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Souffrez-vous de boulimie nocturne, ce mal étrange qui expliquerait certaines prises de poids mystérieuses ?
©DR

Lycanthropie alimentaire

Certaines personnes suivant un régime ou se sentant coupable de trop manger la journée peuvent se réveiller la nuit pour manger. Ce trouble à la physique et psychologique, appelé boulimie nocturne, est souvent responsable d'une prise de poids inexpliquée.

Jean-Daniel Lalau

Jean-Daniel Lalau

Jean-Daniel Lalau est médecin, professeur de nutrition au CHU d'Amiens, docteur en sciences et en philosophie.

Il est l'auteur des livres En finir avec les régimes (éditions François Bourin) et Hospitalité - Je crie ton nom (éditions Chronique sociale). 

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Catherine Grangeard

Catherine Grangeard

Catherine Grangeard est psychanalyste. Elle est l'auteur du livre Comprendre l'obésité chez Albin Michel, et de Obésité, le poids des mots, les maux du poids chez Calmann-Lévy.

Elle est membre du Think Tank ObésitéS, premier groupe de réflexion français sur la question du surpoids. 

Co-auteur du livre "La femme qui voit de l'autre côté du miroir" chez Eyrolles. 

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Atlantico : Pouvez-vous définir ce qu'est la boulimie nocturne ?

Catherine Grangeard : La boulimie nocturne se caractérise par certains comportements comme le fait de manger la nuit, de se réveiller à cause d'une sensation de faim, de ne pas réussir à s’endormir puis à se remplir de nourriture pour retrouver le sommeil. Il y a plusieurs formes de boulimie nocturne.

Les personnes qui se plaignent de ces maux ressentent le plus souvent une intense culpabilité, car ils n'ont pas de raisons de manger, le dîner ayant été déjà pris pour se restaurer jusqu’au lendemain. Alors pourquoi le jeûne parait-il trop long ? Pourquoi cette sensation est-elle impossible à dominer pour eux ?

C’est cette constante qui réunit des personnes qui divergent par ailleurs dans leurs descriptions de ce qui leur arrive. Il semble impossible de dormir, de lâcher sans manger, encore et encore. Certains ont des habitudes nocturnes, d’autres non. Pour certains, c’est régulier, pour d’autres, occasionnel. Pour quelles raisons ? Toutes ces personnes en boulimie nocturne se posent beaucoup de questions… S'agit-il de manger pour s'apaiser ?

Jean-Daniel Lalau : En fait, la boulimie nocturne, c’est de la boulimie tout court.

La boulimie est la consommation d’aliments divers et variés, en grande ou même très grande quantité, sans autre limite que celle de la contenance gastrique, et donc jusqu’à provoquer une sensation de mal-être et des vomissements. Sans fin sans faim ! Tout cela de façon solitaire, et même cachée aux proches, tant c’est vécu de façon honteuse (de sorte qu’on ne peut pas le rapporter, sinon… "on se tape la honte").

S’agissant de l’horaire, cette fois, cela se passe surtout le soir, au détour du dîner (le plat de chou-fleur froid peut y passer ; on est bien loin de la compulsion pour un produit sucré !). Le soir, parce que c’est le moment critique je crois, quand le jour va basculer vers la nuit. Quand on éteignait la lumière chez l’enfant…

Quelles sont les causes de cette boulimie nocturne (stress, régime, trouble du comportement etc…)?

Catherine Grangeard : Pour commencer, vous avez raison de mettre un pluriel dans votre question. Des causes multiples sont à avancer, différentes selon les personnes mais aussi différentes pour une même personne selon les moments.

Manger semble apaiser, c’est une constante que nous pourrions-nous avancer.

Quand rien d’autre n’y arrive, ai-je envie de poursuivre ?

L’orgasme alimentaire viendrait en lieu et place de l’orgasme sexuel ?

La sensation de plénitude rappelant celle du nourrisson après une tétée ?

Toutes ces hypothèses se vérifient…  chez certains. Néanmoins, on se gardera bien de généraliser. Dans ces questions, la spécificité, la singularité de chaque personne invite à beaucoup de prudence. Ces pistes permettent individuellement de remettre du sens et donc de trouver des solutions adaptées individuellement.

