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Pauvres contre riches, employeurs contre employés, jeunes contre vieux, actifs contre assistés : comment la politique de faible croissance est en train de fracturer la société française
©Reuters

Tous contre tous

Dans un contexte social de plus en plus fracturé, où les catégories sociales s’opposent les unes aux autres, en pointant l’irresponsabilité des uns ou l’opportunisme des autres, il apparaît que les malheurs économiques des Français ont une cause principale : la baisse tendancielle de la croissance française, qui n’est en rien une fatalité.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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C'est la faute de l'autre. Les jeunes sont furieux contre les vieux, les entreprises se rebiffent contre les "assistés" qui abusent des dépenses de l'Etat, l'Etat contre les entreprises, les classes moyennes contre les riches, les vieux contre ces jeunes qui ont tellement de chances d'avoir des smartphones, bref... Personne n'est content, et chacun trouve un responsable à son malheur. Le jeu politique consiste alors à sélectionner une catégorie à défendre, et de taper sur le fautif le plus vraisemblable. Les dépenses publiques, les assistés, les riches, les entreprises, en gros, les méchants. Et il est vrai que chacun a des raisons de se plaindre. Cependant, ce que cette nouvelle lutte des classes ne voit pas, c'est que ces maux, aussi divers soient-ils, ont une cause majeure, unique, qui est la faiblesse de la croissance française.

Ainsi, pour les entreprises, le calvaire français réside principalement dans une charge fiscale qui semble insurmontable. Le taux de prélèvements obligatoires est en effet passé de 34% en 1970 à près de 48% en 2014, ce qui vient grever sévèrement leurs capacités d'expansion. Les fautives, dans l'histoire, sont évidemment les dépenses publiques d'un Etat devenu trop gras, trop gros, pour que les entreprises puissent évoluer dans un biotope favorable. Soit. Les contraintes fiscales sont suffisamment lourdes en France pour ne pas écarter cette question d'un revers de la main, et ainsi comprendre le malaise, voire la suffocation d'entreprises qui ont la désagréable impression de servir de distributeur de billets à un Etat omnipotent. Mais ce qui semble être hors du champ de vision de cette approche un peu rapide, c'est la cause de la hausse des dépenses publiques.

En effet, en prenant simplement en compte la date de départ évoquée, c’est-à-dire 1970, il apparaît assez nettement qu'il s'agit également du coup d'envoi de la période de chômage de masse qui frappe la France, passant de 2% à 10% au cours des 40 dernières années.

France. Taux de chômage. INSEE. En %.

Afin de répondre à cette problématique, les pouvoirs publics vont alors choisir d’agir par le biais de la dépense publique, en recourant aussi bien à l’augmentation de la pression fiscale qu'à l'endettement. Ce qui a tout de même le mérite de venir au secours de ceux qui se trouvent écartés du système. Non pas en traitant la cause mal, mais en apportant une réponse au symptôme qu’est la précarité. Ce qui peut se vérifier à la simple observation de la hausse des dépenses des prestations sociales en France :

Cette hausse représente 14,18% du PIB entre 1970 et 2014, alors que sur la même période, la hausse de la pression fiscale aura été de 13% du PIB. Une sacrée coïncidence.

Ainsi, du côté des entreprises, le coupable paraît évident. Cette hausse des prestations sociales est la cause directe de leurs malheurs. Le combat à mener est donc clair, c’est la dépense publique qui est le mal absolu. Cependant, en remontant un échelon plus loin, la cause de cette hausse des prestations sociales, et donc la cause de la hausse du chômage, n'est rien d'autre que le ralentissement tendanciel de la croissance que connaît la France depuis le début des années 1970. Qui se traduit par un passage brutal d'une moyenne de croissance sur cinq ans de 3% en 1980 à 0,8% en 2016, soit une chute de 70%.

