Yémen, l’Arabie saoudite (wilayas Nadj et Hejaz) et le Caucase, le Nigeria étant un peu à part étant donnée la spécificité de Boko Haram (devenue la "wilayat Afrique de l'Ouest"). Malgré les nombreux ralliements, particulièrement le groupe Abou Sayyaf aux Philippines et de cadres importants du Jemaah Islamiyah en Indonésie, l’Extrême-Orient n’a pas encore obtenu le label de "wilayat" mais cela ne devrait pas tarder. Tout cela donne une image d’un "califat" en pleine expansion : le coeur syro-irakien où se forment les nouvelles générations de djihadistes via les "lionceaux du califat", des "provinces" presque partout dans le monde, des capacités terroristes importantes ailleurs … La guerre est loin d’être gagnée même si les "communiqués" de victoires sont redondants !

Comme cela a été expliqué plus avant, le Sinaï et la bande de Gaza risquent de devenir un point de passage obligé entre le continent africain et le reste du monde, non seulement pour Daech mais aussi pour Al-Qaida "canal historique". Ces deux mouvements salafistes-djihadistes sont en concurrence pour l’instant, mais pour combien de temps ? C’est pour cette raison qu’il convient de faire effort sur ce nœud de communications. Israël vient d’obtenir une représentation permanente au sein de l’OTAN. Selon le Premier ministre Benjamin Netanyahu : "les pays étrangers veulent collaborer avec nousen raison de notre détermination à combattre le terrorisme, notre savoir-faire technologique, notre réseau de renseignement». Dans ce cas précis, il n’est que temps !

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