Jean-Daniel Lalau : On ne peut pas parler de cause véritablement, au sens d’un facteur déclenchant aisément repérable. En réalité, il s’agit d’un authentique "TCA", c’est-à-dire un trouble des conduites alimentaires, voisin de l’anorexie, au point d’ailleurs que l’on parle d’un ensemble "boulimie-anorexie" de façon générique.

C’est une authentique maladie psychosomatique. On retrouve souvent un climat familial pathogène, mais il faut tout faire pour ne pas dire bêtement que "c’est de la faute des parents" ; c’est plus complexe que cela. La société aussi a un rôle, avec son comportement d’injonction paradoxale (la véritable dictature des normes !).

Quels risques peut-elle engendrer sur la santé ?

Catherine Grangeard : En premier lieu, manger à la place de dormir fatigue.

Puis, manger en plus de son repas augmente les calories et donc fait grossir et peut entraîner tous les soucis de santé qui vont avec l’excès de poids.

Il est maintenant bien connu que l’obésité n’est pas une maladie en soi mais augmente les risques pour d’autres maladies : cardiovasculaires, diabète, etc… La liste des comorbidités est longue ! Mais attention au glissement sémantique qui ferait de l’obésité, en soi, une maladie. Cela diabolise les personnes obèses. Non, surtout pas…

Manger la nuit, si on a trop peu mangé le jour n’est pas du tout pareil que si on a eu sa ration normale. On ne peut pas parler de boulimie nocturne si ce n’est qu’un juste rééquilibrage des besoins, qu’un régime trop hypocalorique a méconnus. Les régimes sont très souvent responsables des troubles du comportement alimentaire. Encore une fois puisque le printemps arrive, avertissons les lecteurs des graves risques pour la santé des régimes et de cette mode uniforme, qui exige de se serrer la ceinture pour atteindre des normes insensées…

Jean-Daniel Lalau : Sur un plan purement somatique les risques sont avant tout ceux liés aux vomissements, quand c’est le cas : perte de potassium (c’est dangereux pour le cœur !), saignements de l’estomac et de l’œsophage. Mais les véritables complications sont avant tout psychiques et sociales : syndrome dépressif, et même risque suicidaire au décours des crises ; on encore isolement social.

Comment guérit-on les personnes atteintes de ce trouble ?

Catherine Grangeard : Voulez-vous parler du trouble de se conformer à une mode stupide ou parlez-vous de la boulimie nocturne ? Je ne plaisante qu’à moitié… car pour beaucoup de personnes il faut se détacher de la conformité sociale pour commencer à guérir. Plus on tente d’atteindre une certaine "perfection", plus c’est non-naturel et plus ça va mal… Aussi pour commencer, il s’agit de se détendre… Mais comme ça ne se commande pas, revenir aux questions essentielles, pourquoi faut-il être comme ceci ou comme cela ? Une fois ces questions éclaircies, on a avancé sérieusement et on peut à s’intéresser à ce trouble nocturne. Car s’attaquer d’emblée à ce qu’un comportement vise n’est pas possible. La personne a déjà réfléchie, nous l’avons vu préalablement. Elle ne sait pas pourquoi, sinon l’affaire serait déjà réglée. Mettre du sens permet de quitter la mise en actes. L’acte de se nourrir la nuit à la place de se reposer contrevient au bien-être et cela la personne le ressent. Mais elle n’arrive pas à s’opposer à son impulsion. Nous permettons alors d’introduire du temps, par la pensée. Ainsi, entre le frigo, le placard… et la bouche, nous remettons un espace-temps pour réfléchir avant et non après…

Les mots échangés dans le cabinet sont là pour mettre un terme à un circuit court qui se jouait uniquement entre soi et soi, la nuit….

Jean-Daniel Lalau : Les thérapies comportementales peuvent atténuer les symptômes, mais ne peuvent pas guérir véritablement. Il faut avoir recours aux psychothérapies, et y adjoindre un accompagnement au plan nutritionnel. Notamment pour aider à ne pas réduire le déjeuner lendemain d’une crise ; cette privation est le meilleur moyen "d’alimenter la crise du soir !".

Propos recueillis par Thomas Gorriz

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