Une situation qui a simplement explosé lors de l'année 2008, lorsque la croissance française a été entraînée par le bas dans le gouffre de la grande récession, qui est venue prouver une nouvelle fois que la chute de la croissance aboutissait à une explosion du niveau de dette :

Chute de la croissance nominale par rapport à sa tendance longue (rouge-échelle de droite) et hausse de l'endettement (en % de PIB) (bleu, échelle de gauche)

Du point de vue des salariés, des chômeurs, des jeunes, et des autres victimes de ce désastre économique, le comportement des entreprises paraît alors assez logiquement indécent. Pourtant, confrontées à cette large baisse de la croissance, les entreprises ne font que chercher une échappatoire. La demande est faible, les carnets de commande ne sont pas florissants, il faut donc s'adapter : licencier, baisser les coûts, lutter contre un droit du travail inadapté aux périodes de récession, etc. Car sans cela, c'est la faillite assurée comme seul horizon. Ainsi, le comportement des entreprises est surtout rationnel. Il n’est donc pas plus surprenant de voir les victimes de cette situation se retourner contre leur bourreau le plus évident : les entreprises, et, par extension les riches, le capitalisme ou le néolibéralisme.

Pendant ce temps, le coupable, le vrai, est ailleurs. La trop faible croissance toujours, ou, pour être plus précis, l'inadéquation entre les capacités de production réelles du pays, et la demande.  

De façon plus récente et plus anecdotique, c'est désormais au tour des retraités de se plaindre d'un contexte économique qui aboutit à des taux d'intérêts proches de zéro. L'euthanasie des rentiers est en route. Mais encore une fois, le coupable est à rechercher du côté de la croissance, dont les taux d'intérêts ne font que refléter l'anticipation. Plus les prévisions de croissance et d'inflation sont faibles, plus les taux sont bas, et plus les rentiers se sentent lésés.

Ainsi, chaque catégorie préfère taper sur un symptôme plutôt que sur la cause du mal. Reste à comprendre pourquoi la croissance française est aussi basse aujourd'hui, et à déterminer quel pourrait être le moyen d'inverser la tendance. A cette question, la réponse est macroéconomique. Et les sempiternels discours sur la nécessité de "libérer les énergies" sont aussi creux que les demandes d’interdiction des licenciements. Une opposition veine et affligeante qui permet quand même de meubler un débat économique de bistrot.

Quoi faire ? Il suffit d'identifier le levier existant permettant de rétablir la croissance française à un niveau conforme au potentiel économique du pays. Ce qui tombe finalement plutôt bien, car ce pouvoir correspond précisément au rôle d'une autorité bien particulière : une Banque centrale. Ce qui semble passer complétement au-dessus de la tête de nos dirigeants. A leur décharge, il n’est pas faux de rappeler que la France a une histoire difficile avec la politique monétaire, ce n’est vraiment pas une spécialité locale. Après ses erreurs déflationnistes des années 1930, inflationnistes des années 1970, le pays n’en rate vraiment pas une.  

Plus spécifiquement, depuis 1983, la politique monétaire de la Banque de France, puis de la BCE, suit une stratégie désinflationniste (pour terrasser le dragon de l’inflation) qui a été poursuivie si loin que cette fameuse inflation est aujourd’hui en-dessous de 0. Mais la croissance aussi. Ce qui n’est pas une surprise puisque croissance et inflation sont les deux faces de la même pièce, qui s’appelle la demande. La nullité française (sous influence allemande, il ne faut pas l’oublier) sur la question monétaire a pollué le continent toute entier, avec des résultats que l’on peut qualifier d’enchanteresques. Les monétaristes du monde entier regardent la zone euro avec un seau de pop- corn sur les genoux, incrédules face à cette absurdité, comme l’on regarde un spectacle de téléréalité.  

Mais aujourd’hui, en 2016, avec un pays au bord de la crise de nerf, il serait peut-être bon de réagir. Pauvres, riches, jeunes, vieux, entreprises, salariés…Tous ont intérêt à voir la BCE se décider à offrir une politique monétaire décente au continent européen. Faire du plein emploi une priorité, pour le bien de tous. Pour une fin du chômage pour les chômeurs, un emploi pour les jeunes, des taux plus élevés pour les rentiers, des hausses de chiffre d'affaires pour les entreprises, et pour finir par rendre les hausses de dépenses inutiles, faute de victimes à soutenir.

La politique monétaire n’est pas un gagdet. Il s’agit de l’outil le plus puissant étant à la disposition des pouvoirs publics. Reste à savoir l’utiliser. 

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